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Message par Tractopelle Jeu 15 Sep 2022 - 13:58

"La science est indiscrète, bruyante insolente ; elle n'est essentiellement supérieure qu'aux yeux de ceux qui ont opté pour une certaine idéologie, ou qui l'ont accepté sans avoir jamais étudié ses avantages et ses limites. Et comme c'est à chaque individu d'accepter ou de rejeter des idéologies, il s'ensuit que la séparation de l’État et de la l’Église doit être complétée par la séparation de l’État et de la Science : la plus récente, la plus agressive et la plus dogmatique des institutions religieuses. Une telle séparation est sans doute notre seule chance d'atteindre l'humanité dont nous sommes capables, mais sans l'avoir jamais pleinement réalisée. "

Paul Feyerabend - Contre la méthode

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Message par Invité Lun 24 Avr 2023 - 14:48

"Je tremblais qu'ils ne missent le nez dans mes microfilms. Qu'est-ce qu'ils auraient imaginé? Mais personne ne me demanda d'ouvrir ma serviette. J'aurais pu aussi bien transporter des plans des bases atomiques. Ca ne les intéressait pas. Il fallait le visa. C'était la consigne. C'était stupide. C'était le monde organisé."

"J'emportais aussi, sans m'en douter, le virus de la rougeole, qui allait faire le tour de la Terre sous le nom de rougeole australienne. Les labos pharmaceutiques ont fabriqué en toute hâte un nouveau vaccin. Ils ont gagné beaucoup d'argent".

"Jamais une entreprise internationale d'une telle ampleur n'avait été réalisée. Il semblait que les hommes y eussent trouvé, avec soulagement, l'occasion souhaitée d'oublier les haines, et de fraterniser dans un effort totalement désintéressé".

La Nuit des temps, Barjavel, Edition Pocket

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Message par Invité Lun 24 Avr 2023 - 14:49

J’ai vu d’abord ta bouche ouverte. Le trou sombre de ta bouche ouverte, et le feston presque transparent des dents délicates qui apparaissait en haut et en bas, dépassant à peine le bord de tes lèvres pâles. Je commençais à trembler. J’en ai trop vu à l’hôpital de ces bouches ouvertes, les bouches des corps dont l’autorité de la vie vient d’abandonner d’un seul coup toutes les cellules et qui ne sont plus, brusquement, que de la viande vide, en proie à la pesanteur.
Mais Moïssov a placé sa main en coupe sous ton menton, doucement a refermé ta bouche, a attendu une seconde, a retiré sa main.
Et ta bouche est restée fermée…


Sa bouche fermée – nacrée par le froid et le sang retiré – était comme l’ourlet d’un coquillage fragile. Ses paupières étaient deux longues feuilles lasses dont les lignes des cils et des sourcils dessinaient le contour d’un trait d’ombre dorée. Son nez était mince, droit, ses narines légèrement bombées et bien ouvertes. Ses cheveux d’un brun chaud semblaient frottés d’une lumière d’or. Ils entouraient sa tête de courtes ondulations aux reflets de soleil qui cachaient en partie le front et les joues et ne laissaient apparaître des oreilles que le lobe de celle de gauche, comme un pétale au creux d’une boucle.
Il y eut un grand soupir d’homme, qu’un micro transmit, et dont la Traductrice ne sut que faire. Haman se pencha, écarta les cheveux et commença à placer les électrodes de l’encéphalographe.

Pages 108-109, La Nuit des temps, Barjavel, Edition Pocket

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Message par Invité Lun 24 Avr 2023 - 14:52

- Ici EPI, au point 612. Hoover speaking. Je suis heureux...très heureux...de vous lire le communiqué suivant en provenance de la salle d'opération:
"Le processus de réanimation du sujet féminin se poursuit normalement. Aujourd'hui 17 novembre, à 14h52 temps local, le cœur de la jeune femme a recommencé de battre..."
La cave explosa en un hurlement. Yuni, dans la sono, hurla plus fort:
- Taisez vous! Vous n'êtes que du boudin! Où sont vos âmes ? Ecoutez!
Ils obéirent. Ils obéissaient à la voix comme à la musique. Pourvu que ce fût fort. Silence. Voix de Hoover.
- ... premiers battements de cœur de cette femme ont été enregistrés. Il n'avait plus battu depuis 900 000 ans. Ecoutez-le...
Cette fois-ci, vraiment, les six mille se turent.
Yuni ferma les yeux, le visage illuminé. Il entendait la même chose dans les deux oreilles. Il entendait:
Silence.
Un coup sourd; Voum...
Un seul.
Silence...Silence...Silence...
Voum...
Silence...Silence...
Voum...
... ...
Voum... Voum...
... ...
Voum... Voum... Voum, voum, voum...
Le batteur de l'orchestre répondit, doucement, en contrepoint, du pied, avec sa caisse. Puis il y ajouta le bout des doigts. Yuni superposa l'orchestre et les ondes. La contrebasse s'ajouta à la batterie et au cœur. La clarinette cria une loooongue note, puis s'écroula en une improvisation joyeuse. Les six guitares électriques et les douze violons d'acier se déchaînèrent. Le batteur frappa à tour de bras sur toutes ses peaux. Yuni cria comme d'un minaret:
- She's awaaake ! ...
Voum ! voum ! voum !
Les six mille chantaient:
- She's awake ! ... She's awake ! ...
Les six mille chantaient, dansaient, au rythme du coeur qui venait de renaître.
Ainsi naquit le 'wake, la danse de l'éveil. Que ceux qui veulent danser dansent. Que ceux qui peuvent s'éveiller, s'éveillent.

Extrait pages 112-113


"Comment auraient-ils pu savoir qu'ils commettaient une erreur tragique, que s'ils avaient choisi, au contraire, de commencer par l'homme tout aurait été différent ?"

"Rien ne pouvait plus désormais arrêter le déroulement fatal des événements".
Extraits pages 102 et 103, La Nuit des temps, Barjavel, Edition Pocket

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Message par Ceci n'est pas un tigrou Lun 24 Avr 2023 - 17:56

Tous deux savaient qu’ils allaient se séparer, peut-être pour toujours, le lendemain matin, mais ils s’efforçaient de se faire illusion, parce qu’ils étaient de ceux à qui toute séparation définitive en apparence est une torture. Il savait et elle savait aussi que si, dans les premiers jours de leur éloignement, la fascination qu’ils avaient exercée l’un sur l’autre serait sans doute plus puissante que jamais, le temps en atténuerait l’effet ; les raisons pratiques qui l’empêcheraient de l’accepter pour compagne s’accentueraient à la lueur boréale d’une époque plus éloignée. Puis, quand deux êtres se sont séparés, qu’ils ont abandonné leur domicile commun et leur commun entourage, de nouvelles pousses croissent insensiblement pour remplir les vides ; des accidents imprévus se mettent au travers des intentions et les anciens projets sont oubliés.

Thomas Hardy - Tess d’Urberville

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Message par Invité Mar 25 Avr 2023 - 19:30

L’infirmière quinquagénaire avait été parmi les premiers arrivés en haut. Elle était maigre et grimpait comme une chèvre. (page 378)

*

Ils étaient un peu de gris mouvant dans le gris immobile. Ils devenaient de moins en moins visibles, de plus en plus petits vers le haut, gris sur gris, indiscernables. (…) Point gris qui bougeait sur du gris, puis plus rien que le gris qui ne bougeait plus. Leurs pieds sur les marches avaient écrasé la poussière sans la déplacer. Elle se regonflait lentement derrière eux, effaçant la trace de leurs pas, de leur passage, de leur vie. La poussière n’était pas pulvérulente, mais feutrée, compacte, solidaire. Sorte de tapis aéré, fragile et stable, c’était la doublure de cet envers du monde. (…) La main dans la main, ils descendaient derrière lui, s’enfonçaient dans l’épaisseur grise. Parfois ils rencontraient, croisaient ou dépassaient d’autres sans-clé silencieux, qui se déplaçaient sans hâte, seuls ou par petits groupes. Le complexe de l’Escalier était leur univers. Ce corps abandonné, vidé, ce squelette creux, vivait de leur présence furtive. Ils avaient pratiqué des ouvertures clandestines, rouvert des portes inconnues par lesquelles ils se faufilaient dans le monde du bruit et de la couleur, juste le temps qu’il fallait pour se procurer l’indispensable, par la mendicité ou la rapine. Puis ils rentraient à l’intérieur du gris, dont ils avaient pris peu à peu la teinte. La poussière du sol avalait le bruit des pas, celle des murs le bruit des paroles. Le silence qui les entourait entrait en eux et les faisait taire. (p280-281-282

*

« C’était une intelligence de génie dans un corps de docker. Il donnait, même assis, l’impression d’une force prodigieuse. Le siège disparaissait sous la masse des muscles de ses fesses. Il paraissait capable de porter sur son dos un cheval ou un bœuf, ou les deux à la fois. C’est lui qui avait conçu le cerveau de la Traductrice. Les Américains n’y avaient pas cru, les Européens n’avaient pas pu, les Russes s’étaient méfiés, les Japonais l’avaient pris et lui avaient donné tous les moyens.  L’exemplaire d’EPI (…) traduisait dix-sept langues, mais Lukos en connaissait, lui, dix fois, ou peut-être vingt fois plus. Il avait le génie du langage comme Mozart avait eu celui de la musique. Devant une langue nouvelle, il lui suffisait d’un document, d’une référence permettant une comparaison, et de quelques heures, pour en soupçonner, et tout à coup en comprendre l’architecture, et considérer le vocabulaire comme familier ». (p126-127)

La Nuit des temps, Barjavel, Edition Pocket


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Message par Invité Mar 25 Avr 2023 - 19:32

« Il est bon d’expliquer rapidement ce qui rendit si difficile le déchiffrage et la compréhension de la langue d’Eléa. C’est qu’en réalité, ce n’est pas une langue, mais deux : la langue féminine et la langue masculine, totalement différentes l’une de l’autre dans leur syntaxe comme dans leur vocabulaire. Bien entendu, les hommes et les femmes comprennent l’une et l’autre, mais les hommes parlent la langue masculine, qui a son masculin et son féminin, et les femmes parlent la langue féminine, qui a son masculin et son féminin. Et dans l’écriture, c’est parfois la langue masculine, parfois la langue féminine qui sont employées, selon l’heure ou la saison où se passe l’action, selon la couleur, la température, l’agitation ou le calme, selon la montagne ou la mer, etc.  (…) L’homme dirait « qu’il faudra sans épines », la femme dirait « pétales du soleil couchant » et l’un et l’autre comprendraient qu’il s’agit de la rose. »  (p139-140)

*

Il y eut sur l’écran témoin une explosion rouge, puis plus rien.
- Court-circuit ! dit Goncelin
- Trop d’émotion, dit Eléa. Il faut rappeler l’image mais s’oublier…Essayez encore.
Ils essayèrent. Et ils réussirent. (p182)

*

Visiblement, logiquement, absurdement et évidemment, cette machine fabriquait des éléments à partir de rien… (p154)

*

L’énergie ! …La machine fabriquait de la matière à partir de l’énergie ! Ce n’était pas impossible à admettre, ni même à réaliser dans l’état actuel des connaissances scientifiques et de la technique. Mais il fallait mobiliser une quantité fabuleuse d’électricité pour obtenir quoi ? Une particule invisible, insaisissable et qui disparaissait aussitôt apparue. Alors que cette espèce de demi-melon, qui avait l’air d’un jouet d’enfant un peu ridicule, tirait avec la plus parfaite simplicité la nourriture du néant, autant qu’on lui en demandait. (p157)

*

La clé suffisait à maintenir la population de Gondawa à un niveau constant. Enisoraï n’avait pas la clé, et n’en voulait pas. Enisoraï pullulait. Enisoraï connaissait l’équation de Zoran et savait utiliser l’énergie universelle, mais s’en servait pour la prolifération et non pour l’équilibre. Gondawa s’organisait, Enisoraï se multipliait. Gondawa était un lac, Enisoraï un fleuve. Gondawa était la sagesse, Enisoraï la puissance. Cette puissance ne pouvait faire autrement que s’épanouir et s’exercer au-delà d’elle-même.

*

Ainsi, séance après séance, par les souvenirs directs d’Eléa projetés sur l’écran, et par les multiples questions qu’ils lui posaient, les savants de l’EPI apprenaient-ils à connaître ce monde disparu, qui avait résolu certains des problèmes qui préoccupent le nôtre, mais qui semblait entraîné comme lui de façon inéluctable vers des affrontements que pourtant rien de raisonnable ne justifiait, et que tout pouvait permettre d’empêcher. (p203)  

*

D’une part, elle associait à la beauté de Païkan et à la sienne, et à leur union, la fierté et la joie – et non la honte ; d’autre part, elle semblait de plus en plus rappeler ses souvenirs pour elle-même, sans se soucier de l’assistance qui en scrutait tous les détails. Les hommes d’aujourd’hui étaient d’ailleurs si différents d’elle, si arriérés, si bizarres dans leurs pensées et leur comportement, qu’ils lui paraissaient presque aussi lointains, aussi « absents » que des animaux ou des objets.

*

Elle évoquait les moments les plus importants de son existence, les plus heureux, les plus dramatiques, pour les revivre une seconde fois. Elle se livrait interminablement à sa mémoire, comme à une drogue de résurrection, et seules parfois les ondes écarlates de l’émotion parvenaient à l’y arracher. Et les savants découvrirent peu à peu, autour d’elle et de Païkan, le monde fabuleux de Gondawa. (p204)

*

Ils affectaient de n’y attacher aucune importance, d’être blasés, de les considérer dans un pur esprit scientifique ou d’en plaisanter. Mais chacun en était bouleversé profondément dans son esprit et dans sa chair, et, en se retrouvant tout à coup dans le monde d’aujourd’hui, il n’osait plus regarder son voisin qui, lui-même, détournait les yeux. Ils avaient honte. Honte de leur pudeur et honte de leur honte. La merveilleuse, la totale innocence d’Eléa leur montrait à quel point la civilisation chrétienne avait – depuis Saint Paul et non depuis le Christ – perverti en les condamnant les joies les plus belles que Dieu ait données à l’homme. Ils se sentaient tous, même les plus jeunes, pareils à de petits vieillards salaces, impuissants et voyeurs. Le cœur de Coban, en se réveillant, venait de leur épargner ce moment pénible d’embarras collectif, où la moitié d’entre eux se mettait à rougir et l’autre moitié blêmissait. (p302-303)

*

La lumière revint, pâle, jaune, palpitante, s’éteignit de nouveau et se ralluma un peu plus vive. Ils se regardèrent, se reconnurent, respirèrent, mais ils savaient qu’ils n’étaient plus les mêmes. Ils revenaient d’un voyage qui n’avait presque pas duré, mais tous, maintenant, étaient les frères d’Orphée. (p375)


La Nuit des temps[/u], Barjavel, Edition Pocket


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Message par Invité Mar 25 Avr 2023 - 19:34


« Pendant quelques heures, les grands cerveaux serviteurs de firmes concurrentes, d’états-majors ennemis, d’idéologies opposées, de races haineuses, furent unis en une seule immense intelligence qui entourait la terre entière et le ciel autour d’elle du réseau de ses communications nerveuses, et qui travaillait de toute sa capacité inimaginable dans le but minuscule et totalement désintéressé de comprendre trois mots…(…) Enfin, il y eut le moment où, brusquement, tout devint clair. Parmi des milliards de combinaisons, le cerveau en trouva une logique, en tira des conclusions à la vitesse de la lumière, les combina et les éprouva, et, en moins de dix-sept secondes, livra à la Traductrice tous les secrets de la langue inconnue. » (pages 133-134)

*

- Je suis médecin, dit Moïssov. Vous, vous êtes…vous êtes quoi ?
- La chimie et l’électronique…Qu’est-ce que ca peut foutre ? Il y a de tout, ici.
- Oui, dit Moïssov. Pourtant nous sommes tous pareils…Nous avons quelque chose en commun qui est plus fort que nos différences : c’est le besoin de connaître. Les littérateurs appellent ça l’amour de la science. Moi, j’appelle ça la curiosité. Quand elle est servie par l’intelligence, c’est la plus grande qualité de l’homme. Nous appartenons à toutes les disciplines scientifiques, à toutes les nations, à toutes les idéologies. Vous n’aimez pas que je sois un Russe communiste. Je n’aime pas que vous soyez de petits capitalistes impérialistes lamentables et stupides, empêtrés dans la glu d’un passé social en train de pourrir. Mais je sais, et vous savez que tout ça est dépassé par notre curiosité. Vous et moi, nous voulons savoir. Nous voulons connaître l’Univers dans tous ses secrets, les plus grands et les plus petits. Et nous savons déjà au moins une chose, c’est que l’homme est merveilleux, et que les hommes sont pitoyables, et que chacun de notre côté, dans notre morceau de connaissance, et dans tout nationalisme misérable, c’est pour les hommes que nous travaillons. Ce qu’il y a à connaître ici est fantastique. Et ce que nous pouvons en tirer pour le bien des hommes est inimaginable. Mais si nous laissons intervenir nos nations, avec leur idiotie séculaire, leurs généraux, leurs ministres et leurs espions, tout est foutu !
- On voit bien, dit Hoover, que vous suivez les cours du soir marxistes… Vous avez toujours un discours sous la langue. Mais bien sûr, vous avez raison. Vous êtes mon frère. Tu es ma petite sœur, dit-il en donnant une tape sur les fesses de Léonova.
- Vous êtes un gros porc ignoble, dit-elle.  (p.165-166)  

*
- Je propose, dit Hoover, d’annoncer par Trio que nous ferons demain une communication au monde entier. Et de prévenir les universités et centres de recherches qu’ils auront à enregistrer un long texte scientifique dont nous transmettrons les images en anglais et en français, avec les symboles originaux en langue gonda. Cette diffusion générale d’un traité qui conduit à la compréhension de l’équation de Zoran rendra d’un seul coup impossible l’exclusivité de sa connaissance. Elle sera devenue en quelques instants le bien commun de tous les chercheurs du monde entier. Du même coup disparaîtront les menaces de destruction et d’enlèvement qui pèsent sur Coban, et nous pourrons inviter cette répugnante assemblée de ferraille militaire flottante et volante qui nous surveille sous prétexte de nous protéger à se disperser et à retourner dans ses repaires.

La proposition de Hoover fut adoptée par acclamations. Ce fut une grande journée, une longue journée sans nuit et sans nuages, avec un soleil doré qui promenait son optimisme tout autour de l’horizon. A l’heure où il s’éclipsait derrière la montagne de glace, les savants et les techniciens prolongèrent leur euphorie au bar et au restaurant de l’EPI 2. La provision de champagne et de vodka de la base fut ce soir-là sérieusement entamée. Et le scotch et le bourbon, l’aquavit et la shlivovitsa versèrent leur ration d’optimisme dans le chaudron bouillonnant de la joie générale.
- Petite sœur, dit Hoover à Léonova, je suis un énorme célibataire dégoûtant, et vous êtes une horrible cervelle marxiste maigrichonne…Je ne vous dirai pas que je vous aime parce que ce serait abominablement ridicule. Mais si vous acceptiez de devenir ma femme, je vous promets que je perdrais mon ventre et que j’irais même jusqu’à lire le Capital.
- Vous êtes odieux disait Léonova en sanglotant sur son épaule, vous êtes affreux…
Elle avait bu du champagne. Elle n’avait pas l’habitude. (p324)

*

Hoover avait tenu à les accompagner, et Léonova accompagnait Hoover. Par moments, il prenait sa main menue dans sa main énorme, ou bien c’était elle qui accrochait ses doigts fragiles à ses énormes doigts. Et ils avançaient ainsi, sans y prendre garde, dans les salles et les couloirs de la Traductrice, main dans la main comme deux amants de Gondawa. (p.333)

*

-C’est Lokan qui avait raison. L’Arme Solaire n’a pas détruit toute la vie terrestre, puisque nous sommes là ! Il y a eu des survivants, des végétaux, des animaux et des hommes. Sans doute très peu, mais c’était suffisant pour que tout recommence. Les maisons, les fabriques, les moteurs,  l’énergie en bouteille, tout le saint frusquin dont ils vivaient avait été fracassé, anéanti. Les rescapés sont tombés sur le cul par terre ! Tout nus ! Ils étaient combien ? Peut-être quelques douzaines, dispersés dans les cinq continents. Plus nus que des vers parcequ’ils ne savaient plus rien faire ! Ils avaient des mains dont ils ne savaient plus se servir ! Qu’est-ce que je sais faire avec mes mains, moi, monsieur Hoover grosse tête ? A part allumer ma cigarette et taper sur les fesses des filles ? Rien !  Zéro ! S’il me fallait attraper un lapin à la course pour pouvoir bouffer, vous voyez le tableau ? Qu’est-ce que je ferais si j’étais à la place des survivants ? Je boufferais des insectes, et des fruits quand ce serait la saison, et des bêtes crevées quand j’aurais la chance d’en trouver ! Voilà ce qu’ils ont fait ! Voilà où ils sont tombés ! Plus bas que les premiers hommes qui avaient tout commencé avant eux, plus bas que les bêtes. Leur civilisation disparue, ils se sont trouvés comme des escargots dont un gamin a cassé et arraché la coquille pour voir comment c’est fait dedans. Tiens, des escargots ils ont dû en consommer pas mal, ca va pas vite. J’espère qu’il y avait beaucoup d’escargots. Vous aimez les escargots, petite sœur ?  Ils sont repartis d’au-dessous du barreau le plus bas de l’échelle, et ils ont refait toute la grimpette, ils sont retombés en route, ils ont remonté encore, et retombé, et, obstinés et têtus, le nez en l’air, ils recommençaient toujours à grimper, et j’irai jusqu’en haut, et plus haut encore ! dans les étoles ! Et voilà ! Ils sont là ! Ils sont nous ! Ils ont repeuplé le monde, et ils sont aussi cons qu’avant, et prêts à faire de nouveau sauter la baraque. C’est pas beau, ça ? C’est l’homme ! (p.319-320)

*

-Ce n’est pas lui qui commande. Son corps n’a pas besoin de lui. Les cellules du tissu pulmonaire, les merveilleuses petites usines vivantes sont en train de fabriquer à toute vitesse de nouvelles usines qui leur ressemblent, pour remplacer celles que le froid ou la flamme a détruites. En même temps, elles font leur travail ordinaire, multiple, incroyablement complexe, dans les domaines chimique, physique, électronique, vital. Elle reçoivent, choisissent, transforment, fabriquent, détruisent, retiennent, rejettent, réservent, dosent, obéissent, ordonnent, coordonnent avec une sûreté et une intelligence stupéfiantes. Chacune d’elles en sait plus que mille ingénieurs médecins et architectes. Ce sont des cellules ordinaires, d’un corps vivant. Nous sommes construits de milliards de cela, milliards de mystères, milliards de complexes microscopiques obstinés à leur tâche fantastiquement compliquée. Qui les commande, ces merveilleuses petites cellules ?
Est-ce que c’est vous, Vignont ?
-Oh ! m’sieur…
-Pas celles de Coban, Vignont, mais les vôtres ? Celles de votre foie, est-ce que c’est vous qui leur ordonnez de faire leur travail de foie ?
-Non, m’sieur.
-Alors, qui les commande, vos petites cellules ? Qui leur ordonne de faire ce qu’elles ont à faire ? Qui les a construites comme il fallait pour qu’elles puissent le faire ? Qui les a mises chacune à sa place, dans votre foie, dans votre petite cervelle, dans la rétine de vos beaux yeux ? Qui ? Répondez, Vignont, répondez !
-Je ne sais pas, m’sieur.
-Vous ne savez pas ?
-Non, m’sieur.
-Moi non plus, Vignont. Et qu’est-ce que vous savez, à part ça ?
-Heu…
-Vous ne savez rien, Vignont…
-Non, m’sieur.
-Dites-moi : « je ne sais rien ».
-Je ne sais rien, m’sieur.
-Bravo ! Regardez-les, les autres, ils rient, ils se moquent, ils croient savoir quelque chose. Qu’est-ce qu’ils savent, Vignont ?
-Je ne sais pas, m’sieur.
-Ils ne savent rien, Vignont. Qu’est-ce que je dessine au tableau, vous reconnaissez ?
-Oui, m’sieur.
-Qu’est-ce que c’est ? Dites-le.
-C’est l’équation de Zoban, m’sieur.
-Ecoutez-les rire, ces idiots, parce que vous vous êtes trompé d’une consonne. Croyez-vous qu’ils en savent plus que vous ? Croyez-vous qu’ils savent la lire ?
-Non, m’sieur.
-Et pourtant ils sont fiers d’eux, ils rigolent, ils se moquent ; ils se croient intelligents, ils vous prennent pour un idiot. Est-ce que vous êtes idiot, Vignont ?
-Je m’en fous, m’sieur.
C’est très bien, Vignont (…) (p308)

*

A un militaire, si haut que soit son grade, s’offre toujours l’apaisement de la discipline. Huston cessa de se poser des questions, cessa de penser, et appliqua le plan prévu. (p.349)

*

On tenait d’autant plus compte de ses avis qu’il parlait peu. (p352)
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Message par Invité Mar 25 Avr 2023 - 19:35

Quand la Désignation est parfaite, au moment où les deux enfants désignés se voient pour la première fois, ils se reconnaissent…
Eléa-enfant regardait le garçon, et le garçon la regardait. Ils étaient heureux et beaux. Ils se reconnaissaient comme s’ils avaient marché toujours à la rencontre de l’un de l’autre, sans hâte et sans impatience, avec la certitude de se rencontrer. Le moment de la rencontre était venu, ils étaient l’un avec l’autre et ils se regardaient. Ils se découvraient, ils étaient tranquilles et émerveillés.

*

Eléa s’éveilla un instant, chercha la main ouverte de Païkan et y blottit son petit poing fermé. La main de Païkan se referma sur lui. Eléa soupira de bonheur et se rendormit. (p211)

*

Ces soucis étaient pour demain, pour tout à l’heure. Vivre les malheurs d’avance, c’est les subir deux fois. Le moment présent était un moment de joie, il ne fallait pas l’empoisonner (p291).

*

Ils commencèrent à tournoyer et furent aspirés par la profondeur. Main dans la main, jambes abandonnées, sans poids, ils s’enfonçaient dans l’énorme épaisseur d’un muscle d’eau palpitant et tiède. Ils tombaient à une vitesse fantastique, tournoyaient étendus autour de leurs mains jointes, prenaient de virages qui les jetaient contre des parois feutrées de milliards de radicelles, émergeaient au sommet d’une courbe, respiraient, repartaient, aspirés, entraînés, toujours plus bas. (p284)

*

Ils coiffèrent les cercles d’or dont le lit était muni, et abaissèrent tous les deux la plaque frontale. Ils avaient tellement l’habitude de communiquer ainsi, que chacun pouvait recevoir de l’autre le contenu de sa mémoire en même temps que, sans avoir besoin d’y penser, il lui faisait part de ce que contenait la sienne. L’échange s’effectuait à une vitesse instantanée. Ils coiffaient les cercles, fermaient les yeux, abaissaient la plaque, et aussitôt ils n’avaient plus qu’une seule mémoire, qu’un seul passé. Chacun se souvenait des souvenirs de l’autre comme s’ils étaient siens. Ils n’étaient plus deux êtres qui croient se connaître et se trompent, mais un seul être sans trace d’ombre, solidaire et solide en face du monde.
Ainsi, Païkan sut tout du projet de l’Abri, et de chaque instant vécu par Eléa entre le moment où on les avait séparés et celui où elle l’avait rejoint. Ainsi connut-il la façon dont elle avait recouvré la liberté. L’apprenant, il en souffrit pour elle, sans reproche sans jalousie. Il n’y avait pas de place entre eux pour des sentiments de cet ordre, car chacun, connaissant tout de l’autre, le comprenait absolument. (…) Bonheur (…) de n’être qu’un dans leur propre connaissance, et deux pour la partager et multiplier leurs joies. (p291)


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Message par Invité Mar 25 Avr 2023 - 19:38

« Ariane, ma sœur, de quel amour blessée, Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée ! »

*

« Serrée dans une camisole, les bras et les cuisses maintenus par des courroies, elle ne réagissait plus. Immobile, les paupières de nouveau closes sur l’immense ciel de ses yeux, elle semblait parvenue au bout de la peur et de la résignation ».   (p125)

*
- Je vous avais bien dit que c’était du poison ! Buvez ça, vite ! C’est de l’ipéca.
Il repoussa le verre qu’elle lui tendait. Il ne s’était jamais senti aussi bien, euphorique, reposé comme s’il avait dormi dix heures.
-Alors, si c’est pas du poison, qu’est-ce qu’elle a, elle ?
Elle, Eléa.
Elle était réveillée, les yeux ouverts, le regard fixe, les mâchoires crispées. Des accès brusques de tremblement lui secouaient tout le corps. Simon la découvrit et lui toucha les muscles des bras et des cuisses. Ils étaient crispés, tendus, tétanisés. Il lui passa la main devant les yeux, qui ne cillèrent pas. Il trouva difficilement son pouls sous les muscles durcis du poignet. Il le sentit, puissant, accéléré.
-Qu’est-ce que c’est, docteur ? Qu’est-ce qu’elle a ?
-Rien, dit doucement Simon en remontant les couvertures. Rien…Que le désespoir…
-La pauvre petite…Qu’est-ce qu’on peut faire ?
-Rien, dit Simon, rien..
Il avait gardé la main glacée d’Eléa dans ses mains (…) (p. 328)


*
-Vous allez lui donner un choc terrible. Il vaut mieux lui dire peu à peu…
Simon était sombre. Il fronçait les sourcils d’un air têtu.
-Je ne suis pas contre les chocs, dit-il en enfermant lui aussi son micro sous sa main. En psychothérapie on préfère le choc qui nettoie au mensonge qui empoisonne. Et je crois que maintenant elle est forte…
-Je désire savoir…recommença Eléa.
Simon se tourna vers elle. Il lui dit brutalement :
-Vous avez dormi pendant 900 000 ans.
Elle le regarda avec stupéfaction. Simon ne lui laissa pas le temps de réfléchir.
-Cela peut vous paraître extraordinaire. A nous aussi. C’est pourtant la vérité. L’infirmière vous lira le rapport de notre Expédition, qui vous trouvée au fond d’un continent gelé, et ceux des laboratoires, qui ont mesuré avec diverses méthodes le temps que vous y avez passé…
Il lui parlait d’un ton indifférent, scolaire, militaire, et la voix de la Traductrice se calquait sur la sienne, calme, indifférente au fond de l’oreille gauche d’Eléa.
-Cette quantité de temps est sans mesure commune avec la durée de la vie d’un homme, et même d’une civilisation. Il ne reste rien du monde où vous avez vécu. Même pas son souvenir. C’est comme si vous aviez été transportée à l’autre bout de l’Univers. Vous devez accepter cette idée, accepter les faits, accepter le monde où vous vous réveillez, et où vous n’avez que des amis…
Mais elle n’entendait plus. Elle s’était séparée. Séparée de la voix dans son oreille, de ce visage qui lui parlait, de ces visages qui la regardaient, de ce monde qui l’accueillait. Tout cela s’écartait, s’effaçait, disparaissait. Il ne restait que l’abominable certitude – car elle savait qu’on ne lui avait pas menti - , la certitude du gouffre à travers lequel elle avait été projetée, loin de TOUT ce qui était sa propre vie. Loin de…
-PAIKAN !...
En hurlant le nom, elle se dressa sur son lit, nue, sauvage, superbe et tendue comme une bête chassée à mort.
Les infirmières et Simon essayèrent de la retenir, elle leur échappa, sauta du lit en hurlant :
-PAIKAN !...  
courut vers la porte à travers les médecins.
Zabrec, qui essaya de la ceinturer, reçut son coude dans la figure et la lâcha en crachant du sang ; Hoover fut projeté contre la cloison ; Forster reçut, sur son bras tendu vers elle, un coup de poignet si dur qu’il crut avoir un os brisé. (…) Ils virent la porte de l’infirmerie s’ouvrir brusquement et Eléa courir comme une folle, comme une antilope que va rattraper le lion, droit devant elle, droit vers eux. Ils firent barrage. Elle arriva sans les voir. Elle criait un mot qu’ils ne comprenaient pas. (…) Elle courrait vers la sortie (…) Dehors c’était une tempête blanche, un blizzard à 200 à l’heure. Folle de détresse, aveugle, nue, elle s’enfonça dans les rasoirs du vent. Le vent s’enfonça dans sa chair en hurlant de joie, la souleva, et l’emporta dans ses bras vers la mort. Elle se débattit, reprit pied, frappa le vent de ses poings et de sa tête, le défonça de sa poitrine en hurlant plus fort que lui. La tempête lui entra dans la bouche et lui tordit son cri dans la gorge. Elle tomba.

*

-Je vous l’avais bien dit, dit Lebeau à Simon, avec une sévérité que tempérait la satisfaction d’avoir eu raison.
Simon, sombre, regardait les infirmières bouchonner, frictionner Eléa inconsciente. Il murmura :
-Païkan…
-Elle doit être amoureuse, dit Léonova.
Hoover ricana
-D’un homme qu’elle a quitté il y a 900 000 ans !...
-Elle l’a quitté hier…, dit Simon. Le sommeil n’a pas de durée… Et pendant la courte nuit, l’éternité s’est dressée entre eux.
-Malheureuse… murmura Léonova
-Je ne pouvais pas savoir, dit Simon à voix basse.
-Mon petit, dit Lebeau, en médecine, ce qu’on ne peut pas savoir, on doit le supposer…

*
Je le savais.
Je regardais tes lèvres. Je les ais vues trembler d’amour au passage de son nom. Alors j’ai voulu te séparer de lui, tout de suite, brutalement, que tu saches que c’était fini, depuis le fond des temps, qu’il ne restait rien de lui, pas même un grain de poussière quelque part mille fois emporté par les marées et les vents. Plus rien de lui et plus rien du reste, plus rien de rien… Que tes souvenirs étaient tirés du vide. Du néant. Que derrière toi il n’y avait plus que le noir, et que la lumière, l’espoir, la vie étaient ici dans notre présent, avec nous. J’ai tranché derrière toi avec une hache. Je t’ai fait mal. Mais toi, la première, en prononçant son nom, tu m’avais broyé le cœur.  (p151)

*
Quand elle reprit connaissance, on vit qu’elle avait encaissé le choc et surmonté toutes ses émotions. Il n’y avait plus sur son visage que l’expression pétrifiée d’une indifférence totale, pareille à celle du condamné à perpétuité, au moment où il entre dans la cellule dont il sait qu’il ne sortira jamais. Elle savait qu’on lui avait dit la vérité. Elle voulut pourtant avoir des preuves.

*

J’ai essayé de t’appeler dans notre monde. Bien que tu aies accepté de collaborer avec nous, et peut-être même à cause de cela, je te voyais un peu plus chaque jour reculer vers le passé, vers un abîme. Il n’y avait pas de passerelle pour franchir le gouffre. Il n’y avait plus rien derrière toi, que la mort.
J’ai fait venir du Cap, pour toi, des cerises et des pêches.
J’ai fait venir un agneau dont notre chef a tiré pour toi des côtelettes accompagnées de quelques feuilles de romaine tendres comme une source. Tu as regardé les côtelettes avec horreur. Tu as dit :
- C’est un morceau coupé dans une bête ?
Je n’avais pas pensé à ça. Jusqu’à ce jour, pour moi, une côtelette n’était qu’une côtelette. J’ai répondu avec un peu de gêne :
- Oui.
Tu as regardé la viande, la salade, les fruits.
Tu m’as dit :
- Vous mangez de la bête !...Vous mangez de l’herbe !... Vous mangez de l’arbre !...
J’ai essayé de sourire. J’ai répondu :
- Nous sommes des barbares…
J’ai fait venir des roses
Tu as cru que cela aussi nous le mangions…


***
Tu l’as tué par amour pour Païkan.
Amour. Ce mot que la Traductrice utilise parce qu’elle ne trouve pas l’équivalent du vôtre, n’existe pas dans votre langue. Depuis que je t’ai vue vivre auprès de Païkan, j’ai compris que c’était un mot insuffisant. Nous disons « je l’aime », nous le disons de la femme, mais aussi du fruit que nous mangeons, de la cravate que nous avons choisie, et la femme le dit de son rouge à lèvres. Elle dit de son amant : « Il est à moi ». Tu dis le contraire : « Je suis à Païkan », et Païkan dit « Je suis à Eléa ». Tu es à lui, tu es une partie de lui-même. Parviendrai-je jamais à t’en détacher ? J’essaie de t’intéresser à notre monde, je t’ai fait entendre du Mozart et du Bach, je t’ai montré des photos de Paris, de New-York, de Brasilia, je t’ai parlé de l’histoire des hommes, de celle du moins que nous connaissons et qui est notre passé, si bref à côté de la durée immense de ton sommeil. En vain. Tu écoutes, tu regardes, mais rien ne t’intéresse. Tu es derrière un mur. Tu ne touches pas notre temps. Ton passé t’a suivie dans le conscient et le subconscient de ta mémoire. Tu ne penses qu’à y replonger, à le retrouver, à le revivre. Le présent pour toi, c’est lui. (p259)

*

*
Elle avait ouvert les yeux et le regardait. Et il y avait dans son regard comme un message, une chaleur, une communication qu’il n’y avait jamais vue. Avec…non pas de la pitié, mais de la compassion. Oui, c’était cela. La pitié peut être indifférente ou même accompagner la haine. La compassion réclame une sorte d’amour. Elle semblait vouloir le réconforter, lui dire que ce n’était pas grave et qu’il en guérirait. Pourquoi un tel regard à un tel moment ? (page 364)

*
Tu me comprends, tu avais compris, peut-être pas tous les mots, mais assez de mots pour savoir combien, combien je t’aimais (…) Moi aussi, moi aussi, mon amour, j’avais compris, je savais…
Tu étais à Païkan… (pages 331-332)
La Nuit des temps, Barjavel, Edition Pocket

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Message par Invité Mar 25 Avr 2023 - 20:25

Hervé Bazin a écrit:Nous partageons tout, hormis le privilège de la virilité, que le ciel lui a refusé par inadvertance et qu'elle usurpe allègrement. Il n'est aucun sentiment, aucun trait de mon caractère ou de mon visage que je ne puisse retrouver en elle. Mes trop grandes oreilles, mes cheveux secs, ma galoche de menton, le mépris des faibles, la méfiance envers la bonté, l'horreur du mièvre, l'esprit de contradiction, le goût de la bagarre, de la viande, des fruits et des phrases acides, l'opiniâtreté, l'avarice, le culte de ma force et la force de mon culte… Salut, Folcoche ! Je suis bien ton fils si je ne suis pas ton enfant.
Vipère au poing

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Message par Lou Djinn Jeu 22 Juin 2023 - 19:28

Ce qui ne va pas, c’est que les enfants croient aux discours des adultes et que, devenus adultes, ils se vengent en trompant leurs propres enfants. « La vie a un sens que les grandes personnes détiennent » est le mensonge universel auquel tout le monde est obligé de croire. Quand, à l’âge adulte, on comprend que c’est faux, il est trop tard. Le mystère reste intact mais toute l’énergie disponible a depuis longtemps été gaspillée en activités stupides. Il ne reste plus qu’à s’anesthésier comme on peut en tentant de se masquer le fait qu’on ne trouve aucun sens à sa vie et on trompe ses propres enfants pour tenter de mieux se convaincre soi-même.

L'élégance du hérisson - Muriel Barbery
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Message par Normal Ven 22 Sep 2023 - 22:43

"Les hommes sont par millions suffisamment éveillés pour le labeur physique ; mais seul un sur un million est suffisamment éveillé pour produire une authentique forme d'effort intellectuel ; et un sur cent millions pour vivre une vie poétique ou divine. Être éveillé, c'est être en vie.
Nous devons apprendre à nous réveiller, et nous maintenir éveillés, non par le truchement d'auxiliaires mécaniques, mais par une infinie espérance de l'aube, qui ne nous abandonne pas, même au cœur de notre profond sommeil.
Je ne connais pas de fait plus encourageant que la capacité indubitable qu'à l'homme d'élever sa vie par un effort conscient. C'est une chose que d'être capable de peindre une toile particulière, ou de sculpter telle statue, et de produire ainsi des objets plein de beauté - c'en est une beaucoup plus glorieuse que de peindre ou sculpter l'atmosphère ou le médium même par lesquels nous regardons ; et cela, nous avons la capacité morale de le faire. Modeler la qualité du jour : voici le plus noble des arts.
Chaque homme est requis de faire en sorte que, jusque dans ses moindre détails, sa vie soit digne de contemplation qu'il exerce en son heure la plus élevée et la plus exigeante.
   Je suis parti vivre dans les bois parce que je voulais vivre en toute intentionnalité ; me confronter aux données essentielles de la vie, et voir si je pouvais apprendre ce qu'elles avaient à m'enseigner, plutôt que de constater, au moment de mourir, que je n'avais point vécu. Vivre est chose si précieuse : je ne souhaitais pas vivre ce qui n'était pas la vie.
Je voulais vivre intensément, et aspirer toute la moelle de la vie ; vivre de manière si robuste, si spartiate, que je serais en mesure d'arracher à la racine tout ce qui dans la vie n'était pas la vie - débroussailler un large pan et y faire table rase, traquer la vie, la bloquer dans un coin, la réduire à ses plus petits dénominateurs, et, si elle s'avérait vile, eh bien tant pis, j'en boirais l'authentique vilenie jusqu'à la lie, et puis ensuite je publierais sa vilenie aux yeux du monde ; ou, si elle s'avérait sublime, eh bien alors je le saurais d'expérience, et serais en mesure d'en faire un compte-rendu sincère lors de ma prochaine excursion.
Il me semble en effet que la plupart des hommes éprouvent des sentiments ambivalents à son égard ; se demandant si c'est à Dieu ou bien au diable qu'on la doit.
Pourtant nous vivons mesquinement, comme des fourmis, bien que selon la fable nous ayons depuis fort longtemps été  changés en hommes* ; tels les Pygmées nous nous battons contre les grues** ; nous ne faisons qu'accumuler erreur après erreur, réparation après réparation, et notre vertu la plus noble ne trouve à s'exprimer que depuis un état de misère inutile et évitable. "


Henry David Thoreau - walden


* Dans la mythologie grecque, Zeus repeupla l'île d'Égine en transformant des fourmis en humains.
** Les Pygmées étaient réputés livrer de sanglants combats contre les grues migratrices pour protéger leurs récoltes.
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Message par Normal Sam 23 Sep 2023 - 17:11

"La poésie et la mythologie antiques laissent penser, à tout le moins, que l'agriculture fut jadis un art sacré - mais nous le pratiquons aujourd'hui avec une hâte et une insouciance inconvenantes, car nous avons pour seul but de posséder des grandes fermes et faire de grosse récoltes. Nous n'avons pas de fête, pas de procession, pas de cérémonie, par laquelle le fermier pourrait exprimer sa conscience du caractère sacré  de sa vocation, ou par laquelle lui seraient rappelées les origines sacrées. Ce qui l'attire, c'est la prime et le festin. Ce n'est ni à Cérès ni au terrestre Jupiter qu'il offre ses sacrifices, mais bien plutôt à l'infernal Ploutos*.
L'avarice et l'égoïsme, ainsi que l'habitude rampante - contre laquelle aucun de nous n'est totalement immunisé - de considérer la terre comme une propriété, ou bien, fondamentalement, comme le moyen d'acquérir de la propriété, se liguent pour défigurer nos paysages, pour avilir l'agriculture et nous avilir avec elle, et pousser le fermier à vivre la plus misérable des vies. Il ne connaît la nature qu'en tant que pillard."

* Cérès : déesse romaine de l'agriculture. Jupiter : dieu romain du ciel et de la terre. Ploutos : divinité romaine de la richesse et de l'abondance - sur laquelle les ploutocrates fondent leurs ploutocraties.

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Message par Normal Lun 25 Sep 2023 - 12:31

"Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince:

- S'il te plaît... apprivoise-moi ! dit-il.

- Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.

- On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !

- Que faut-il faire? dit le petit prince.

- Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près..."


Le petit prince - Saint-Exupéry
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Message par Normal Mar 26 Sep 2023 - 1:24

Un jour alors que j'étais allé à mon tas de bois, ou plutôt à mon tas de souche, je vis deux grosses fourmis, l'une rouge et l'autre noire , beaucoup plus grande que la première- elle faisait près d'un demi-pouce de long -, se battre férocement l'une contre l'autre. Une fois agrippées l'une à l'autre elles ne lachèrent plus prise, mais luttèrent et débattirent et roulèrent encore et encore sur les copeaux de bois. Regardant d'un peu plus loin, je fus surpris de constater que les copeaux étaient couvert de combattants de mêmes espèces ; ce n'était pas un duellum, mais un bellum, une guerre entre deux races de fourmis, les rouges contre les noires, avec souvent deux rouges pour chaque noire.
Ces légions de myrmidons couvraient tous les monts et les vaux de mon entrepôt de bois, et le sol était déjà jonché de morts et de mourant, aussi bien rouges que noirs. Ce fut la seule bataille dont je fus jamais témoin ; le seul champ de bataille que j'arpentai jamais tandis que le combat faisait rage. C'était une guerre fratricide : républicains rouges d'un côté, impérialistes noirs de l'autre. Les combats meurtriers avaient lieu de toutes parts, sans pourtant produire aucun bruit que je ne puisse percevoir - nuls soldats humains jamais ne combattirent avec la plus grande hargne. J'observais deux fourmis solidement prises dans l'étreinte l'une de l'autre, au creux d'une petite vallée ensoleillée au milieu des copeaux, prêtes, en ce midi, à lutter jusqu'à ce que la nuit tombe, ou que la vie s'en aille. Le champion rouge, plus petit, s'était fixé au front de son adversaire comme un étau, et de roulade en culbutes sur ce champ de bataille il ne cessa à aucun instant de mordre une des antennes tout près de la racine, après avoir arraché l'autre ; le noir de son côté, plus puissant, le secouait de droite à gauche, et je vis en regardant de plus près qu'il l'avait déjà privé de plusieurs de ses membres. Ils combattaient avec plus de ténacité que des bouledogues. Ni l'un ni l'autre ne trahissait le moindre désir de sonner la retraite. Il était évident que leur cri de guerre était "vaincre ou mourir".
Pendant ce temps, une fourmi rouge isolée s'approcha par le flanc de cette vallée,  visiblement emplie d'excitation ; elle devait avoir vaincu son adversaire, ou, plus vraisemblablement, étant donné qu'elle avait encore tous ses membres, n'avoir pas encore pris part au combat ; sa mère, sans doute, lui avait ordonné de ne rentrer à la maison qu'avec son bouclier, ou sur son bouclier. À moins qu'il ne s'agit de quelque Achille qui, ayant couvé son courroux à l'écart du combat, était maintenant de retour pour venger où sauver son ami Patrocle. De loin, il avait vu ce combat inégal- car les soldats noirs étaient presque deux fois plus grands que les rouges - et il s'était approché vivement jusqu'à se poster à une distance d'un demi-pouce des combattants ; puis, voyant s'ouvrir une brèche, il sauta sur le guerrier noir, et commença à l'attaquer près de la naissance de sa patte avant droite, laissant son opposant choisir lequel de ses propres membres il allait arracher ; et ces trois soldats furent ainsi unis à la mort, comme si une nouvelle forme d'attraction eût été inventée qui eût pu ridiculiser tous les liens et tous les ciments connus. À ce stade, je n'eusse point été étonné de découvrir que chaque armée avait son orchestre de soutien posté sur tels et tels copeaux de bois dominant la bataille, qui jouaient avec constance leurs hymnes nationaux respectifs, pour exciter les lents et enjouer les mourants."

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Message par Sarty Sam 9 Déc 2023 - 14:56

kafka a écrit:On leur donna le choix: ils pourraient devenir rois ou messagers de rois. A la manière des enfants, ils voulurent tous être messagers. Voilà pourquoi il n'y a que des messagers, ils courent de par le monde et comme il n'y a pas de rois, ils se crient les uns aux autres des messages insignifiants. Ils mettraient volontiers fin à leur existence pitoyable mais n'osent pas car ils ont prêté serment.

huckleberry finn a écrit:[...] and so there ain't nothing more to write about, and I am rotten glad of it, because if I'd knowed what a trouble it was to make a book I wouldn't a tackled it and ain't a-going to no more, but I reckon I got to light out for the Territory ahead of the rest, because Aunt Sally she's going to adopt me and civilize me, and I can't stand it. I been there before.

                                                               The end
                                                                       Yours truly
                                                                                 Huck Finn

moïse a écrit:Moïse se dirigea des plaines de Moab vers le mont Nébo, et monta au sommet du Pisga qui est en face de Jéricho. Et l'Éternel lui fit contempler tout le pays : le Galaad jusqu'à Dan, tout Nephtali, le territoire d'Ephraïm et de Manassé, et le territoire entier de Juda jusqu'à la mer ultérieure ; puis le midi, le bassin du Jourdain, la vallée de Jéricho, ville des palmiers, jusqu'à Çoar. Et l'Éternel lui dit: "C'est le pays que j'ai promis par serment à Abraham, à Isaac et à Jacob, en disant: je le donnerai à votre postérité. Je te l'ai fait voir de tes yeux, mais tu n'y entreras pas." C'est là que mourut Moïse.
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Message par Normal Lun 22 Jan 2024 - 11:15

On comprend mieux maintenant la vigueur de Zarathoustra prêchant le créateur d'un nouvel univers, c'est qu'il craint l'arrivé de celui qui rétrécit l'univers, s'organise son petit chez-soi, son petit travail, sa petite famille, sa petite santé, et qui "cligne de l'oeil" dans un geste d'appel à la connivence, geste vulgaire du malin "pas fou,lui", à qui "on ne la fait pas", que plus rien ne fera sortir de son petit néant et qui vous invite à y sombrer avec lui.
Or Nietzsche (trop pessimiste ?...) est sans illusion : ses contemporains préfèrent la pente facile qui glisse vers le dernier homme à la pénible voie du surhomme. Sans honte les auditeurs de Zarathoustra le clament : "Fais de nous ces derniers hommes ! le surhomme, nous t'en faisons cadeau !" Et ce terrible diagnostic conduit au plus sombre pronostic : cette lamentable situation sera sans issue. C'est en cela que le dernier homme sera dernier : Sans valeur, sans donc aucun critère pour se juger, il sera très content de lui-même et d'une situation dont rien ne l'incitera à sortir ; il sera "celui qui n'est même plus capable de se mépriser lui-même".

Le Zarathoustra de Nietzsche - Pierre Héber-Suffrin
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Message par Nefelibata Lun 22 Jan 2024 - 15:47

Le surhumain est plus une allégorie qu'un type: il n'est personne et personne ne sera jamais lui. Il représente l'affranchissement de toutes les contraintes: je suis de n'être rien; si toutes les "valeurs" se trouvent dénoncées tour à tour, ce n'est pas pour leur en substituer d'autres, mais pour affirmer que jamais rien n'est arrêté, définitif, certain; tout n'est que stade provisoire. Dans le domaine moral surtout, il n'est personne pour détenir la morale de personne: telle est la raison pour laquelle Zarathoustra ne cesse à la fois d'accueillir et de rejeter ses disciples: il n'a rien à leur dire vers quoi ils ne puissent aller eux-mêmes.

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Message par Normal Lun 22 Jan 2024 - 17:47

Se suivre soi-même c'est se prolonger, s'épanouir, se réaliser, s'enfanter et enfanter. Se suivre soi-même c'est se créer. Ce que créent ces créateurs qui se suivent eux-mêmes c'est d'abord eux-mêmes.
Ce qui caractérisent ces compagnons, c'est donc en premier lieu leur volonté d'accomplissement personnel ; la recherche d'épanouissement, de pleine réalisation d'eux-mêmes, la volonté d'affirmation et d’auto-création que l'on que l'on peut discerner derrière tous leurs actes, c'est, en quelque sorte, l'exact inverse de l'humilité chrétienne.
Se suivre soi-même c'est, en même temps, créer ses propres valeurs, et c'est en cela surtout que les compagnons de Zarathoustra sont "dits" créateurs, en ce qu'ils "inscrivent de nouvelles valeurs sur de nouvelles tables".

La volonté de puissance n'est pas la bonne volonté, c'est celle qui passe à l'acte.
Le surhomme c'est d'abord celui qui se vainc lui-même. Ce qu'il cherche, c'est "son déclin" c'est "une raison de décliner et d'être offrandes" ; et Nietzsche multiplie les formules paradoxales "J'aime ceux qui ne savent vivre qu'en déclinant, car ils sont des franchiseurs. J'aime ceux qui méprisent grandement, car ils vénèrent grandement." Mais toutes ces contradictions ne doivent ni nous surprendre ni nous égarer.
Elles ne doivent pas nous surprendre, la philosophie de Hegel a déjà familiariser les lecteurs avec une idée de négation qui serait affirmation, d'un déclin qui est passage, d'une destruction qui est construction.
Ces formules vigoureuses nous signifient simplement que l'homme doit progresser, et donc renier ce qu'il est, au profit de ce qu'il sera.
Ce qui est important pour Nietzsche, ce n'est pas le déclin, c'est le passage.
"J'aime ceux qui ne savent vivre qu'en déclinant."  Une telle formule suffirait aussi à démontrer définitivement combien sont aberrantes les interprétations qui font de la volonté de puissance un appétit de domination. La volonté de puissance n'est pas du domaine de l'avoir mais celui de l'être, vouloir la puissance c'est se vouloir soi-même plus grand.

Le Zarathoustra de Nietzsche - Pierre Héber-Suffrin
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