Histoires de fumoir

Ce fil de discussion est consacré à un autre petit livre qui s'intitule "Histoires de Fumoir".  Collection "Le livre d'aujourd'hui" par Les éditions de France.
L'exemplaire que je tiens entre les mains, a été imprimé le 25 juin 1932 et coûtait à l'époque 6 Francs. L'équivalent, en 2023, de 445 euros.

Il sent très bon le vieux papier et l'encre. Il est fort plaisant de plonger le nez entre ses pages.
Les bords sont biscornus mais les pages en excellent état, son teint jauni lui confère un charme certain.
Il y a quelques petites empreintes de doigts, très légères, disséminées de-ci de-là. J'aime bien y poser les miennes, d'empreintes, et me demander s'il s'agit d'empreintes d'hommes ou de femmes selon leur taille.

Je me demande si un auteur, un poète s'est déjà emparé du thème de la "sensualité de l'objet livre". Je me dis qu'il est hautement improbable que cette excellente idée n'est pas déjà été exploitée. Je me promets alors de me renseigner. Pour trouver cette communauté de gens qui jouissent de la narine.

Je me demande si l'on inventera, bientôt, des liseuses kiddl/kobo, avec diffuseur d'odeur de vieux papier...une fois que les pros du marketing auront compris la dimension olfactive de ce produit.
J'essaie déjà d'imaginer la pub pour justifier cet ersatz. Comique.

Peut-être qu'ils inventeront également, pour ces tablettes, des sortes de pochettes de protection à la sensation tactile "couverture de livre" ?
Et puis qui sait, d'ici 6 générations,  un con prénommé Dédé passera dans leur service et lancera en l'air cette idée un peu fumante :
" Hey les gars, et si on remplaçait l'écran de la tablette par de vraies feuilles en papier ? Vous savez, pour donner un style ultra rétro, comme les vieux livres d'avant ? Les jeunes ils adorent les trucs rétros! "  Et puis tous hocheront la tête en mode:
"hannn wééééé t'a trop rézon dédé! on va fer çaaaaaaaa"

Puis six générations plus tard, un autre con se manifestera au service marketing et proposera une nouvelle idée encore plus audacieuse: qu'on mette des mots entre ces pages.
Ce sera le début de la révolution.
Ou pas.


A défaut de vous transmettre cette odeur extraordinaire, je me permets de vous partager ses mots, ces "histoires de fumoir".
Certaines sont assez révélatrices des mœurs et du niveau de langue d'antan. Essayons de ne pas être nostalgiques et de simplement profiter de ce petit bout d'Histoire qui a subsisté.

Bonne lecture.

La jolie Mme de V...avait dîné à côté du vieux R..., dont l'haleine n'était pas précisément parfumée:
- Je savais bien qu'il avait été exécuteur testamentaire, remarqua-t-elle en quittant la table au bras d'un autre convive, mais j'ignorais qu'il avait mangé le cadavre.

Du même monsieur, au souffle redoutable, on disait encore:
- Quand, à côté de lui, on mange du poulet, on croit que c'est du faisan.

***

Une institutrice genevoise, voulant descendre d'un tramway, tombe assise sur la chaussée; un balayeur de rue, en manière de plaisanterie, lui demande grossièrement: "Vous ne vous êtes pas cassé le...derrière?" et la spirituelle calviniste de répondre froidement:
- Je n'en serais pas étonnée, il y a si longtemps qu'il est fendu...

La comtesse de M... a la mauvaise manie de réciter des vers, des vers de douze pieds et une cheville.
Un soir, après un dîner où assistait le président du Conseil, quelqu'un lui demande de dire un poème. Elle se fit d'abord prier. Puis, elle céda "pour faire plaisir à M. le Président".
- Oh! remarqua finement celui-ci, le Gouvernement ne déteste pas qu'on lui fasse un peu d'opposition.

Réclame pour un soutien-gorge:
"Maintient les forts, soutient les faibles, ramène les égarés."

La grande joie de Tom (quatre ans) était de pousser les chaises le plus vite possible devant lui, et de souffler très fort en imitant une locomotive qui prend le départ. On lui interdisait ce jeu, qui finissait toujours très mal pour un des meubles du salon.
Un jour qu'un visiteur s'était fait annoncer pendant le repas, le père de Tom pria ce monsieur d'attendre quelques instants au salon.
- Il va s'ennuyer, dit la mère de Tom.
- Comment! s'écria l'enfant, il a toutes les chaises !

Un amateur de bons vins avait parié qu'il reconnaîtrait au goût l'origine et l'année de n'importe quel cru. Le pari est tenu, on lui bande les yeux.
On apporte une bouteille, on remplit un verre.
- QU'est-ce que c'est que ça?
- Château-Yquem 1906.
- Exact.
Nouvelle bouteille. Nouveau verre.
- Ceci ?
- Montrachet 1911.
- Parfaitement.
Le dégustateur boit encore sept petits verres, sans jamais se tromper dans ses affirmations. On l'applaudit. Il a gagné son pari.
- Encore une épreuve, crie quelqu'un, qui lui présente quelques gouttes d'une dixième boisson.
L'homme aux yeux bandés hésite, claque la langue et finalement avoue:
- Je n'ai jamais bu ça...Je ne vois pas ce que c'est...
- C'est de l'eau, s'exclame l'auditoire en riant.

Le plus beau moment de l'amour, c'est quand on monte l'escalier.
Georges Clemenceau.

C'était pendant la guerre, à l'époque des restrictions.
D'une voix sourde et triste, le solennel Victor Boret, ministre de l'Agriculture, fit au Conseil des ministres cette déclaration:
- Je vais être obligé d'interdire qu'on consomme du fromage dans les restaurants. J'ai, en effet, remarqué que les clients prennent du fromage pour terminer leur pain, puis du pain pour finir leur fromage, et ainsi de suite....
- Ah! les salauds ! s'écria Clemenceau

En Savoie, où le roi voyage.
Un messager arrive au grand galop de son cheval. Il apporte au roi un pli urgent.
- Où est le roi ? demande-t-il à un paysan.
- Ichi, répond le Savoyard.
- Portez-lui alors ce papier, dit le messager en tendant l'enveloppe à l'homme.

Un Américain, qui vient d'arriver à Paris, hèle un taxi et ordonne au mécanicien de lui montrer les principaux monuments de la capitale. La voiture arrive devant l'Arc de Triomphe.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? questionne notre hôte.
- C'est l'Arc de Triomphe.
- Combien de temps a-t-il fallu pour le construire ?
- Trente ans.
- En Amérique, cet arc aurait été érigé en deux ans, remarque l'Américain d'un ton péremptoire.
Quelques instants après, l'auto passe devant la tour Eiffel.
- C'est la fameuse tour Eiffel ?
- Oui, confirme le mécanicien.
- Combien de temps a-t-il fallu pour la construire ?
- Plusieurs années.
- En Amérique, quelques mois auraient suffi.
Mais, comme la voiture parvenait devant Notre-Dame:
- Qu'est-ce que c'est que cette église ? questionne le visiteur.
- Je ne sais pas, répond le chauffeur.
- Comment, vous ne savez pas?
- Non, elle n'était pas là hier...Ils ont dû la construire pendant la nuit.

Venise. Au mois d'août. La gondole glisse en silence.
Le jeune comte contemple avec amour la jolie marquise aux cheveux du plus pur blond bénitien.
Soudain, la gondole accoste les marches du palais Lorédan. Léger, le comte saute à terre et tend la main à la jeune femme qui, dans un geste lent et gracieux, enjambe le miroir immobile de l'eau.
Le jeune comte, les yeux baissés et d'un air distrait. - Tiens, chère amie, vous ne m'aviez pas confié que vous étiez brune.

La femme fidèle est celle qui ne s'acharne que sur un seul homme.

- Voulez-vous vous laver les mains avant le déjeuner ?
- Non, merci, répond le mufle, je viens de me les laver contre le mur.

Un monsieur en habit et pelisse et une femme très élégante - manteau de vison et collier de perles - aperçoivent, au moment d'entrer dans un restaurant, un pauvre diable loqueteux qui contemple avec envie, à travers la glace, les tables recouvertes de nappes d'une blancheur liliale, les seaux à champagne et les mets raffinés.
- Le veinard, il a faim ! remarque le riche partisan.

Le lendemain de son mariage, un jeune homme télégraphia à sa belle-mère :
7 et 3, 13 et 3.

Réponse de la belle mère :
6, 7 et 3, 7 et 9.

Au café, en Italie, deux magnifiques gaillards ne sont pas d'accord sur le régime politique qui convient à leur pays. Discussion. Ironie. Sarcasmes. Dispute. Insultes. Menaces.
Les deux gaillards se montrent le poing. Ils se lèvent. Ils sont à deux mètres l'un de l'autre. Ils s'injurient. Ils ne sont plus qu'à un mètre. Ils se rapprochent, les voilà à 80 centimètres, à 60, à 50, à 20, à 10, ils se frôlent, ah! Ah! Ah! Ils se touchent, ils sont collés l'un à l'autre, ils se raidissent, ils lèvent ensemble la main, ils ferment le poing, ils sont blêmes, ils ne bougent plus.
- Il n'y a donc personne pour nous séparer ici? demande en se retournant le plus nerveux des deux gaillards.

Définition du paresseux par Alphonse Allais:
" Un paresseux est un homme qui ne fais pas semblant de travailler."