Ceux qui restent

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Message par Septentrio Mer 17 Juin 2015 - 19:17

J'ai écrit ça hier, en pensant à un proche décédé (suicide ou accident provoqué, disons.).
Je sais que ce n'est pas ça, mais c'est ce que je ressens encore parfois. Une sorte de double-culpabilité, double-peine.

J'ai lu un bouquin hier. On y lisait "Il faut remercier les morts pour la question qu'ils nous posent."

Je suis de ceux qui n'ont pas suffi. Je ne t'ai pas assez offert - moi et d'autres, bien sûr - pour que tu veuilles rester. Je n'ai pas spécialement cherché à te voir ou à te parler. Il était trop tôt... Et puis ça a été trop tard. C'est quand même étrange, de se dire que ceux qui restent, ce sont ceux qui ne suffisent pas.
Pourtant, ce n'était pas mon rôle, de te retenir. Je n'ai pas été fabriquée pour ça. Penser même que j'aurais pu avoir ce poids-là, moi la toute petite... c'est un peu présomptueux, n'est-ce pas ? C'est narcissique, un peu égocentré, ce que tu voudras.
Pardon de m'octroyer dans ta vie une place que je n'avais pas.


C'est cliché, mais j'imagine que les clichés dérivent parfois de quelque chose de vrai.
Si vous êtes aussi de "ceux qui restent" ou de ceux qui croient n'avoir pas suffi, sentez-vous libres d'utiliser ce fil.
Il y a d'autres modalités de le vivre.
Ce ne sont que quelques mots qui sont vrais en moi pendant un temps. Il y a de la place pour les mots des autres.
Et merci d'avoir lu, tout simplement. Smile
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Message par Princeton Mer 17 Juin 2015 - 19:52

Je suis resté, et je me demande si ceux qui sont partis voudraient que je souffre, que je me sente coupable, en tort, que je me fasse du mal, etc. Je me dis qu'ils me diraient au contraire de vivre, d'être heureux ! Ils me diraient que eux n'en pouvaient plus, mais qu'ils ne veulent pas que je souffre ou que je me sente coupable à cause d'eux, non, au contraire... Je les imagine même me dire, quand je suis triste ou que je me sens coupable : "Mais ça va pas la tête ! T'y es pour rien !" d'un air ahuri, interloqué, l'air de me dire que je suis tellement à côté de la plaque qu'ils ne comprennent même pas. Et ils ont raison je pense... Ce qui me rappelle cette chanson, que je n'ai pas supporté pendant longtemps, mais qui me nourrit désormais, peut-être qu'elle te parlera aussi :

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Message par Septentrio Mer 17 Juin 2015 - 20:50

Merci, Princeton. J'ai l'impression que tu as raison, j'ai même déjà eu des conversations imaginaires avec lui de ce type. Pourtant, ça revient, comme une alternance. Refrain/couplet. Peut-être parce que c'est encore récent. Et sinon, j'aime pas trop Fauve, mais les paroles de celle-ci m'ont touchée, elles ont visé juste. Merci de l'avoir partagée, c'était tout à fait à propos. Smile
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Message par Septentrio Jeu 18 Juin 2015 - 22:51

Suite de la réflexion, que je ne livre que par fragments, selon les moments où ça pope dans ma tête.
Pas d'inquiétudes personnelles, ce ne sont que des étapes de deuil, qu'il est temps de passer.
Et puisque ça ne se case pas très bien dans une conversation, autant les déposer dans un petit coin - ici, par exemple. Ca fera bien l'affaire.

Quand tu fais partie de ceux qui restent, tu ne comprends pas tout de suite. Tout le focus est sur celui qui est parti. Rester, à côté, cela semble presque passif, on le fait sans y penser, sans même se poser la question. Ce n'est qu'après, depuis qu'il est parti, que l'on s'interroge. Rester là n'est plus tant une évidence, ou un état de fait dont on s'accomode - parce qu'il faut bien. Sans sa nécessité habituelle, le fait de rester se teinte d'une inquiétude.
Cependant, l'issue est bouchée. On ne peut tout de même pas mourir parce que l'un d'entre nous a décidé que c'était mieux pour lui. Il y aurait embouteillage. Et j'ai la sensation qu'il y a une sorte de quota à respecter dans le domaine. Sur quatre enfants, on peut à la limite concéder que l'un aille jusqu'à en finir, que c'est dur-la-vie et que c'est comme ça. C'est un peu injuste, mais s'il s'est servi le premier, c'est qu'il en avait peut-être plus besoin, non ?
Je vous choque peut-être, en écrivant ça. Ne m'en voulez pas. Sur ce sujet, je crève de tout ce qu'il ne faut pas dire. Encore aujourd'hui, je voudrais tout écrire, avec mes mots à moi, mais il faudrait, surtout, que pas un proche ne le voie. Chaque deuil est un univers à part entière, qui s'accomode mal de ses voisins. Et pourtant, il faut bien que ma version existe. Je n'y peux rien si elle s'accomode mal, parfois, des versions plus classiques, qui consolent, qui soulagent. Je crois que j'ai besoin que ce soit dur pour en sortir le beau, pour trouver l'acceptable. C'est sans doute une part de leur travail, à ceux qui restent.
Mine de rien, c'est tout de suite moins passif et évident, comme ça.
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Message par Néfertiti Jeu 18 Juin 2015 - 23:04

Septentrio, tes mots me paraissent justes, ils me parlent. Ca fait du bien.

Ils ont tout préparé pour que je ne manque de rien après qu'ils s'en aillent. Tout était calculé. Cela me choque tellement de voir à quel point... Leur départ était extraordinaire parce-qu'il fallait que ma transformation le soit tout autant. J'avance, j'avance, j'ai confiance. C'est pour moi et non pour un autre sinon il en aurait été aussi touché. Alors je dois avancer quitte à ce qu'autour ils ne me comprennent plus, quitte à ce qu'ils parlent de moi sans savoir. Cela, je ne dois plus lui donner de l'importance et continuer ma route, ma belle, grande et nouvelle route.

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Message par Septentrio Sam 20 Juin 2015 - 9:29

Très belle note d'espoir, Néfer Respect
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Message par Bird Lun 29 Juin 2015 - 14:08

Je suis un de "ceux qui restent", à répétitions...

Lorsque un de mes meilleurs et plus anciens amis s'est suicidé il y a quelques années, nous nous sommes retrouvés une poignée de très anciens potes chez moi, tous sidérés, abasourdis et évidemment emplis de ce sentiment de culpabilité : "Si j'avais su, si j'avais pu, si j'avais fait, si j'avais dit, si j'avais compris, etc...".

Une des amies présentes nous alors expliqué que cette phase de culpabilité faisait partie intégrante du travail de deuil. Que dans le cas d'un suicide, celui-ci ne pouvait pas démarrer sans cette phase.

Je crois que cette parole nous a un peu soulagés sur le moment; un peu permis d'entrevoir que, dans cet évènement qui nous dépassait tous, il y avait une clé non pas pour comprendre, mais pour vivre avec, pendant et après.

Je reste marqué par tous ces départs si violents, qui sont aussi des abandons. Nous survivons à cette forme d'abandon que nous peinons à reconnaître comme telle.


Dernière édition par Bird le Sam 18 Juil 2015 - 16:37, édité 1 fois
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Message par Kadjagoogoo Sam 18 Juil 2015 - 15:44

Septentrio a écrit:C'est cliché, mais j'imagine que les clichés dérivent parfois de quelque chose de vrai.
Stephen Fry — "C'est un cliché que la plupart des clichés sont vrais, mais comme la plupart des clichés, ce cliché est faux." Wink

Merci pour la création de ce topic qui coïncide (ma découverte de celui-ici, à tout le moins) avec la résurgence violente du souvenir du suicide de mon beau-frère il y a onze ans, qui m'a marqué de façon a priori disproportionnée - il n'était "que" mon beau-frère", et je ne le voyais pas si souvent, en fait - et qui m'inspire des célébrations sporadiques - auprès d'amis, de connaissances, de rencontres furtives - aussi abyssales que symptomatiques : lui et moi avions finalement tant en commun - ne serait-ce que le HP (qui chez lui signifiait également Hôpital Psychiatrique...).
Il s'est suicidé à 36 ans, et j'ai été un peu soulagé de dépasser cet âge, l'an dernier. Un certain mysticisme à l’œuvre chez moi voudrait me faire envisager ce chiffre fatidique comme un cap symbolique. Mais c'était un défi aussi : survivre à P., dans la longévité, alors que nous étions tous deux occupés à une autodestruction méthodique, sur le plan relationnel, notamment. Et depuis, je me cherche perpétuellement de nouveaux challenges :
"Le pessimiste doit s'inventer chaque jour d'autres raisons d'exister : c'est une victime du « sens » de la vie." (Emil Cioran, "Atrophie du verbe")
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Message par Bird Sam 18 Juil 2015 - 16:42

Kadjagoogoo a écrit:HP (qui chez lui signifiait également Hôpital Psychiatrique...).
Hélas. J'ai connu aussi ce cas pour un de mes amis, et ça s'est mal terminé aussi.

"Le pessimiste doit s'inventer chaque jour d'autres raisons d'exister : c'est une victime du « sens » de la vie." (Emil Cioran, "Atrophie du verbe")
Si bien dit, avec autant de justesse que de talent. Peut-être ce que Gainsbourg nommait "aquoibonnisme", état qui s'empare régulièrement de moi, et qui demande tellement de volonté pour y couper court. Je n'en suis pas toujours capable.
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Message par Sissy Mar 16 Mai 2017 - 18:42

je suis de ceux qui restent, j'avais une famille lorsque j'étais petite et je me souviens que nous étions nombreux pour les repas de fete. En quelques années tout le monde est parti, vieillesse maladie accident, et meme si les fetes sont chaque année le témoin de leur absence je suis heureuse d'etre là. D'ailleurs ils n'ont pas complètement disparus, ils vivent dans ma mémoire

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