Récit intimiste de vol en parapente

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Message par Thaïti Bob Lun 27 Aoû 2012 - 22:07

Salut à tous !
Je viens de finir l'écriture du récit d'un beau vol en parapente que j'ai fait l'année dernière en été. C'est le moyen que j'ai trouvé pour rendre compte au mieux de ce que l'on vit comme expériences lors d'un vol, la photographie ou vidéo étant assez inexpressive dans ce genre d'activité. J'aimerai tellement transmettre aux non-volants ce que je vis parfois en parapente. Ce texte contribuera à assouvir cette envie de décrire ma passion.
Cela aura été aussi ma première expérience d'écriture personnelle depuis le collège ! ^^
Cependant, j'ai aussi publié un plus court récit d'un autre beau vol, ici sur le forum dans le post "votre meilleur souvenir"
Quelques photos (mais pas de moi) en fin de texte pour vous imaginer un peu mieux la configuration des lieux.

Donc pour résumer : depuis Lyon, le récit d'un après midi parapente au Mont Myon au nord-est de Bourg-en-Bresse dans l'Ain. Je monte à pieds puis décolle pour un vol de quelques heures et je décris une grande partie des nombreuses sensations, folles ou contemplatives, qu'on peut y éprouver...

Les critiques seront très appréciées ! Cependant, il y a quelques fautes d'orthographe et deux ou trois répétitions malheureuses je l'avoue. J'ai essayé de m'appliquer à retranscrire la poésie que représente ce mode de transport/loisir/sport/vie, et j'ai adopté finalement un style assez "Le Clézio" d'après ce que je me souviens de la lecture du "Chercheur d'or", lui aussi très intimiste, émotif, descriptif et contemplatif. J'espère ne pas trop être tombé dans le fleur bleue non plus du coup.

Bonne lecture pour ceux que ça intéresse !

1ère Partie : Ma vie est vraiment parfaite

Whouhou !! J’ai failli avoir un accident. Mais je suis parvenu à apercevoir entre deux arbres qui défilent sur l’autoroute, le Mont Myon avec deux bananes fluos qui flottent au dessus de son sommet. Je sautille d’excitation sur mon siège en mettant la musique un peu plus fort, en affermissant ma pression sur la pédale d’accélérateur. « J’ai bien fait », la longue hésitation devant sat24, les balises meteo et tous les sites possibles est récompensée par un grand ciel bleu et quelques cumulus blancs plus ou moins étalés. Comme d’habitude, depuis les étroites ruelles de Croix-Rousse, le temps nécessaire à me convaincre que la journée est bonne me rend en retard sur l’horaire de 2h environ. Une demi-heure de montée, la préparation… je décolle à 15h30 passé. Du centre de Lyon, il faut exactement une heure pour se délivrer de l’étouffante chaleur motorisée de Juillet.

Frein à main énergique. J’ouvre le coffre et commence à faire le tri des choses que je pourrais laisser histoire d’alléger le sac. Ah ouai c’est vrai, le parachute de secours, il faut que je le remette sur la sellette. Manque de pot, le célèbre bout de suspente fine qui sert à faire passer la boucle du pod est resté…je ne sais où chez moi. L’esprit de Mac Gyver me vient en aide avec l’élastique que j’arrache d’un masque de nuit pour les avions. Je me mets torse nu en prévision de la chaleur de la montée, attache ma polaire au sac et prend mon litre et demi d’eau dans la main gauche. Direction là-haut !

Il n’y a personne au parking à part une voiture de touristes étrangers qui en profite pour faire demi-tour. Je remonte le pré en direction de l’atéro, à la recherche du chemin qui monte droit dans la pente. Entre deux buissons, il y a bien un petit panneau en forme de flèche, au pied duquel des traces existent, mais ne forment à peine un sentier. Tant pis, je ne vais pas faire le tour par l’école et la route normale. Je m’engage donc dans cette ascension et bientôt, en regardant dans mon dos, j’aperçois l’étendue de la plaine de la Bresse, aplatie par le soleil d’été. Je suis si excité à chaque fois que je vais bientôt voler, que je marche sans m’arrêter, à la limite de la capacité de mes poumons. Je souffle, la sueur tombe parfois en goutte à goutte par mon menton, mais des gorgées régulières me permettent de continuer. C’est tellement raide, sans chemin vraiment tracé, que je dois naviguer un peu à vue et faire miens les sentiers que les vaches ont tracées.

Les branches des buissons qui griffent légèrement à mon passage, la fin des études il y a un mois, le soleil, les biplaces qui tournoient plus haut, une bonne soirée entre amis prévue ce soir, 15kg d’Ozone dans mon dos, et une fille un peu plus spéciale que les autres dans la liste de mes textos. Pour la première fois, je me dis à moi-même « Ma vie est vraiment parfaite ! » et ça me fait un petit quelque chose.

Je lève les yeux en arrivant dans le pré du décollage : la lame verte, noire et blanche de Jean-Marc Carron surgit de n’importe où, telle l’ombre de l’aigle qui arrive sur le lièvre insouciant ! Il fait des wingovers dans un petit sifflement, jusqu’au sol où il rejoint ensuite ses amis. Harassé, je n’ai pas la force pour monter jusqu’en haut du pré, et la bonne brise de pente qui souffle à cette hauteur m’autorise à déployer l’aile à cette hauteur, et aussi à me coucher là pour reprendre mon souffle. Pas trop non plus car les conditions ont l’air très bonnes.
Après avoir quasiment fini ma bouteille, je déballe un peu tout dans l’herbe verte, pendant que ma main droite écrit à ma mère un petit mot pour lui dire où je suis. Le petit rituel de la préparation s’effectue, chaque ustensile allant à sa place habituelle, sur moi, ou bien sur la sellette gisante. Dérouler l’aile produit cette unique sorte d’explosion mêlant joie, souvenirs, couleurs et léger stress. En clipsant mon casque, je deviens à nouveau ce cosmonaute parmi les papillons, harnaché pour en découdre avec les martinets, prêt à me cogner la tête aux nuages. Je suis enfin prêt à prendre les avants pour affronter le vent. Éole, me voilà ! Je passe avec succès la manœuvre de retournement : toutes les suspentes passent au dessus de mon casque sans rester coincées et je vais pouvoir gonfler face voile dans un instant.

Pas de vent.


Partie 2 : « Le sportif intelligent évite l’effort inutile »

Pas de vent ? Le coup classique. Même pas un souffle pour prégonfler, et ça n’a pas l’air de venir. Du coup, je prends tout en boule et remonte cinquante mètres jusqu’au début de la vraie zone de décollage, vers cet arbre buissonneux. Lui, l’herbe verte et rase, et les familles toujours présentes ici font de cet endroit une sorte de jardin, comme si tout le monde sortait du repas dominical sur la terrasse qui serait juste derrière. Une fois l’aile reposée correctement, je fais face à la plaine et mets pour de bon tous mes sens en éveil.

Quelques secondes après, le thermique arrive et la brise fait bouger mes caissons. C’est le moment, je me retourne et gonfle. La voile monte bien, c’est pas mal, pivotement, on va même pouvoir décoller. Un coup d’œil à gauche, et je marche, puis cours. J’aime faire durer ce petit moment où la portance vient égaliser votre poids, et m’efforce d’effectuer cette petite course joliment et de façon coulée, comme pour respecter la noblesse de l’acte de décollage. Dans le même esprit que l’escalade, il est question de beauté, de propreté du geste, afin d’être plus efficient. Une fois bien en l’air, je vire directement à gauche pour longer la pente et rejoindre la zone où elle est plus raide. Une voile décolle à son tour dans mon sillage. Les premiers bips du vario confirment les mouvements de l’aile, et je commence à virer un peu avant le gros arbre de la manche à air en contrebas du déco. En quelques mouvements, j’ai pris de quoi dominer la zone, mais le thermique ne tient pas ses promesses et m’oblige à poser dans la pente.

Voler au Mont Myon consiste en grande partie à jouer à ce petit jeu : si l’on n’atterrit pas dans la pente du pré assez tôt en cas d’échec, on se retrouve condamné à seulement 15m plus bas que le déco, à aller poser tout en bas dans la plaine. Donc mieux vaut ne pas trop insister sur une bulle si il n’y a pas de quoi tenir en dynamique comme aujourd’hui. Et plus on attend avant de se poser, plus la manœuvre est délicate dans une pente plus raide, des herbes plus hautes, des vaches et d’autant plus à remonter !

Une fois arrivé à mon point de départ, j’attends à nouveau le moment propice pour m’élancer. Redécollage, suivi rapidement par une autre repose scabreuse, due à l’absence de vent. Malheureusement, je suis contraint à cet exercice encore deux fois. Plus personne n’est en l’air. Je me dis que je suis arrivé trop tard : c’est de une heure à quinze heure qu’il faut être là, après c’est non garanti ! Bien décidé à enrouler le moindre souffle, je me place le plus au sud, et le plus haut au déco, pour être au plus proche de ce qui arrive, être « sur les lieux » directement, et avant le reste des voiles qui attendent si possible.

L’atmosphère se fait vraiment calme, et peu à peu, on s’assoit tous pour attendre. Pas un mouvement, pas un vent pendant plusieurs longues minutes. C’est le moment qu’on prend tous pour théoriser ou pour discuter. Etant seul, j’analyse cette pause aérologique comme étant le temps que met la Nature pour mettre tout ce qu’elle a de côté et nous envoyer tout ça d’un coup en un bon gros thermique ! Il n’y a pas de raisons objectives pour que la convection s’arrête à cette heure, et c’est pourquoi je reste assez optimiste pour la suite. Si ce n’est pas le prochain, ça ne saurait tarder. Je repense à tous ces petits schémas de cycles thermiques de Gérald Delorme, les anecdotes aérologiques d’Hubert Aupetit. Je scrute le moindre brin d’herbe, la moindre branche, mais aussi bien-sûr la manche à air. Elle indique plutôt une mini brise descendante tellement il n’y a rien d’ailleurs. Puis je comprends. En regardant encore mieux, il y a un petit rapace là, juste en face ! À côté, les pilotes parlent gaiement entre eux, et je décide de prendre le pari : c’est le thermique, il est là, prêt, à 100m devant nous. Dès que la manche à air bougera, ce sera le signal.

Ça ne loupe pas, elle se met bientôt à s’agiter, elle se raidit carrément, signe de bon établissement de la brise. Sans qu’aucun brin d’herbe ne bouge encore à notre niveau, sans qu’on ne sente encore rien du tout, je fait un décollage dos-voile vigoureux et fonce vers la manche à air, plein d’espoir.


Partie 3 : Et pourtant, nous sommes là-haut à frissonner

En position finesse max dans un air calme, j’atteins en quelques secondes le point de rendez-vous convenu avec le thermique, approximativement au dessus de l’arbre. Je suis accueilli en lui par cette ferme sensation d’être poussé vers le haut. La voile se tend, les commandes de frein aussi, et j’engage un virage à gauche alors que je monte déjà de plusieurs mètres. J’ai déjà eu ma réponse et j’ai tout de suite senti que le thermique n’était pas de la même trempe que les précédents. Il semble large et constant et je peu presque dès maintenant faire mon virage face à la pente pour l’enrouler, tant il tient ses promesses. Mais j’assure en faisant un premier huit le long de la pente avant de m’engager vraiment.

Je suis déjà à une bonne dizaine de mètres au dessus de l’altitude des voiles qui sont encore au sol. A la vue de mon ascension rapide, le groupe se met à décoller rapidement un par un ou presque simultanément, pour me suivre dans la colonne magique. Whouhou ! C’est génial ! Je dépasse la hauteur de la crête, signe que je prends pour le réel départ de mon vol, et mon entrée dans le ciel. Je m’applique à tout optimiser : ma position aérodynamique, le cadençage et la régularité de mes tours, la position taux de chute minimum de mes mains, l’inclinaison dans la sellette, le centrage dans le thermique. Je suis heureux d’avoir pris cette avance sur les autres car comme cela, le thermique est à moi tout seul pour ainsi dire, et je ne suis pas obligé de composer avec d’autres pilotes à la même hauteur, ce qui aurait divisé d’autant le taux de montée. Je suis de ce fait encore plus efficient et la montée se poursuit dans la joie, la concentration, la contemplation et un peu de fierté aussi ! Le gai bip bip du vario m’accompagne, ainsi que trois ou quatre autres pilotes sous moi qui ont réussi à s’extraire.

Au bout de quelques cinq cent mètres verticaux cependant, l’ascenseur faiblit puis s’éteint. Il a dit « non, fini pour l’instant, à plus tard ! ». Nous nous retrouvons ainsi un peu bredouilles en plein milieu du ciel, un peu plus haut qu’à mi plafond approximativement. Le temps est maintenant à la dégustation du moment : installation confortable, face à la plaine pour retourner à la verticale du décollage, entre finesse max et taux de chute mini comme à mon habitude. Il fait beau et les cumulus sont devenus rares au dessus de nous. Comme pour bien constater ma hauteur, je crache dans le vide et observe la chute des corps, jusqu’à ne plus rien pouvoir distinguer.

En retombant nous aussi comme le prédisait Newton, nous nous devons quand même de penser à la seule règle le contredisant : tout bon parapentiste, pour continuer son vol, doit trouver son prochain remonte-pente. C’est ainsi que je me mets à ratisser à peu près à la verticale de la crête. La plus grosse part de la grappe est déjà reposée au déco, ou bien les biplaces en direction de l’atterrissage. Mais grâce à l’avance que j’ai depuis le début, je fais partie des trois seules voiles qui ont encore assez de hauteur pour être encore en l’air à l’instant où le thermique suivant s’est reformé. On le retrouve alors entre cinquante et cent mètres de hauteur par rapport au décollage, et nous nous remettons avec grâce à enrouler.

Avec une des deux autres voiles, on se retrouve bientôt à la même hauteur, et commençons cet exercice si beau de se synchroniser bout d’aile contre bout d’aile, à chaque extrémité d’un diamètre sur un cercle commun. Les yeux dans les yeux, on s’observe, on s’adapte à l’autre pour bien arrondir la danse. Tristement, ça ne dure jamais longtemps avec moi, du fait de la faible vitesse de ma voile sortie d’école en taux de chute mini. On fini toujours par me rattraper et me contourner par l’extérieur, avec mon petit rayon de virage. Mais le thermique est consistant et on grimpe facilement dans du +2,5 tout doux, qui faibli imperceptiblement. Une fois bien établis en haut de la plaine, commence la partie où les bulles se sont regroupées et où il s’agit de rejoindre le plafond qui est encore à 200m à peu près. Le vario ralenti et baisse à 1 ou 1,5m/s : nous élargissons les virages et allons prospecter peu à peu où ça nous chante : deux tout petit cumulus arrivent et on commence à naviguer aux nuages. Maintenant, on est bien en retrait du mont Myon : déportés derrière par le vent, on a carrément dépassé l’aplomb de l’autre rangée de collines, couvertes de forêts. Cela ne m’était encore jamais arrivé d’aller si loin en distance horizontale par rapport au décollage.

Tout devient plus froid, plus immobile, plus grand. On est maintenant les deux seuls à s’être engagés dans cette montée au ciel. La troisième voile retourne loin, seule, en direction de l’atterrissage. Nous traquons chaque centimètre par seconde de vent ascendant, le vario tournant maintenant vers les 0,5m/s. Mille mètres au dessus de la plaine, il fait froid et je grelotte dans ma polaire, mon jean et mes chaussures trouées. J’améliore ma position pour exposer le moins possible de ma peau au vent. Je croise les jambes, ralenti encore un peu, étanchéifie un peu la zone où l’air arrive entre mes gants et les manches. Je veux aller le plus haut possible aujourd’hui : toucher les nuages ! Et accessoirement monter plus haut que mon compagnon de vol inconnu, qui semble avoir une aile plus récente que la mienne. Nous montons cependant strictement à la même vitesse, les différents choix que nous prenons se compensant en moyenne. Je vise la direction du cumulus, qui a fondu en barbulles, et qui se trouve de façon heureuse, au vent, dans la direction du déco. Pendant quelques secondes, d’une main, je freine et me dirige, tandis qu’avec l’autre bras je me réchauffe le plaçant sur le thorax, la main sur l’épaule. Nous zérotons les deux ensemble ces bulles, sans jamais vraiment se séparer de plus de deux cent mètres l’un de l’autre. Cela fait bientôt surement une heure qu’on est en l’air, je ne peux pas dire. Les couleurs deviennent chaudes, celles annonciatrices d’une belle soirée d’été et pourtant, nous sommes là-haut à frissonner, à chercher on ne sait quoi dans cette immensité glaciale, collés à quelques mètres sous les barbulles.

Devant l’immobilité du ciel et de ce vol, mon corps et les nuages me disent qu’il est temps de revenir sur une orbite plus basse et m’invitent, à juste titre, à aller voir ailleurs…


Partie 4 : Des moineaux dans la lumière des arbres vert dorés

J’atteins en quelques minutes la verticale du décollage, encore un peu collé au ciel. Avec le froid qui m’a étreint, j’ai envie de tuer le plus vite possible ces quelques 500m gratuits sous mes pieds, pour revenir dans la chaleur de l’été que les humains normaux connaissent.

J’engage alors une grosse descente en spirale, qui participera encore à mon perfectionnement pour cette manœuvre extrême. Je ne suis pas encore bien rassuré à tous les coups et j’ai toujours une appréhension pour la sortie des 360 impressionnants. Une fois prêt psychologiquement et redressé comme pour aller au combat, je me penche à gauche et descends le frein gauche profondément. En deux secondes, je commence à sentir l’énergie, cette tension dans la voile qui s’installe. Je tire encore plus et observe le beau bord d’attaque blanc tendu, pivoter et rejoindre l’horizon. La voile est installée sur ses rails, je ne sens plus de secousses, tout va très vite, et je m’efforce de bien mettre l’aile à l’horizontale, faisant face à la planète. C’est vraiment une des choses les plus impressionnantes que j’ai faites dans ma vie. La force centrifuge se fait sentir bien vivement maintenant. C’est dingue, ce réflexe qu’on a de se mettre à respirer très fort, comme si on courrait, pour assurer la circulation dans toutes les parties du corps. J’ai vraiment l’impression d’être dans une autre dimension : plus de haut ni de bas, tout tourne à cent à l’heure, scotché à la sellette par une force centrifuge énorme. Tout est lourd, tout est fixe, immobilisé au sein de mon embarcation. Pourtant, rien ne permet d’aller plus vite qu’avec cette manœuvre : je tombe du ciel à une vitesse incroyable vers le sol. Je dois juste me concentrer sur le seul monde qu’il me reste : le bout de mon aile et mes freins, pour garder une position stable. Comme une pointe à 180 sur l’autoroute, le moindre mouvement des mains aléatoires et c’est l’accident assuré. Après une trentaine de seconde d’excès de vitesse dans la troisième dimension, je relève les mains pour finir la descente et revenir à un vol normal.

J’ai perdu toute l’altitude que m’avait offerte Eole, et suis maintenant à quelques 50m au dessus du pré du décollage. C’est l’heure de m’amuser dans le vent faiblissant, comme c’est mon habitude après un beau vol de l’après-midi au mont Myon. Je me pose rapidement pour retrouver mes esprits, puis redécolle tranquillement pour un soaring dans la lumière des arbres vert dorés du début de soirée. Il reste encore de quoi tenir le long de la pente, et je remarque bientôt un petit groupe d’oiseaux, moineaux ou martinets, qui batifolent au raz des arbres. Je suis honoré de pouvoir leur rendre une courte visite, m’étant humblement autorisé à pénétrer sur leur territoire intime. Quelques virages au dessus de la crête arborée, à l’extrême sud de la colline, me permettent de les observer au plus près. Je touche presque les plus hautes branches des pieds par moments, entouré par les tout petits oiseaux qui tournoient à une quinzaine de mètres, dans le même espace que moi, à égalité. Cherchent-ils eux aussi un compagnon de vol ? Sont-ils en train de travailler à construire leur nid ? Peut-être qu’ils dinent de bons insectes réchauffés par l’après-midi, dans la restitution. D’ailleurs, je suis bientôt exténué et je ne vais pas tarder à moi aussi aller me mettre en quête de nourriture !

Posé à nouveau au sommet, j’admire une dernière fois la vue sur la plaine ensoleillée. Un dernier rite : quand toute la brise a presque disparue, quand il ne subsiste qu’un tout petit souffle, je gonfle la voile et m’assieds dans l’herbe, face au vent. Cet exercice, tout en finesse, me permet de refaire quelques minutes de vol contemplatif, sans prendre de hauteur bien-sûr, quand le vent de peut pas me sustenter. Le pilotage se fait au gramme près de tension dans les suspentes, tout autant qu’à la sellette. Et on en apprend sur le comportement en vol, en même temps que sur le pilotage au sol, encore plus et plus vite que dans les autres positions. Une fois rassasié de la vue et à bout, je fais une dernière course dans la pente, direction : l’atterrissage tout en bas. Pas une turbulence, pas un souffle pendant ce plouf ne viennent perturber la quiétude qui s’est installée sur la Bresse. Je réalise alors un atterrissage qui pour une fois me satisfait : étape finale correcte, arrondi agréable et posé bien au milieu du champ ! Encore un dernier effort à faire et pas des moindres : plier la voile malgré la fatigue, la faim, la soif et la chaleur torride du pré. Mais l’euphorie de la fin du vol, les souvenirs tous neufs encore dans mes yeux, les sensations encore présentes au cœur, me font toujours tenir le coup très facilement.

Et c’est enfin le retour vers Lyon, sur les routes rectilignes de la banlieue de Bourg-en-Bresse, puis l’autoroute, la civilisation. Deux heures après, je rejoins mes deux colocataires non-volants dans les pentes de Croix-Rousse. Un autre ami est déjà là pour l’apéro alors que je range mes petites affaires. « Alors, c’était bien cet aprèm ? T’as volé ? – Ouais, cool ! J’ai pris pas mal de hauteur ! » Si seulement ils pouvaient comprendre…
Spoiler:
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