un mythe, une histoire, pour tous les amoureux de...

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Message par Phedre Dim 4 Avr 2010 - 12:54

"Tu sais, Eryximaque", reprit Aristophane, "J'ai l'intention de parler de l'amour tout autrement que toi et que Pausanias : il me semble que les hommes ont tout à fait ignoré la puissance d'Éros; s'ils la connaissaient, ils lui construiraient des temples grandioses et des autels, lui feraient des sacrifices somptueux; pour le moment, rien de tel en son honneur, alors qu'il le faudrait par-dessus tout.

Il est, de tous les dieux, le plus philanthrope, le protecteur des humains, et médecin de maux qui, s'ils étaient guéris, le plus parfait bonheur en résulterait pour la race des hommes. Je tenterai donc de vous exposer sa puissance, et vous l'enseignerez ensuite aux autres.

En effet, notre nature originelle n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui, loin de là. D'abord il y avait trois genres, chez les hommes, et non pas deux comme aujourd'hui, le masculin et le féminin; un troisième était composé des deux autres: le nom en a subsisté, mais la chose a disparu : alors le réel androgyne, espèce et nom, réunissait en un seul être le principe mâle et le principe femelle; il n'en est plus ainsi, et le nom seul est demeuré, comme une injure.

Ensuite, chaque homme avait la forme d'une sphère, avec le dos et les côtes en arc, quatre mains, autant de jambes, et deux faces reliées à un cou arrondi, tout à fait identiques; pour ces deux faces opposées, un seul crâne, mais quatre oreilles, les pudenda en double, et tout le reste, que l'on peut imaginer, sur le même modèle.

Notre homme pouvait se promener où il voulait, comme aujourd'hui, en station droite; et quand il éprouvait le besoin de courir, il s'y prenait comme nos équilibristes qui font la grande roue en lançant leurs jambes en l'air : grâce aux huit membres sur lesquels ils prenaient appui, ils avançaient très vite en roulant.

S'il y avait trois genres, et tels que j'ai dit, c'est que le premier, le mâle, était originellement fils du soleil, le second, femelle, tiré de la terre, et le troisième, participant des deux, de la lune, parce que la lune aussi a cette double participation.

Ils avaient, je l'ai dit, une forme sphérique, et se déplaçaient circulairement, de par leur origine; de là aussi venaient leur force terrible et leur vigueur. Ayant alors conçu de superbes pensées, ils entreprirent contre les dieux, et ce que dit Homère d'Éphialte et d'Otos, que ceux-ci entreprirent de monter jusqu'au ciel pour attaquer les divins, on le dit aussi d'eux.

Alors Zeus et les autres dieux délibérèrent sur le châtiment à leur infliger, et ils savaient que faire : pas moyen de les tuer, comme pour les géants, de les foudroyer et d'anéantir leur race - ce serait supprimer les honneurs et le culte que leur rendent les hommes - ni de tolérer leur insolence.

Après une pénible méditation, Jupiter donc enfin son avis: " Je crois qu'il y a un moyen pour qu'il reste des hommes et que pourtant, devenus moins forts, ceux-ci soient délivrés de leur démesure; je m'en vais couper chacun en deux, ils deviendront plus faibles, et, du même coup, leur nombre étant grossi, ils nous seront plus utiles; deux membres leur suffiront pour marcher; et s'ils nous semblent récidiver dans l'impudence, je les couperai encore en deux, de telle sorte qu'il leur faudra avancer à cloche-pied. " Sitôt dit, sitôt fait : Zeus coupa les hommes en deux, comme on coupe la comme pour la faire sécher, ou l'oeuf dur avec un cheveu.

Chacun ainsi divisé, il prescrivit à Apollon de lui tourner le visage, et sa moitié de cou du côté de la coupure, afin qu'à se bien voir ainsi coupé, I'homme prît le sens de la mesure; pour le reste qu'il le guérît !

Apollon donc retourna le visage, et tira de partout sur ce qu'on appelle maintenant le ventre, serra comme sur le cordon d'une bourse autour de l'unique ouverture qui restait, et ce fut ce qui est maintenant appelé le nombril.

(...)

Une fois accomplie cette division de la nature primitive, voilà que chaque moitié, désirant l'autre, allait à elle; et les couples, tendant les bras, s'agrippant dans le désir de se réunir, mouraient de faim et aussi de paresse, car ils ne voulaient rien faire dans l'état de séparation. Lorsqu'une moitié périssait, la seconde, abandonnée, en recherchait une autre à qui s'agripper, soit qu'elle fût une moitié de femme complète - ce que nous appelons femme aujourd'hui -, soit la moitié d'un homme, et la race s'éteignait ainsi.

Pris de pitié, Zeus imagine alors un moyen : il déplace leurs sexes et les met par devant - jusque-là ils les avaient par derrière, engendrant et se reproduisant non les uns grâce aux autres, mais dans la terre comme font les cigales. Il réalisa donc ce déplacement vers l'avant, qui leur permit de se reproduire centre ceux, par pénétration du mâle dans la femelle, et voici pourquoi : si, dans l'accouplement, un mâle rencontrait une femelle, cette union féconde propagerait la race des hommes; si un mâle rencontrait un mâle, ils en auraient bien vite assez, et pendant les pauses, ils s'orienteraient vers le travail et la recherche des moyens de subsister.

De fait, c'est depuis lors, que l'amour mutuel est inné aux hommes, qu'il réassemble leur nature primitive, s'attache à restituer l'un à partir du deux, et à la guérir, cette nature humaine blessée.

Chacun de nous est donc comme un signe de reconnaissance, la moitié d'une pièce, puisqu'on nous a découpés comme les soles en deux parts; et chacun va cherchant l'autre moitié de sa pièce : tous ceux, alors, parmi les hommes, qui proviennent de l'espèce totale, de ce que l'on appelait l'androgyne, aimant les femmes; la plupart des hommes adultères ont même origine, ainsi que les femmes qui aimant les hommes et celles qui trompent leurs maris.

Pour les femmes qui sont issues de la division d'une femme primitive, elles ne prêtent pas spontanément attention aux hommes, se tournent plu tôt vers les autres femmes, et ce sont nos tribades.

Enfin, tous ceux qui proviennent de la division d'un pur mâle, ceux-là chassent le mâle; tant qu'ils sont enfants, en vraies petites tranches de mâle, ils recherchent les adultes, aiment à coucher avec eux et se faire embrasser, et ce sont les meilleurs, entre les garçons et les jeunes gens, parce que les plus proches du courage viril; on a tort de les dire impudiques; ce n'est pas l'impudeur qui les meut mais la hardiesse, le courage, la crânerie virile, dans la recherche de ce qui leur ressemble; et en voici une bonne preuve : au terme de leur développement, ils sont les seuls à s'occuper de politique; à l'âge viril, ils aiment les garçons, et s'ils songent à se marier, à faire des enfants, ce n'est pas spontanément, mais sous la contrainte de l'usage; leurs goûts les portent plutôt à vivre entre eux, et sans mariage, de toute nécessité, un homme de cette espèce doit aimer les garçons et rechercher l'amour, en s'attachant à ce qui a même origine que lui.

Ainsi lorsque les amants - amoureux des garçons, ou dans tout autre amour - ont rencontré justement la moitié qui est la leur, c'est miracle comme ils sont empoignés par la tendresse, le sentiment de parenté, et l'amour; ils ne consentent plus à se diviser l'un de l'autre, pour ainsi dire, même un instant. Et tels sont bien ceux qui demeurent ensemble jusqu'au terme de leur vie, et qui ils pourraient même pas définir ce qu'ils attendent l'un de l'autre ! Il est invraisemblable que la jouissance physique explique leur si vif désir d'être ensemble : leurs âmes, de toute évidence, désirent autre chose, qu'ils ne peuvent pas dire, mais qu'ils pressentent et insinuent.

(...)

mais si nous retrouvons les faveurs du dieu, si nous nous réconcilions avec lui, nous découvrirons et approcherons l'autre partie de nous-mêmes nos amours, aventure qui arrive à bien peu aujourd'hui !

Et je prie Éryximaque de ne pas faire le railleur en prétendant que je veux parler de Pausanias et d'Agathon - peut-être bien qu'ils sont du nombre de ceux dont je parle, et que tous deux possèdent cette nature mâle - mais je parle de tous hommes et femmes, et j'assure que notre race atteindrait au bonheur si seulement nous allions au bout de notre amour, et si chacun, rencontrant les amours qui sont faites pour lui, revenait à sa nature originelle.


Si tel est le bien suprême, nécessairement, parmi tous les objectifs aujourd'hui à notre portée, celui qui s'en rapproche le plus est le plus beau : et c'est de rencontrer l'ami naturel de son coeur. Notre hymne à la cause divine de cette rencontre, comment ne monterait-il pas vers Éros qui présentement nous est le plus utile, car il nous guide vers ce qui est fait pour nous et, quant à l'avenir, si nous gardons la piété envers les dieux, il nous apporte l'espérance supérieure d'une restitution de notre nature originelle, d'une guérison qui nous donnera le bonheur et la joie ?

Document : le mythe de l'androgyne


Mircea Eliade, Méphistophélès et l'androgyne, Paris, Gallimard, Collection "Idées", n° 435, 1962 : extrait du sous-chapitre : "le mythe de l'androgyne", pages 149-155.

Le mythe de l'androgyne.

Notre propos n'est pas davantage de résumer l'histoire de la doctrine de l'androgyne dans la Renaissance, au Moyen Age et dans l'Antiquité. Il suffit de rappeler que, dans ses Dialoghi d'Aurore, Leone Ebreo avait essayé de rattacher le mythe de l'androgyne de Platon à la tradition biblique de la chute, interprétée comme une dichotomie de l'Homme Primordial 50.

Une doctrine différente, mais pareillement centrée sur l'unité primitive de l'être humain, avait été soutenue par Scot Érigène, qui s'inspirait d'ailleurs de Maxime le Confesseur. Pour Érigène, la séparation des sexes faisait partie d'un processus cosmique. La division des Substances avait commencé en Dieu et s'était effectuée progressivement jusque dans la nature de l'homme, qui fut ainsi séparé en mâle et femelle.

C'est pourquoi la réunion des Substances doit commencer dans l'homme et s'achever de nouveau sur tous les plans de l'être, Dieu inclus. En Dieu, il n'existe plus de division, car Dieu est Tout et Un. Pour Scot Érigène, la division sexuelle fut une conséquence du péché, mais elle prendra fin par la réunification de l'homme, qui sera suivie par la réunion eschatologique. du cercle terrestre avec le Paradis.

Le Christ a anticipé cette réintégration finale. Scot Érigène cite Maxime le Confesseur, selon lequel le Christ avait unifié les sexes dans sa propre nature, car, en ressuscitant, il n'était " ni mâle, ni femelle, bien qu'il fût né et mort mâle ".

Rappelons aussi que plusieurs midrashim pré-sentaient Adam comme ayant été androgyne. Selon le Bereshit rabba, " Adam et Ève étaient faits dos à dos, attachés par les épaules : alors Dieu les sépara d'un coup de hache en les coupant en deux. D'autres sont d'un autre avis : le premier homme (Adam) était homme du côté droit et femme du côté gauche ; mais Dieu l'a fendu en deux moitiés". Mais ce sont surtout certaines sectes gnostiques chrétiennes qui ont donné à l'idée de l'androgyne une place centrale dans leurs doctrines. Selon les renseignements transmis par saint Hippolyte, Simon le Mage nommait l'esprit primordial arsénothélys, " mâle-femelle ".

Les Naassènes également concevaient l'Homme céleste, Adamas, comme un arsénothélys. L'Adam terrestre n'était qu'une image de l'archétype céleste : lui aussi était donc androgyne. Par le fait que les humains descendent d'Adam l'arsénothélys existe virtuellement en chaque homme, et la perfection spirituelle consiste justement à retrouver en soi-même cette androgynie. L'Esprit suprême, le Logos, était lui aussi androgyne. Et la réintégration finale, " aussi bien des réalités spirituelles qu'animales et matérielles, aurait lieu dans un homme, Jésus fils de Marie " (Refutatio, V, 6).

Selon les Naassènes, le drame cosmique comporte trois éléments : 1° le logos préexistant en tant que totalité divine et universelle ; 2° la chute,, ayant comme résultat la fragmentation de la Création et la souffrance ; 3° l'arrivée du Sauveur, qui réintégrera dans son unité les fragments infinis qui constituent aujourd'hui l'Univers. Pour les Naassènes, l'androgynie est un moment d'un grandiose processus de totalisation cosmique.

Dans l'Épître d'Eugnoste le Bienheureux, dont deux manuscrits ont été récemment découverts à Khénoboskion, le Père produit de lui-même un être humain androgyne. Celui-ci, s'unissant avec sa Sophia, procrée un fils androgyne. " Ce fils est le Père premier engendreur, le Fils de l'Homme, que l'on appelle aussi Adam de la Lumière. [...] II s'unit avec sa Sophia et produit une grande lumière androgyne qui est, de son nom masculin, le Sauveur, créateur de toutes choses, et, de son nom féminin, Sophia, génératrice de tout, que l'on appelle aussi Pistis. Par ces deux dernières entités sont engendrés six autres couples de spirituels androgynes qui produisent 72, puis 360 autres entités ... " Comme on le voit, il s'agit
d'une procession à partir d'un Père androgyne, et qui se répète à des paliers décroissants (plus éloignés du " Centre " où se trouve le Père autogène).

L'androgynie est également attestée dans l'Évangile de Thomas, qui, sans être un ouvrage gnostique à proprement parler, témoigne de l'atmosphère mystique du christianisme naissant. Remanié et réinterprété, cet ouvrage fut d'ailleurs assez populaire parmi les premiers gnostiques, et la traduction en dialecte sa'idique figurait dans la bibliothèque gnostique de' Khénoboskion. Dans l'Évangile de Thomas, Jésus, s'adressant à ses disciples, leur dit : " Lorsque vous ferez les deux < être > un, et que vous ferez le dedans comme le dehors et le dehors comme le dedans, et le haut comme le bas ! Et si vous faites le mâle et la femelle en un seul, afin que le mâle ne soit plus mâle et que la femelle ne soit plus femelle, alors vous entrerez dans le Royaume . " Dans un autre logion (Nr. 106, ed. Puech ; n. 103 Grant), Jésus dit : " Lorsque vous ferez que les deux soient un, vous deviendrez fils de l'Homme et si vous dites : `Montagne, déplace-toi ! ' elle se déplacera. " (Doresse, II, p. 109, n. 110.) L'expression " devenir un " est encore mentionnée trois fois (log. 4 Puech ; 3 Grant ; 10 Grant, 11 Puech ; 24 Grant, 23 Puech). Doresse renvoie à quelques parallèles du Nouveau Testament (Jean, 17, 11 ; 20-23 ; Romains, 12, 4-5 ; I Corinthiens, 12, 27, etc.). C'est surtout Galates, 3, 28, qui est important :

" Il n'y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni mâle ni femelle ; car vous tous n'êtes qu'un dans le Christ Jésus. " Cette unité est celle de la première création, avant la création d'Ève, lorsque 1' " homme " n'était ni mâle ni femelle (Grant, p. 144). Selon l'Évangile de Philippe (codex X de Khénoboskion), la séparation des sexes - la création d'Ève, séparée du corps d'Adam - a été le principe de la mort. " Le Christ est venu pour rétablir ce qui a été ainsi < séparé > au commencement et pour unir à nouveau les deux. Ceux qui sont morts parce qu'ils étaient dans la séparation, il leur rendra la vie en les réunissant ! " (Doresse, II, p. 157.)

D'autres écrits contiennent des passages similaires sur la réunion des sexes en tant que syndrome du Royaume. " Interrogé par quelqu'un sur le moment où viendrait le Royaume, le Seigneur lui-même répondit : ` Lorsque les deux seront un, le dehors comme le dedans, et le mâle avec la femelle ni mâle ni femelle'. " (He Épître de Clément, cit. Doresse, II, 157.) La citation rapportée par l'Épître de Clément dérive probablement de l'Évangile selon les Égyptiens, dont Clément d'Alexandrie a conservé ce passage : " Salomé ayant demandé quand on connaîtrait les choses au sujet desquelles il parlait, le Seigneur dit : ` Lorsque vous foulerez aux pieds le vêtement de la honte et lorsque les deux deviendront un et que le mâle avec la femelle ne sera ni mâle ni femelle'. " (Stromates, III, 13, 92 ; Doresse, II, 158.)

Ce n'est pas ici le lieu d'étudier l'origine de ces formules gnostiques et para-gnostiques sur la totalité divine et l'androgynie de " l'homme par-fait ". On sait que les sources du gnosticisme sont extrêmement disparates ; à côté de la gnose juive, des spéculations sur l'Adam primordial et sur la Sophia, on y retrouve l'apport des doctrines néo-platoniciennes et néo-pythagoriciennes, et des influences orientales, surtout iraniennes. Mais, nous venons de le voir, saint Paul et l'Évangile de Jean comptaient déjà l'androgynie parmi les caractéristiques de la perfection spirituelle. En effet, devenir " mâle et femelle ", ou n'être " ni mâle ni femelle ", sont des expressions plastiques pour lesquelles le langage s'efforce de décrire la metdnoia, la " conversion ", le renversement total des valeurs. Il est aussi paradoxal d'être " mâle et femelle " que de redevenir enfant, de naître de nouveau, de passer par la " porte étroite ".

Évidemment, des conceptions semblables eurent cours aussi en Grèce. Dans le Banquet (189E-193D), Platon décrivait l'homme primitif comme un être bisexué, à forme sphérique. Ce qui intéresse notre recherche, c'est le fait que, dans la spéculation métaphysique de Platon aussi bien que dans la théologie d'un Philon d'Alexandrie, chez les théosophes néo-platoniciens et néopythagoriciens comme chez les hermétistes qui se réclament de Hermès Trismégiste ou de Poimandres, ou chez nombre de gnostiques chrétiens, la perfection humaine était imaginée comme une unité sans fissures. Celle-ci n'était d'ailleurs qu'une réflexion de la perfection divine, du Tout-Un. Dans le Discours parfait, Hermès Trismégiste révèle à Asclépius que " Dieu n'a pas de nom ou plutôt il les a tous, puisqu'il est à la fois Un et Tout. Infiniment rempli de la fécondité des deux sexes, il enfante toujours tout ce qu'il a eu dessein de procréer.

- Quoi, tu dis que Dieu possède les deux sexes, ô Trismégiste ?
- Oui, Asclépius, et non pas Dieu seulement, mais tous les êtres animés et végétaux 57... "

L'androgynie divine.

C'est cette idée de bisexualité universelle, conséquence nécessaire de l'idée de la bisexualité divine, en tant que modèle et principe de toute existence, qui est susceptible d'éclairer notre recherche. Car, au fond, ce qui est impliqué dans une conception semblable, c'est l'idée que la perfection, donc l'Être, consiste en somme dans une unité-totalité. Tout ce qui est par excellence doit être total, comportant la coincidentia oppositorum à tous les niveaux, et dans tous les contextes. Ceci se vérifie aussi bien dans l'androgynie des Dieux que dans les rites d'androgynisation symbolique, mais également dans les cosmogonies qui expliquent le Monde à partir d'un Œuf cosmogonique ou d'une totalité primordiale en forme de sphère. On rencontre des idées, des symboles et des rites pareils non seulement dans le monde méditerranéen et du Proche-Orient antique, mais dans nombre d'autres cultures exotiques et archaïques. Une diffusion semblable ne peut s'expliquer que parce que ces mythes présentaient une image satisfaisante de la divinité, voire de la réalité ultime, en tant que totalité indivise, et incitaient, en même temps, l'homme à se rapprocher de cette plénitude par des rites ou des techniques mystiques de réintégration.

Quelques exemples vont nous aider à mieux comprendre ce phénomène religieux. Dans les plus anciennes théogonies grecques, des Êtres divins neutres ou féminins engendrent seuls.

Cette parthénogénèse implique l'androgynie. Selon la tradition transmise par Hésiode (Théogonie, 124 sq.), du Chaos (neutre) naquirent Erébé (neutre) et Nuit (féminin). Terre enfanta, toute seule, le Ciel étoilé. Ce sont des formules mythiques de la totalité primordiale, enfermant toutes les puissances, donc tous les couples d'opposés : chaos et formes, ténèbres et lumières, virtuel et manifesté, mâle et femelle, etc. En tant qu'expression exemplaire de la puissance créatrice, la bisexualité se range parmi les prestiges de la divinité. Héra engendra toute seule Héphaistos et Typhée, et cette " déesse nuptiale fait d'abord figure d'androgyne ". A Labranda, en Carie, on adorait un Zeus barbu avec " six mamelles disposées en triangle sur sa poitrine". Héraclès, le héros viril par excellence, échangea ses vêtements avec Omphale. Dans les mystères d'Hercules Victor italiote, le dieu ainsi que les initiés étaient habillés en femmes ; comme l'a bien montré Marie Delcourt, ce rite était censé " promouvoir la santé, la jeunesse, la vigueur, la durée de l'être humain, et peut-être même conférer une sorte de pérennité " .

A Chypre, on vénérait une Aphrodite barbue, nommée Aphroditos, et en Italie une Vénus chauve. Quant à Dionysos, il était le dieu bisexué par excellence. Dans un fragment d'Eschyle (fragment 61), quelqu'un s'écriait à sa vue : " D'où viens-tu, l'homme-femme, et quelle est ta patrie ? Quel est ce vêtement? " Originelle-ment, Dionysos était imaginé comme un être robuste et barbu, deux fois puissant à cause de sa double nature. Plus tard seulement, à l'époque hellénistique, l'art fit de lui un efféminé .

Nous ne relèverons pas les autres divinités androgynes du syncrétisme, la Grande Mère phrygienne, par exemple, et les êtres bisexués qu'elle met au jour, Agditis et Misé. Quant à la figure divine que les Anciens désignaient sous le nom d'Hermaphrodite, elle a pris consistance assez tard, vers le ive ou IIIe siècle, et son histoire assez complexe est moins importante pour notre recherche.

On ne rappellera pas ici les divinités androgynes attestées dans d'autres religions . Leur nombre est considérable. On les rencontre aussi bien dans les religions complexes et évoluées - par exemple, chez les anciens Germains, dans le Proche-Orient antique, en Iran, dans l'Inde, en Chine, en Indonésie, etc. - que chez les peuples de culture archaïque, en Afrique, en Amérique, en Mélanésie, en Australie et en Polynésie . La plupart des divinités de la fertilité sont bisexuées ou comportent des traces d'androgynie. " Sive deus sis, sive dea ", disaient les anciens Romains des divinités agricoles ; et la formule rituelle sive mas sive femina était fréquente dans les invocations. Dans certains cas (par exemple divinités de la végétation et chez les Estoniens), les divinités agricoles sont réputées mâles une année et femelles l'année suivante . Mais voilà le plus curieux : sont androgynes les divinités masculines ou féminines par excellence, ce qui s'explique si l'on tient compte de cette conception traditionnelle selon laquelle on ne peut pas être excellemment quelque chose si l'on n'est pas simultanément la chose opposée, ou, plus exactement, si l'on n'est beaucoup d'autres choses en même temps.

Zervan, le dieu iranien du Temps illimité, était androgyne - comme l'était la divinité suprême chinoise des Ténèbres et des Lumières . Ces deux exemples nous montrent clairement que l'androgynie était la formule par excellence de la totalité. Car, comme nous l'avons vu, Zervan était le père des jumeaux Ohrmazd et Ahriman, dieux du Bien et du Mal - et les Ténèbres et les Lumières, en Chine comme dans l'Inde, symbolisent les modalités non manifestées et manifestées de la réalité ultime.

Des nombreuses divinités étaient appelées " Père et Mère ". C'était à la fois une allusion à leur plénitude ou à leur éventuelle autogenèse, et une indication de leurs puissances créatrices. Il est également probable qu'un certain nombre de " couples divins " sont des élaborations tardives d'une divinité primordiale androgyne ou la personnification de leurs. attributs. Puisque l'androgynie est un signe distinctif d'une totalité originaire dans laquelle toutes les possibilités se trouvent réunies - l'Homme primordial, l'Ancêtre mythique de l'humanité est conçu dans de nombreuses traditions comme androgyne. Nous avons rappelé plus haut l'exemple d'Adam. Tuisto, le premier homme de la mythologie germanique, était lui aussi bisexué ; son nom est étymologiquement solidaire du vieux norvégien tvistr (" bipartite "), du védique dvis, du latin bis, etc. . Dans certaines traditions, l'Ancêtre mythique androgyne a été remplacé par un couple de jumeaux, comme dans l'Inde, Yama et sa soeur Yami, et en Iran, Yima et Yimagh.

Le Banquet, version de Diotime, une prostituée, laquelle selon Socrate, a su lui apprendre et définir le stade ultime et sauvage de l'amour...

Avant ça les différents stades évoqués par les convives :

- amour de l'esthétique, la plastique, l'apparence extérieur...
- amour de l'art, art de l'amour comme technique
- mythe des moitiés (voir ci avant Wink) avec le bon et le moins bon : on aime en l'autre ce qu'on n'a pas en nous-même, complétude...mais alors on a besoin de le posséder toujours........

Selon Diotime, il est possible de devenir à soi-même sa propre moitié, de redevenir un être originel (l'androgyne) être semi-divin, entre ciel et terre (les pieds sur terre, la tête dans les nuages Wink), un être plein, un être entier...alors on ne cherche plus en l'autre ce qu'on n'a pas en nous même, plus besoin de le posséder toujours...

On aime le monde, parce qu'on sait que l'autre y vit Wink

On aime autrement l'altérité......

Diotime :

Celui qu'on aura mené jusqu'ici sur le chemin de l'amour, après avoir contemplé les belles choses dans une gradation régulière, arrivant au terme suprême, verra soudain une beauté d'une nature merveilleuse, celle-là même, Socrate, qui était le but de ses recherches antérieures, beauté éternelle, qui ne naît ni ne meurt, qui ne souffre aucune augmentation ni diminution, beauté qui n'est point belle d'un point de vue et laide d'un autre, belle en un temps laide en un autre, belle sous un rapport laide sous un autre, belle quelque part laide ailleurs, belle pour les uns laide pour les autres ; beauté qui ne se présentera pas à ses yeux comme un visage, des mains ou une forme corporelle, mais pas non plus comme une démonstration, une connaissance, pas comme quelque chose qui existe en autrui, par exemple dans un animal, la terre, le ciel ou autre chose ; beauté qui au contraire existe en elle-même et par elle-même, simple et éternelle, de laquelle participent toutes les autres belles choses, de telle manière que leur naissance ou leur mort en lui apporte ni augmentation ni amoindrissement, ni altération de quelque ordre que ce soit.

Quand on s'est élevé, par un amour bien compris des jeunes gens, des choses sensibles jusqu'à cette beauté et qu'on commence à l'apercevoir, on est bien prêt de toucher au but ; car la vraie voie de l'amour, qu'on s'y engage de soi-même ou qu'on s'y laisse conduire, c'est de partir des beautés sensibles et de monter sans cesse vers cette beauté surnaturelle en passant graduellement d'un beau corps à deux, puis de deux à tous, puis des beaux corps aux belles actions, des belles actions aux belles connaissances, pour arriver à partir de ces connaissances à cette connaissance qui n'est autre que la connaissance de la beauté absolue et pour connaître enfin le beau tel qu'il est en soi.
Phedre
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