Mily on air

Brest, 1915.

C’est le placard, bordel, le PLACARD. Brest. Mais je leur ai fait quoi putain ? J’étais bien parti pourtant. Comme ils étaient fiers mes parents, quand j’ai obtenu ma bourse pour rentrer au lycée Montaigne à Bordeaux. Moi, le fils d’une couturière et d’un ragréeur de voiles. J’étais le meilleur. Même à polytechnique, j’étais 19ème sur 209 candidats à l’admission.
Je plafonne. Capitaine de vaisseau au bout de 25 ans. Mes camarades de promo sont déjà généraux … ou morts. Pourtant j’ai vendu jusqu’à mon slip avec le corps expéditionnaire de Madagascar, ces enfoirés me payaient même pas les traitements de ma légion d’honneur. L’autre là, le rital, le Gallieni, il en a bien profité. « Camille, mon cher Camille … ».
Mais qui veut aller vivre à Brest ? Marie-Louise devient folle, elle regarde par la fenêtre en soupirant. Elle ne sort que peu, les gens la dévisagent.

« Camille, mon cher Camille, j’ai pensé à vous pour une mission d’importance. Comment va Marie-Louise ? Quelle épouse charmante vous avez là. Et Brest, ça vous plait ? Mon cher Camille, les choses vont bien mal à Paris, nous aurions bien besoin d’un homme de votre trempe ».
Ca pue le traquenard. Chaque fois qu’il m’a donné du « Mon cher Camille », j’ai fini par faire des trucs dégueulasses. Mais j’ai signé. Et mes parents sont si fiers. Paris ? J’ai essayé d’en parler à Marie-Louise. Elle est ravie, et elle a déjà préparé les malles. Elle ne se rend pas compte. Marie-Louise, mais Paris, c’est la mort, et je n’aurai même pas une rue à mon nom.

« Mon général, Mortenol a-t-il répondu ? Ça devient chaud là ? Mais mon général, un marin pour la DCA ? Vous êtes sûr ? Je le croyais plutôt spécialiste de la torpille, le Mortenol ? »
Il viendra. Cet homme a le sens du devoir, et ses ambitions ont été suffisamment brisées. S’il lui reste encore une once de rêve de gloire, il viendra.
-          Mais mon général, on va leur dire quoi, aux gars ? Vont pas comprendre. Faudrait peut-être les prévenir avant.
-          Ils s’y feront. Mortenol, c’est un zélé, un rigoureux, il a fait ses preuves. Et puis, on a plus vraiment le choix, tous les autres …
-          Soit, Mortenol alors, attendons sa réponse.

« Mon cher Camille, je suis bien aise de vous voir, mon aide de camp va vous montrer vos quartiers et vous présenter vos hommes. Oui, oui, bien sûr ils vous attendent. Nous leur avons raconté vos exploits dans la coloniale. Vous êtes bien pale, Camille, j’eus pensé que l’air de Brest vous aurez fait le plus grand bien. Un peu d’action vous redonnera des couleurs, ah ah. Un cigare ? Si vous saviez comme il est difficile de s’en procurer ces jours ci.
Camille, j’ai tant de souvenirs. Ah, la prise de fort Malgache. Je raconte souvent cette histoire, et l’étonnement de l’ennemi lorsqu’il vous a vu surgir, tel un diable sortant de sa boite. Et le Gabon, et les mers de Chine. Bien sûr, bien sûr, vous vous souvenez ».

Les hommes sont dépenaillés et hagards, tout sent la désorganisation.
« Un ramassis de loufiats torves fumiers tonitruants au verbiage poussif, fielleux et rampant.
Que dire à tous ces gâteux de servitude … pantins pervers, à ses brelans d’insignifiance »
Pas étonnant qu’il ait pensé à moi. « un peu d’action vous donnera des couleurs ». Je crois qu’il a grillé mon rictus. Je t’en foutrais moi des couleurs.
Mais comme d’habitude, je vais faire le job. Peut-être qu’on écrira sur moi, et je l’aurai, la rue à mon nom. Je verrai bien un Boulevard. Boulevard du commandant Mortenol. Avec de beaux magasins ou Marie-Louise pourrait faire ses emplettes en paix.

« Officier supérieur du plus grand mérite, à son poste jour et nuit pour veiller sur Paris, assure ses fonctions avec un rare dévouement et une compétence éclairée » L’effort colonial
Mission accomplie. Je ne vais pas mourir à Brest. A défaut du panthéon, j’aurais droit à ma tombe au 32 rue de Vaugirard. Et la rue à mon nom. Une impasse débouchant sur les quais Valmy. Rue du commandant Mortenol.

« Combien sont-ils à s’obstiner, malgré les fondements documentaires, à glorifier Mortenol, le militaire. Ils veulent imposer un mythe, un modèle. Mortenol, pour eux, sert d’oriflamme aux cavalcades meurtrières des consuêtes européennes en Afrique, à Madagascar et en Indochine. Ils veulent mettre un nom « commandant Mortenol », sur l’impasse de la colonisation … » Oruno D. Lara, Mortenol, un colonisé exemplaire.

Mortenol:

S'exprimer sert toujours. Il n'est pas nécessaire de te faire corriger, mais de te faire comprendre.
Je suis pas copine avec la façon dont on enseigne les langues étrangères en France, en créant des complexes dès le début. Un élève de collègue s'exprime en anglais environ 10 minutes par semaine, pour les plus hardis. Autant te dire que dans ma classe, c'est Mily Out Loud pendant 1h30, et que les autres faisaient ... autre chose.
J'ai eu une chance dans ma scolarité, c'est qu'aucun de mes professeurs d'anglais n'étaient français. J'ai eu un sud africain, une américaine et une viet-namienne. Ils avaient en commun de mettre en avant la communication coute que coute, en espérant que la grammaire se corrigerait par habitude. Cela a parfaitement marché pour moi, car j'ai une approche rythmique de la langue. Je suis parfaitement incapable de t'énoncer la règle qui fait qu'on doit mettre some ou any, qu'on doit utiliser le preterit ou le present perfect ... pourtant mes fautes grammaticales ne sont pas perceptibles à l'oral (à l'écrit c'est autre chose, mais je prends plus de temps pour réfléchir). Je respecte une rythmique, je sens ce qui sonne juste ou pas. Je me demande si ce n'est pas une forme de synesthésie, comme le fait qu'une ponctuation mal maitrisée me fait le même effet que quelqu'un qui bégaie ou un disque qui saute, en perturbant la rythmique de la phrase.

Fin bref, tout ça pour dire, un anglophone s'en fout total que tu fasses des fautes, pour de vrai. Alors on gagne toujours à se lancer. Et si tu veux qu'on te corrige, no pro.