Surmontant ma mélancolie, je vous offre à lire quelques doses de prose poétique

DesperateRobot a écrit:Tableau n°54
Revendications (2)

Devant le juge, toujours, une petite fille et trois demoiselles.
La petite fille habillée en rouge :

- Nous en avons plus qu'assez, Monsieur le Juge !
- De quoi, Mademoiselle, je ne comprends pas votre problème. Si vous vous expliquiez !
- Assez de cette propension à nous ôter la vie !
- Vous voulez dire dans les récits ?
- Regardez mon cas. Le loup finit par me manger tout de même.
- Il n’a fait suivi que son rôle de loup. Un loup qui serait aimable, agréable, sociable, policé n’aurait plus rien à voir avec l’idée du loup sauvage qui effraie la population. Notre public désire être effrayé.
- Effrayé à bon compte, Monsieur le Juge. Assassiner une pauvre et faible fille qui rendait visite à sa grand-mère. Quelle honte ! N’importe quel loup aurait des remords et aucun n’irait se vanter de ce forfait. A vaincre sans gloire…
- La tradition tranche en sa faveur. Les femmes….
- Eh bien parlons-en des femmes ! Mes amies sont particulièrement en colère. Regardez Blanche Neige, qui est encore plus pâle sous ses cheveux d’ébène depuis que vous ne semblez pas vous émouvoir de notre funeste destin. Quel sort lui fait-on ? Une belle-mère qui cherche à la faire tuer à plusieurs reprises ! Arme blanche puis empoisonnement. Notez que son coup a failli marcher, quand même.
- Tout le monde a pitié du sort de votre amie. Nous en convenons volontiers. Cependant si on lit Bruno Bettelheim, les contes constituent un apprentissage de la vie.
- Alors pour vous, c’est un exemple ! Les assassinats font partie de la vie. Comme vous y allez !
- Ce n’est pas ce que j’ai dit.
- C’est ce qu’on comprend par apprentissage de la vie quand vous le mentionnez ainsi. Et la Belle au bois dormant, en quoi était-elle coupable ? Juste qu’elle avait reçu des fées trop de dons et que le roi avait oublié d’inviter la fée Carabosse. Pourquoi est-ce contre elle et non contre le roi que Carabosse s’est vengée ? Hein, dites-moi !
- Attendez, elle n’est pas morte !
- Elle a failli l’être. Carabosse voulait la faire mourir à ses seize ans. Meurtre avec préméditation. Qu’est-ce que vous dites de cela ? La mort, encore un apprentissage de la vie ?
- Remarquez qu’à Cendrillon, rien de tel ne lui est arrivé. On ne lui a pas fait de mal !
- Quoi, mais quoi ! Une vie de souillon, ça ne vous suffit pas ? Nous baignons dans le manque total d’empathie. On l’a tuée moralement. C’est aussi une façon d’éliminer une personne, la nier jusque dans sa dignité d’exister !
- Qu’est-ce qui se passe parmi les héroïnes, ici, on fait donc la révolution ?
- Nous désirons plus que tout des histoires où les héroïnes seraient heureuses, adulées, admirées, aimées, câlinées. (Les trois autres approuvent silencieusement de la tête).
- Mais, conclut le juge avec philosophie, les gens heureux n’ont pas d’histoire !

DesperateRobot a écrit:Est-il raisonnable de souffrir des imperfections des autres?

Il faudrait que je recadre mon vocabulaire. La raison et l'émotivité n'ont pas un lien direct (je pose mon théorème d'emblée), donc "est-il raisonnable de souffrir" est une erreur logique intrinsèque. Je m'immisce dans la conversation.......J'aime cette jolie démonstration....pour ainsi dire mathématique! Merci
Alors de toute façon, quel que soit la suite de la question, la réponse est non. On ne peut pas raisonnablement souffrir. Bien vu madame

Continuons "souffrir des imperfections"
Comment ne peut-on pas souffrir des gens qui seraient intolérants à votre égard? (l'intolérance, comme exemple d'imperfection).
J'ai bien une petite idée sur cette question parce qu'en fait les gens qui sont ( pour reprendre ton exemple ) intolérants, c'est bien de leur problème qu'il s'agit et pas du mien. Qu'ils aillent se faire psychothérapeuter! Non ?
Alors la réponse est simple, pour moi: faire prendre conscience à la personne qu'elle a un problème, un comportement inadéquat.

Il y a tout de même une différence entre une personne qui vous fait souffrir mais qui en a honte et préfèrerait changer, ou bien qui offre ses excuses, et celle qui fait souffrir et qui non seulement ne désire en rien changer, mais qui ne comprend pas les points qu'on lui reproche, ce qui fait qu'elle ne s'amendera pas.
Ma réponse est la même dans les deux cas: conscientiser! C'est même mieux qu'évangéliser
Tout comportement possède des racines qu'il faut analyser et comprendre. Mon côté rousseauiste aurait tendance à accepter l'autre dans sa noirceur, à condition de lui parler pour suivre son processus intérieur. J'adhère, j'adore!

Tu me demandes de façon implicite peut-être de manifester à l'égard des "égarés" un sentiment de compassion. (j'ai l'impression de parler comme un curé, là....,bon...) puisqu'ils ne sont pas responsables de leur imperfection.

De quoi parle-t-on? A quel niveau se porte la responsabilité?
Si la personne est consciente et responsable, mon degré de compassion et d'empathie diminue proportionnellement. Je ré-adhère-adore

Dernier point. On ne saurait inventer une image idéalisée de soi sans des bases réelles.
-> Le sentiment d'appartenance à des valeurs internes existe,quoi que je pense personnellement, car ces valeurs constituent le ciment fondateur des grandes civilisations dont le système répressif est signe d'un certain ordre (cela me déplaît de dire cela, car je suis très anarchiste, je le constate cependant). Je ne peux pas dire, vivant au sein d'une société que celle-ci ne m'influence pas. Ce serait de l'angélisme. Par contre, il m'est possible de prendre du recul par rapport à ces valeurs après les avoir longuement disséquées.

-> L'exégèse du moi s'obtient tout de même à partir d'un modèle de pensée qui ne vient pas de rien, -nous sommes déjà prisonniers de notre langue, de la richesse de nos concepts, de notre éducation, de notre culture, des gens que nous avons fréquentés, de notre logique - ce que tu sous-entends, c'est que je serai capable, moi, individu lambda, de me démarquer de la société par la seule puissance de ma pensée qui serait ensuite appliquée dans la réalité. C'est ce que j'essaie de pratiquer en permanence.
Encore un dernier mot.

Qu'est-ce que l'ultime purification, sinon de mourir?

J'avoue que purification et perfection riment bien ensemble,et l'on serait tenté de vivre à la façon des Esséniens sauf qu'ils fonctionnaient en secte, ce que je réprouve et qu'ils ignoraient les réels besoins du corps, dans sa fraction émotive, ce que je réprouve également.

Je vais volontairement dans ce chemin de traverse pour à présent expliquer le fond de ma pensée.
Je me range du côté de la célèbre phrase de Pascal: "Qui veut faire l'ange, fait la bête."

L'homme n'est pas fait pour se croire pur. Et celui qui le croit, est particulièrement dangereux. Merci d'avoir eu la patience de lire mon charabia.

DesperateRobot a écrit:
Est-il raisonnable de souffrir des imperfections des autres ?
.../...
L'homme n'est pas fait pour se croire pur. Et celui qui le croit, est particulièrement dangereux. Merci d'avoir eu la patience de lire mon charabia.

DesperateRobot a écrit:.../...En fait je suis un agent provocateur qui fait semblant d'être raisonnable pour débusquer les ennemis de l'Etat! .../...

Ours a écrit:Pour se rassurer, un peu de Deleuze !

Non, restez, c'est du Deleuze pas compliqué, enfin pas trop.

Assemblage d'environ une dizaine de pages de Dialogues Coll. Champs essais que je lis peu à peu et relis souvent pour tenter de m'en imprégner. C'est pour le moment le seul philosophe qui m'apporte des concepts vecteurs de solutions pratiques.
J'ai déjà parlé ici des "devenir", décrivant la co-création involontaire et indépendante d'une chose née d'une rencontre de deux objets, de deux êtres.

Ici, Deleuze part de la fuite comme traitrise à l'ordre établi, identifie une ligne de fuite à une ligne de découverte, rapproche cette traitrise à l'écriture. Se faisant, en considérant toute écriture quelle que soit sa "qualité" comme ligne de création, il la fait nourricière des minorités et nourriture de celles-ci. Face à cette création, traitrise à l'ordre établi, il oppose le tricheur.


"Une fuite est une espèce de délire. Délirer, c'est exactement sortir du sillon (comme « déconner », etc.). Il y a quelque chose de démoniaque, ou de démonique, dans une ligne de fuite. Les démons se distinguent des dieux, parce que les dieux ont des attributs, des propriétés et des fonctions fixes, des territoires et des codes : ils ont affaire aux sillons, aux bornes et aux cadastres. Le propre des démons, c'est de sauter les intervalles, et d'un intervalle à l'autre.
Il y a toujours de la trahison dans une ligne de fuite. Pas tricher à la manière d'un homme d'ordre qui ménage son avenir, mais trahir à la façon d'un homme simple qui n'a plus de passé ni de futur. On trahit les puissances fixes qui veulent nous retenir, les puissances établies de la terre. Le mouvement de la trahison a été défini par le double détournement l'homme détourne son visage de Dieu, qui ne détourne pas moins son visage de l'homme. C'est dans ce double détournement, dans l'écart des visages, que se trace la ligne de fuite, c'est-à-dire la déterritorialisation de l'homme.
La trahison, c'est comme le vol, elle est toujours double. Dieu se détourne de l’homme qui se détourne de Dieu, c’est d’abord le sujet de l’Ancien Testament. Le prophète se reconnait à ceci, qu’il prend la direction opposée à celle que Dieu lui ordonne, et par là réalise le commandement de Dieu mieux que s’il avait obéi. Traitre, il a pris le mal sur lui.
Dans les grandes découvertes, les grandes expéditions, il n’y a pas seulement l’incertitude de ce que l’on va découvrir et conquête d’un inconnu, mais l’invention d’une ligne de fuite et la puissance de la trahison : être le seul traitre et traitre à tous.

Le traître est le personnage essentiel du roman, le héros. Traître au monde des significations dominantes et de l'ordre établi. C'est très différent du tricheur : le tricheur, lui, prétend s'emparer de propriétés fixes, ou conquérir un territoire, ou même instaurer un nouvel ordre. Le tricheur a beaucoup d'avenir, mais pas du tout de devenir. Le prêtre, le devin, est un tricheur, mais l'expérimentateur un traître. L'homme d'Etat, ou l'homme de cour, est un tricheur, mais l'homme de guerre (pas maréchal ou général) un traitre.

Il se peut qu'écrire soit dans un rapport essentiel avec les lignes de fuite. Ecrire, c'est tracer des lignes de fuite, qui ne sont pas imaginaires, et qu'on est bien forcé de suivre, parce que l'écriture nous y engage, nous y embarque en réalité. Ecrire, c'est devenir, mais ce n'est pas du tout devenir écrivain. C'est devenir autre chose. Un écrivain de profession peut se juger d'après son passé ou d'après son avenir, d'après son avenir personnel ou d'après la postérité (« je serai compris dans deux ans, dans cent ans », etc.). Tout autres sont les devenirs contenus dans l'écriture quand elle n'épouse pas des mots d'ordre établis, mais trace elle-même des lignes de fuite. On dirait que l'écriture par elle-même, quand elle n'est pas officielle, rejoint forcément des « minorités », qui n'écrivent pas forcément pour leur compte, sur lesquelles non plus on n'écrit pas, au sens où on les prendrait pour objet, mais en revanche dans lesquelles on est pris, bon gré mal gré, du fait qu'on écrit. Une minorité n'existe jamais toute faite, elle ne se constitue que sur des lignes de fuite qui sont aussi bien sa manière d'avancer et d'attaquer.
C'est plutôt une rencontre entre deux règnes, un court-circuitage, une capture de code où chacun se déterritorialise. En écrivant on donne toujours de l'écriture à ceux qui n'en ont pas, mais ceux-ci donnent à l'écriture un devenir sans lequel elle ne serait pas, sans lequel elle serait pure redondance au service des puissances établies.

Il y a beaucoup de gens qui rêvent d'être traîtres. Ils y croient, ils croient y être. Ce ne sont pourtant que de petits tricheurs. Le cas pathétique de Maurice Sachs, dans la littérature française. Quel tricheur ne s'est dit « ah enfin, je suis un vrai traître! » Mais quel traître aussi ne se dit le soir : a »près tout je n'étais qu'un tricheur. » C'est que traître, c'est difficile, c'est créer. Il faut y perdre son identité, son visage. Il faut disparaître, devenir inconnu."


En tant que zèbre, je pense qu'il y a là de quoi se nourrir et se rassurer quant à nos "devenirs" et nos futurs.

DesperateRobot a écrit:Merci Zarbitude, puisque des lecteurs de goût me suivent sur mon fil, je lâche mes brides habituelles pour me lancer dans cepetit vol philosophique. Je suis heureuse que ma façon de démontrer et de démonter les idées te plaise.
En effet, j'ai le goût de te lire Et vraiment, j'adore lorsque tu lâches tes brides. On n'est pas des canassons, nom de Zeus

Si on veut être pur, eh bien on commence par se moquer de soi et de cette prétention narcissique et pharisienne. Car c'est de l'orgueil, de la prétention et la tentation de se diviniser.
(Mauvais, très mauvais pour la santé d'avoir de telles idées!!!)
Au risque de soulever certains débats, je dirais que j'ai envie de croire ( et cela n'engage que moi, je ne demande aucune adhésion )qu'il y a quelque chose de pur dans l'être humain mais que cette pureté doit forcément être "entachée"......saleté de dualité
Selon moi, le grand jeu de la Vie c'est de retrouver cette pureté, d'en reprendre conscience et, à partir de cela, d'évoluer d'une toute autre manière. Et il me semble bien que je suis en train de réaliser cela....Si cela devait se trouver être une nouvelle illusion que je n'aurais pas encore débusquée, je reprendrai l'option de vie de créer des châteaux de sable. C'est très chouette aussi !

Quant à la perfection, il suffit d'étudier la théorie de la mesure pour savoir que dans la réalité, tout fait physique est lié à une mesure incertaine pétrie d'incertitude.
Or l'idée de perfection conduit à l'absolu et à la certitude.

Comme certitude et absolu n'existent pas, mieux vaut aller faire des pâtés de sable sur la plage, ce sera moins dangereux pour l'humanité.

Bon, je remets à nouveau mon petit grain....de sable..... car j'ai aussi une idée de la perfection qui peut tout changer! Et j'ai bien envie de la dire.

Celle-là ne fait pas mal.
Dans ce monde régi par la relativité, on peut tout aborder sans faire de mal....puisque tout est relatif!
Même la perfection. Car une chose me paraîtra parfaite, sans l'être pour autant dans l'absolu.
Tu vois? Y'a pas bobo Moi jamais faire bobo à toi