Charivari. R.E.V.E.R., à l'endroit comme à l'envers ça fait toujours "Rêver"
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Charivari. R.E.V.E.R., à l'endroit comme à l'envers ça fait toujours "Rêver"
Bonjour. Tout nouveau sur ce forum, un membre m'a orienté vers ce topic de textes littéraires pour vous proposer quelques trucs que j'écris.
Je vais commencer, si vous voulez bien, par le début, le b.a: BA, l'abécédaire...
Début d'un recueil pas encore abouti mais presque qui s'appellerait "R.E.V.E.R. à l'endroit comme à l'envers ça fait toujours rêver"
De A à Z,
de bas en haut,
de haut en bas,
du « A bas tout ! »
au B.A : ba,
voici une B.A. pour rêver :
l’abécédaire du « gros Trébor »,
(c’est le petit Robert à l’envers).
A, c’est l’amour, l’anarchie, la asabiya, un aller simple sans retour.
On naît, on crie : « AAAAAAAH », et ils sont bouche
B, devant le beau bébé. C’est Ubu le nabab et « cacabou » c’est beau, mais
C le temps de l’école. On écoute avant de
D – conner. Dos à dos, l’adolescence, on idolâtre sa douleur, puis on vide le sac à dos et …
Euh…. Après tout ça, on sait plus que penser.
Si la vie est un enfer,
essaie-donc à l’envers,
essaie le système « D ».
Un tout petit …
Effort… Mais il y a tant à faire.
On se fâche, on s’effarouche, ou bien c’est la grosse flemme : pfffffffff
G- rien à dire, et j’en suis bien gêné.
Les gens, les grands gagnent de l’argent. Voilà donc que la vie s’
Achète. Mais mettons bien les points sur les
I, et retournons le « i » d’information, on obtient le point d’exclamation : je réa-
J, et je pense à « moi je », car la vie n’est qu’un jeu d’émoi.
Je ne joue plus mais je n’aggrave pas mon
K : un « K » c’est le képi
deux « K » : caca – kaki
trois «K », le Ku Kux Klan.
Ou c’est le « k » de Buzzatti, les deux « k » de Kafka, qui s’envoLLLLent avec quatre
L, comme la LibeLLuLe.L’amour me donne des ailes. Et oui, je t’
M : le mal, la mort, les mots, la mer, je t’aime c’est un mystère.Et vient la
N si tu ne n’aimes pas, car la haine c’est pour nouer, la haine c’est pour noyer quand ça fait « non », mais
Oh ! je te le dis, avec « o » tu fais « oui » !
Ou bien ça fait « zéro si tu mets le «O » en bas.
OK, je te fiche le
P. Pourquoi ? Parce que, c’est préférable, venait le temps du
Q. Et je ne manque pas d’
R. Oui, j’erre dans les rues, me demandant :
S que la vie vaut la peine d’être vécue ?
Après toutes ces années je me
T. Moi qui croyais avoir tout
U, tout vu, tout su, tout connu ; mes doigts faisaient le
V de victoire, la vérité sur ma vie.
Mais je sais désormais qu’il y a des demi-vérités et des
Doubles vé- rités. Debout, levés, c’est le vice et la vertu
X la donnée et
Y le chromosome inconnu.
On meurt, on naît, c’est la seule vérité…
Z enfin la signature, la marque de « zorro », zozo, zéro de conduite.
Je meurs.... Nos âmes animales s’envolent jusqu’au zénith.
Mais je suis ZEN, et je renais : AAAAAAAH
(et le B.A : ba, je l’ai dans le baba: Ah ah ah !)
Je vais commencer, si vous voulez bien, par le début, le b.a: BA, l'abécédaire...
Début d'un recueil pas encore abouti mais presque qui s'appellerait "R.E.V.E.R. à l'endroit comme à l'envers ça fait toujours rêver"
De A à Z,
de bas en haut,
de haut en bas,
du « A bas tout ! »
au B.A : ba,
voici une B.A. pour rêver :
l’abécédaire du « gros Trébor »,
(c’est le petit Robert à l’envers).
A, c’est l’amour, l’anarchie, la asabiya, un aller simple sans retour.
On naît, on crie : « AAAAAAAH », et ils sont bouche
B, devant le beau bébé. C’est Ubu le nabab et « cacabou » c’est beau, mais
C le temps de l’école. On écoute avant de
D – conner. Dos à dos, l’adolescence, on idolâtre sa douleur, puis on vide le sac à dos et …
Euh…. Après tout ça, on sait plus que penser.
Si la vie est un enfer,
essaie-donc à l’envers,
essaie le système « D ».
Un tout petit …
Effort… Mais il y a tant à faire.
On se fâche, on s’effarouche, ou bien c’est la grosse flemme : pfffffffff
G- rien à dire, et j’en suis bien gêné.
Les gens, les grands gagnent de l’argent. Voilà donc que la vie s’
Achète. Mais mettons bien les points sur les
I, et retournons le « i » d’information, on obtient le point d’exclamation : je réa-
J, et je pense à « moi je », car la vie n’est qu’un jeu d’émoi.
Je ne joue plus mais je n’aggrave pas mon
K : un « K » c’est le képi
deux « K » : caca – kaki
trois «K », le Ku Kux Klan.
Ou c’est le « k » de Buzzatti, les deux « k » de Kafka, qui s’envoLLLLent avec quatre
L, comme la LibeLLuLe.L’amour me donne des ailes. Et oui, je t’
M : le mal, la mort, les mots, la mer, je t’aime c’est un mystère.Et vient la
N si tu ne n’aimes pas, car la haine c’est pour nouer, la haine c’est pour noyer quand ça fait « non », mais
Oh ! je te le dis, avec « o » tu fais « oui » !
Ou bien ça fait « zéro si tu mets le «O » en bas.
OK, je te fiche le
P. Pourquoi ? Parce que, c’est préférable, venait le temps du
Q. Et je ne manque pas d’
R. Oui, j’erre dans les rues, me demandant :
S que la vie vaut la peine d’être vécue ?
Après toutes ces années je me
T. Moi qui croyais avoir tout
U, tout vu, tout su, tout connu ; mes doigts faisaient le
V de victoire, la vérité sur ma vie.
Mais je sais désormais qu’il y a des demi-vérités et des
Doubles vé- rités. Debout, levés, c’est le vice et la vertu
X la donnée et
Y le chromosome inconnu.
On meurt, on naît, c’est la seule vérité…
Z enfin la signature, la marque de « zorro », zozo, zéro de conduite.
Je meurs.... Nos âmes animales s’envolent jusqu’au zénith.
Mais je suis ZEN, et je renais : AAAAAAAH
(et le B.A : ba, je l’ai dans le baba: Ah ah ah !)
Re: Charivari. R.E.V.E.R., à l'endroit comme à l'envers ça fait toujours "Rêver"
Voici un autre texte, s'il y a des profs dans la salle, je suis sûr que ça leur dira quelque chose^^
Un petit exercice type "oulipo" ou on intervertit le discours direct et indirect
Si « je » est un autre, alors « tu » c’est qui ?
Le réveil, d’une sonnerie brève et stridente, me crie qu’il est temps de me lever, car il est sept heures trente a.m.
– Allez debout, me dis-je.
– Pfff, non, encore dix minutes, me réponds-je, d’une pensée lasse.
– D’accord, mais juste dix minutes, sinon…
Je n’articule pas la fin de ma réflexion, ce n’est pas la peine, je me suis parfaitement compris. Le réveil, sous la pression de mon index, accepte, résigné, de se taire. Il réitère son appel, exactement dix minutes plus tard, comme convenu.
– Une nouvelle journée qui commence, pensé-je. Qu’est-ce que je fais d’abord, je fume un café ou je bois une clope ?
– Plutôt un café, me réponds-je. Je fume un café, je bois une clope… C’est quoi ça comme trope, un métaplasme?
– Non, pas métaplasme, le métaplasme c’est juste phonétique… Métalogisme ? Non plus… Hyperbole ?
– Hyperbol de café fumant !
– Très drôle… Non, sérieux, c’est quoi comme figure de style ?
– On s’en fout.
– Bien sûr qu’on s’en fout, n’empêche que si je ne colle pas un nom dessus, ça va m’énerver toute la journée.
– Épanode ? Hypozeuxe ?
– Si ça se trouve ce n’est rien d’autre qu’un calembour foireux.
– Non, c’est peut-être foireux mais ça doit bien porter un nom, comme figure… Adynaton, anadiplose… Bon tant pis, j’abandonne.
– Tant mieux… Ah ! Un bon café fumant le matin, tout seul en tête-à-tête avec soi-même, il n’y a rien de mieux, n’est-ce pas, me lancé-je, tout en m’adressant un sourire interne.
– À qui le dis-je ! répliqué-je en silence.
L’escalier proteste en crissant sous les pieds des enfants qui le dévalent en galopant.
Salut mes p’tits chéris, déjà levés ? B’jour papa, b’jour papa, smack smack, tu nous prépares le petit déjeuner ? Euh, oui, oui, mais attendez que j’aie fini mon café d’abord, d’accord papa, on peut regarder la télé pendant ce temps ? Oui mon chéri mais pas trop fort, faut pas réveiller maman.
La télé, tout à coup, se met à brailler et chanter des jingles de pubs à tue-tête.
– Pfff… On ne peut jamais avoir la paix cinq minutes dans cette baraque.
Chut, je vous ai dit de ne pas mettre la télé à fond, les mômes, mais papa, non, il n’y a pas de papa qui vaille, j’éteins, mais papa…
La télécommande, actionnée par mon doigt, fait cesser les hurlements du poste.
Rhôô papa, allez s’il te plaît quoi, c’est samedi aujourd’hui, vous n’avez qu’à lire un peu avant le petit déjeuner, pfff, papa c’est pas marrant… Écoutez, je n’ai pas le temps de discuter, c’est comme ça. Ce matin je dois travailler, rhôô mais papa…
L’escalier grince doucement pour m’annoncer l’arrivée de ma femme.
C’est quoi tous ces bruits ? Les gosses, désolé, ils t’ont réveillé ? À ton avis ? Mais tant pis, de toutes façons c’était presque l’heure de me lever. Bien dormi chéri ? pffff, et toi ? fff aussi… Café ? Non, plutôt clope. Avec deux sucres, comme d’habitude ? Oui, merci. Tiens au fait tu pourras acheter le pain avant de rentrer à la maison ?
– Épanalepse ! Ça y est ! C’est ça !
– Mais non, n’importe quoi, Ô triste, triste était mon âme, de Verlaine, c’est une épanalepse et ça n’a rien à voir avec "fumer un café"…
– Et le fait de demander à ma femme si elle veut deux sucres dans sa clope, c’est quoi ?
– Un lapsus, mais ce n’est pas du tout une figure de style, ça…
Tu m’as entendu, chéri ? Hein, pardon ? Tu peux acheter le pain en rentrant ? Tu sais, c’est assez énervant, quand tu ne m’écoutes pas… Oh pardon, mon amour, oui le pain, tu as raison, j’étais dans la lune.
Nos lèvres se disent "smack smack", pour clore l’incident.
– Polyptote…
– Arrête un peu, ça viendra quand ça viendra, me réprimandé-je, pense plutôt aux cours de ce matin.
– Bah, il n’y a qu’une heure et demie, aujourd’hui…
– Peut-être, mais avec les seconde B…
– Oh, p… ! C’est vrai ! Je n’ai rien préparé ! Qu’est-ce que je leur raconte ?
– Panique pas, panique pas, réfléchis…
– Épanorthose ?
– Stop ! Ne nous éparpillons pas.
– Bon… Je fais comme d’hab… Non ? Je baratine un peu, lecture d’un texte du bouquin, explications, questions, la dernière à l’écrit, comme ça ils se taisent pendant la dernière demi-heure…
– Et après, tout le week-end pour corriger, pfff…
– Oui, j’ai raison, pffff… Mais il n’y a pas le choix, j’aurais dû préparer mon cours avant.
La demi-heure suivante, je dialogue avec le reflet du miroir de la salle de bains, puis fais chanter le pommeau de la douche, couiner l’armoire de la chambre, susurrer mes vêtements sur ma peau. Au moment de sortir de la maison, la porte me réclame, comme chaque jour, d’être graissée. Ma voiture toussote un peu avant de ronronner intensément pendant vingt minutes. Je laisse la radio converser avec elle sur le chemin du lycée.
– Phébus, galimatias ? Non ! Merde, qu’est-ce que c’est ?
– Bon, ce n’est pas tout, m’interromps-je, mais il est huit heures et quart, je suis en avance, qu’est-ce que je fais, je passe par la salle des profs ?
– Pour fumer un café fumant à la machine ? Et si Dupré est là ?
– M’en fous, je lui dis qu’il dégage ce gros con avec son ajustement des unités didactiques en accord avec la nouvelle réforme de l’orthographe.
– Je dis ça mais chaque fois que je le croise, je ferme ma gueule comme un gros lâche…
– Non mais cette fois il va m’entendre, ce con. Je me le jure.
Oh, monsieur Dupré ! Ça va ? Oui, ça va bien, au fait, j’aurais absolument besoin de vos unités didactiques réactualisées en accord avec la nouvelle réforme orthographique pour les envoyer au rectorat. Oh, c’est vrai, désolé, monsieur Dupré, demain, sans faute, enfin je veux dire, lundi, à la première heure, vous les avez dans votre casier. Oui, j’espère bien, parce qu’on est en retard, là ! Ne vous inquiétez pas…
– Ça y est, il est parti, on lui a bien rivé le clou, hein ! m’exclamé-je.
– Je crois ? Vraiment ? me demandé-je sur un ton ironique.
– N’empêche que ses unités didactiques, il peut toujours se brosser pour les avoir lundi, ricané-je en dedans, pour essayer de m’auto-convaincre.
Le café me dit "slurp" en entrant dans ma bouche. La sirène beugle et les pieds des élèves qui courent dans les couloirs m’indiquent qu’il n’y a pas de temps à perdre. La porte de la salle de cours ferme son clapet derrière moi et fait cesser le brouhaha des chaises et des pupitres.
Un peu de silence, je vous prie, et asseyez-vous. Bon voyons voir. Abou Myriam ? Présente. Bernard Quentin ? Présent. Charpaud, Yvan ? Non ? Où est-il, Charpaud Yvan ? Il est malade, m’sieur…
– Tant mieux… Ça nous fera des vacances.
– Bon, à part faire l’appel, je fais quoi? J’y ai pensé ?
– Euh… Pourquoi pas le texte de Rimbaud ? C’est à peu près au milieu du bouquin en plus il y a dix questions en fin de texte, j’embraie un peu sur le discours rapporté et s’il y a le temps je fais chercher des termes dans le dico…
– Antipépiphore.
– Ah non, ce n’est pas le moment !
– Pardon, pardon ! Oui, OK pour le texte.
Zygmanowski, Juliette ? Oui, présente ! D’accord… Bon, chut, taisez-vous, et écoutez-moi, merci. Ouvrez vos livres à la page 124. Oui, Nathan, vous aussi. J’ai oublié mon livre, m’sieur. Lisez avec votre voisin, alors. Je l’ai pas non plus m’sieur, mon livre. Je ne sais pas moi, qui peut prêter un livre ? Marine ? Ah non, pas moi, je suis désolée, mais moi je lui prête pas mon livre ! Ce n’est pas très gentil ça, Marine… Oui, mais moi, j’en ai marre de prêter mes affaires à Nathan. Il a qu’à pas tout oublier chez lui et puis c’est tout… C’est aussi un peu vrai, je vous le concède. Nathan, la prochaine fois que vous oublierez votre livre, vous copierez dix fois le texte travaillé en cours, vous avez compris ? M’sieur, allez cinq fois, s’il vous plaît, dix fois c’est vach’ment ! Nathan, d’abord on ne dit pas vach’ment, mais beaucoup. Ensuite, si dorénavant vous apportez votre livre, vous n’aurez rien à copier du tout, je vous l’assure. N’empêche que dix fois c’est vach’ment beaucoup. Chut, affaire classée. Donc je disais, page 124… Euh… Voyons voir, qui a oublié son livre ? Tout ça ? Bon, vous, vous changez de place, ici un livre pour deux, vous ici, vous là, ouah tu fais chier, mais arrête, dégage ! Qu’est-ce qu’il se passe, là-bas au fond ? C’est Marius, il a froissé mon livre, ouais mais Théo, il veut pas le mettre au milieu aussi ! Arrêtez tout de suite, on dirait des gamins de 6ème ! Donc, keuf keuf, ouvrez à la page keuf keuf 124. Qui veut lire ? C’est à quelle page ? 124, je viens de le dire. Oui, mais Camille elle a toussé, j’ai pas entendu. Il a dit quelle page, le prof ? 124, je crois, j’suis pas sûre. J’ai dit page 124, le texte d’Arthur Rimbaud, lettres du voyant. Quelle page ? Je l’ai déjà dit trois ou quatre fois, page 124. Ah d’accord, m’sieur. Qui veut lire ? Myriam ? J’ai pas mon livre, m’sieur… Yvan ? Il est pas là, il est malade, m’sieur ! Ah oui c’est vrai ! Maeva alors. C’est à quelle page monsieur ? 124 ! Pas la peine de crier, m’sieur, je suis pas sourde. Bon.
Arthur Rimbaud, lettres du keuf keuf voyant. Je veux êt-reu poè-te et je tra-vaille, wouah l’autre hé… Nathan, chut ! À me ren-dreu voyant. Vous ne compren-drez pas tout et je ne sauras, euh non, pardon, saurais, pres-queu vous ex-pliquer. Il s’a-git d’a-rri-ver - à l’in-co- nnu, ah ah hi hi trop drôle, Nathan, chut ! par le dé-règle-ment de tous les sens les sou-ffrances. Non, Maeva, faites un effort, enfin, il y a un point après "les sens". Recommencez, je vous prie. Depuis le début ? Oui. Mais c’est super long ! Allez-y, recommencez et respectez un peu la ponctuation, s’il vous plaît, mademoiselle. Bon allez, d’aaaaaccord, on y va, pffff… Je veux êt-reu poète, etj’travaillàmerendreu voyant vousn’comprendrépatout, et je nananana expliquer. Nananana keuf keuf, atchoum, chut, dérèglement de tous les sens – POINT –, les souffrances sont énormes, mais…
– Bon, je me fâche ou je la laisse massacrer Rimbaud sans rien dire ?
– Non, laisse tomber, va, tant pis. Il est quand même super dur ce texte pour des seconde. À cet âge-là, les gosses ne peuvent pas comprendre ce genre de concept…
– Ah oui, je veux rire ? Et à quel âge il a écrit ça, Rimbaud ?
– Ouais… C’est vrai, ça. Et en plus il n’arrêtait pas de sécher les cours
M’sieur, m’sieur, y a une erreur dans le livre ! Ah oui ? Quelle erreur, Jéremie ? C’est marqué "je est un autre", m’sieur, c’est pas plutôt "je suis un autre" ? Ah tiens, c’est vrai ça, j’avais pas remarqué ! Mais non, ça, c’est le verbe avoir, comme par exemple "mon iPhone il est cassé mais je est un autre chez mon beau-père". N’importe quoi ! Mais non, mais si, mais non je te dis ! M’sieur, hein que c’est ça, m’sieur ? Silence ! Merci. Messieurs, mesdemoiselles, je peux vous assurer que c’est parfaitement écrit dans le livre, c’est bien "je est un autre", avec le verbe être à la troisième personne de l’indicatif. Et à votre avis, pourquoi Arthur Rimbaud a écrit ça ? Moi, moi ! Oui, Quentin ? Moi, je crois qu’en fait, Arthur il dit que Je est un autre, parce qu’en fait, c’est un rebelle, alors il refuse d’être lui, il préfère être un autre, et quand les autres lui disent pourquoi tu fais ceci ou cela, lui il répond que c’est pas moi, c’est l’autre… Euh… Oui, c’est assez intéressant ce que tu dis là, Quentin, pas forcément très bien exprimé, mais bon… M’sieur, m’sieur, moi j’ai une explication, m’sieur ! Oui ? Peut-être qu’il est bipolaire, Arthur, et du coup il entend des voix dans sa tête ! Mais non, bipolaire, c’est pas ça, les mecs qui parlent dans leurs têtes c’est pas des bipolaires, c’est des schizos ! Mais non, c’est des bipolaires ! Schizos, je te dis, oui, non, oui, non, m’sieur, m’sieur ? Quelqu’un qui parle dans sa tête c’est un schizo ou un bipolaire ?
– Pfff… soupiré-je en mon for intérieur… On n’a pas encore commencé le commentaire, ça va être chaud…
–Au fait, les schizophrènes parlent vraiment dans leur tête ?
–Je n’en sais rien, ils ont des hallucinations, ça oui, mais se parler à soi-même, je n’en sais rien, je ne suis pas schizophrène, moi.
– N’empêche, c’est incroyable ces mômes qui zappent tout, incapables de se concentrer sur une même idée plus de deux minutes d’affilée…
– Synesthésie ! Synesthésie ! Comme Rimbaud et son poème "Voyelles" ! Je bois une clope, Je fume un café, c’est une interversion des perceptions sensorielles.
– Mouais… Pas convaincu, quand même.
– C’est un peu capillotracté, mais il y a de ça, non ?
– Non, tranché-je. Et en plus, je ferais mieux de faire attention à ma classe, il y a Quentin et Marine sur le point de se bastonner au sujet des maladies mentales…
Bipolaire, je t’ai dit ! Bipolaire, toi-même ! Stop ! Arrêtez tout les enfants ! Silence ! Et écoutez-moi…
Ma craie crisse sur le tableau noir et parvient à clouer le bec de la trentaine d’adolescents assis devant moi. Elle continue de discourir, pendant une bonne demi-heure, sur les différenciations à effectuer entre narrateur, personnage et auteur, évoque tantôt Proust, tantôt Flaubert, en suivant un schéma complexe et néanmoins concis et didactique, dont je suis assez fier. Les stylos Bic des élèves répètent sur les cahiers les enseignements révélés par la craie. Ensuite, ces mêmes stylos soliloquent, en silence, pour répondre aux dix questions posées par le livre. Finalement, trois quart d’heure plus tard, la sirène clame avec fracas, tel le clairon sonnant une armistice, la fin du cours.
– Ce ne serait pas un chiasme, des fois ? me demandé-je tout d’un coup, en savourant les premières gorgées de ma cigarette, à la sortie du lycée.
– Oui, ou alors une aposiopèse…
– Hé, le pain ! J’allais oublier le pain, dis donc !
Une petite clochette, d’un ding-dong feutré, salue mon entrée dans la boulangerie.
Bonjour monsieur. Bonjour ! Qu’est-ce que ce sera ? Une baguette. Bien cuite la baguette ? Oui, s’il vous plaît. Et avec ça, ce sera tout ? Euh, oui… Tiens, non, donnez-moi aussi un rhum au baba, s’il vous plaît. Un rhum au baba ? Ah, ah, ah ! Ça, c’est un joli pataquès, monsieur !
– Pataquès ? J’ai bien entendu ? Il a dit pataquès ? me demandé-je à brûle-pourpoint.
– Oui, oui… Il a bien dit pataquès… La phrase "je ne sais pas à qui est-ce", devient "je ne sais pataquès", c’est une déformation involontaire du code oral, quand on a la langue qui fourche, quoi…
– Ça alors ! m’exclamé-je. Fumer un café et boire une clope, c’est donc un pataquès !
– Bon sang mais c’est bien sûr ! Eurêka ! m’écrié-je, en moi-même.
Ben dites donc, mon bon monsieur, ça a l’air de vous mettre en joie, le pataquès ! Ah, oui ça m’amuse beaucoup, merci, merci beaucoup pour ce joli mot ! Y a pas d’quoi monsieur. C’est une expression qu’employait souvent mon père, il était de Marseille et il aimait dire "mais qu’est-ce que c’est ce pataquès ?" Ici on dit plutôt carabistouille, mais chez nous c’était charabia, ou pataouète, ou alors pataquès…
Une demi-heure plus tard, la porte d’entrée de ma maison réclame, de nouveau, d’être graissée, et la télé chante encore des pubs idiotes dans le salon, exactement comme à huit heures du matin.
Bonjour les enfants ! J’ai dit bonjour les enfants ! Les enfants, vous n’avez pas entendu que votre père vient de rentrer et qu’il vous dit bonjour ? Hein ? Quoi ? Bonjour les enfants ! B’jour papa, b’jour papa… Alors, tu as passé une bonne matinée, mon chéri ? Oui, oui, plutôt. Et tu as apporté le pain ?
– Non, ça ne peut pas être pataquès, pataquès c’est quand on fait une erreur grammaticale, et là ce n’est pas le cas.
– C’est pas pataquès alors ?
–Non.
– Pas même un petit peu ?
– Non, désolé.
– Et meeeeerde !
Chéri ? Chéri ! Je t’ai demandé si tu as acheté le pain ? Hein ? Quoi ? Tu as acheté le pain ? Oui, oui, bien sûr, voilà le pain, pardon j’étais justement en train de penser à un truc… Et à quoi tu pensais, on peut savoir ? Euh oui, je pensais que tu devrais mettre cette robe plus souvent, ça va très bien avec tes boucles d’oreilles. En plus, assorti avec le vert de tes yeux, tu es très jolie aujourd’hui. Oh, tu as remarqué mes boucles d’oreilles ? Que c’est gentil, mon amour !
Nos bouches poursuivent la conversation en mâchouillant des mots tendres et mouillés.
– Alors là, chapeau bas ! Bravo pour ce sens de la repartie ! Dire qu’elle était sur le point de me passer un savon…
– Et ce n’est pas tout ! Figure-moi que j’ai enfin trouvé… Et cette fois-ci c’est définitif… Une hypallage !
– Voyons voir… Hypallage… Figure qui consiste à attribuer à certains mots d’une phrase ce qui convient à d’autres mots de la même phrase.
– Prévert avait fait une hypallage avec le vers "un vieillard en or avec une montre en deuil" si je ne m’abuse.
– Oui, tout à fait. Boire une clope c’est exactement la même chose.
– Ça m’en bouche un coin, hein ?
Pendant ce temps, ma langue bavarde avec celle de ma femme, qui argumente, elle aussi, de bien belle manière. Un beau débat, qui ne manque ni de piquant, ni de sel, pour une rhétorique tout ce qu’il y a de mielleuse. Ça, c’est l’effet rhum au baba, et nos deux langues qui fourchent, c’est un double pataquès.
Un petit exercice type "oulipo" ou on intervertit le discours direct et indirect
Si « je » est un autre, alors « tu » c’est qui ?
Le réveil, d’une sonnerie brève et stridente, me crie qu’il est temps de me lever, car il est sept heures trente a.m.
– Allez debout, me dis-je.
– Pfff, non, encore dix minutes, me réponds-je, d’une pensée lasse.
– D’accord, mais juste dix minutes, sinon…
Je n’articule pas la fin de ma réflexion, ce n’est pas la peine, je me suis parfaitement compris. Le réveil, sous la pression de mon index, accepte, résigné, de se taire. Il réitère son appel, exactement dix minutes plus tard, comme convenu.
– Une nouvelle journée qui commence, pensé-je. Qu’est-ce que je fais d’abord, je fume un café ou je bois une clope ?
– Plutôt un café, me réponds-je. Je fume un café, je bois une clope… C’est quoi ça comme trope, un métaplasme?
– Non, pas métaplasme, le métaplasme c’est juste phonétique… Métalogisme ? Non plus… Hyperbole ?
– Hyperbol de café fumant !
– Très drôle… Non, sérieux, c’est quoi comme figure de style ?
– On s’en fout.
– Bien sûr qu’on s’en fout, n’empêche que si je ne colle pas un nom dessus, ça va m’énerver toute la journée.
– Épanode ? Hypozeuxe ?
– Si ça se trouve ce n’est rien d’autre qu’un calembour foireux.
– Non, c’est peut-être foireux mais ça doit bien porter un nom, comme figure… Adynaton, anadiplose… Bon tant pis, j’abandonne.
– Tant mieux… Ah ! Un bon café fumant le matin, tout seul en tête-à-tête avec soi-même, il n’y a rien de mieux, n’est-ce pas, me lancé-je, tout en m’adressant un sourire interne.
– À qui le dis-je ! répliqué-je en silence.
L’escalier proteste en crissant sous les pieds des enfants qui le dévalent en galopant.
Salut mes p’tits chéris, déjà levés ? B’jour papa, b’jour papa, smack smack, tu nous prépares le petit déjeuner ? Euh, oui, oui, mais attendez que j’aie fini mon café d’abord, d’accord papa, on peut regarder la télé pendant ce temps ? Oui mon chéri mais pas trop fort, faut pas réveiller maman.
La télé, tout à coup, se met à brailler et chanter des jingles de pubs à tue-tête.
– Pfff… On ne peut jamais avoir la paix cinq minutes dans cette baraque.
Chut, je vous ai dit de ne pas mettre la télé à fond, les mômes, mais papa, non, il n’y a pas de papa qui vaille, j’éteins, mais papa…
La télécommande, actionnée par mon doigt, fait cesser les hurlements du poste.
Rhôô papa, allez s’il te plaît quoi, c’est samedi aujourd’hui, vous n’avez qu’à lire un peu avant le petit déjeuner, pfff, papa c’est pas marrant… Écoutez, je n’ai pas le temps de discuter, c’est comme ça. Ce matin je dois travailler, rhôô mais papa…
L’escalier grince doucement pour m’annoncer l’arrivée de ma femme.
C’est quoi tous ces bruits ? Les gosses, désolé, ils t’ont réveillé ? À ton avis ? Mais tant pis, de toutes façons c’était presque l’heure de me lever. Bien dormi chéri ? pffff, et toi ? fff aussi… Café ? Non, plutôt clope. Avec deux sucres, comme d’habitude ? Oui, merci. Tiens au fait tu pourras acheter le pain avant de rentrer à la maison ?
– Épanalepse ! Ça y est ! C’est ça !
– Mais non, n’importe quoi, Ô triste, triste était mon âme, de Verlaine, c’est une épanalepse et ça n’a rien à voir avec "fumer un café"…
– Et le fait de demander à ma femme si elle veut deux sucres dans sa clope, c’est quoi ?
– Un lapsus, mais ce n’est pas du tout une figure de style, ça…
Tu m’as entendu, chéri ? Hein, pardon ? Tu peux acheter le pain en rentrant ? Tu sais, c’est assez énervant, quand tu ne m’écoutes pas… Oh pardon, mon amour, oui le pain, tu as raison, j’étais dans la lune.
Nos lèvres se disent "smack smack", pour clore l’incident.
– Polyptote…
– Arrête un peu, ça viendra quand ça viendra, me réprimandé-je, pense plutôt aux cours de ce matin.
– Bah, il n’y a qu’une heure et demie, aujourd’hui…
– Peut-être, mais avec les seconde B…
– Oh, p… ! C’est vrai ! Je n’ai rien préparé ! Qu’est-ce que je leur raconte ?
– Panique pas, panique pas, réfléchis…
– Épanorthose ?
– Stop ! Ne nous éparpillons pas.
– Bon… Je fais comme d’hab… Non ? Je baratine un peu, lecture d’un texte du bouquin, explications, questions, la dernière à l’écrit, comme ça ils se taisent pendant la dernière demi-heure…
– Et après, tout le week-end pour corriger, pfff…
– Oui, j’ai raison, pffff… Mais il n’y a pas le choix, j’aurais dû préparer mon cours avant.
La demi-heure suivante, je dialogue avec le reflet du miroir de la salle de bains, puis fais chanter le pommeau de la douche, couiner l’armoire de la chambre, susurrer mes vêtements sur ma peau. Au moment de sortir de la maison, la porte me réclame, comme chaque jour, d’être graissée. Ma voiture toussote un peu avant de ronronner intensément pendant vingt minutes. Je laisse la radio converser avec elle sur le chemin du lycée.
– Phébus, galimatias ? Non ! Merde, qu’est-ce que c’est ?
– Bon, ce n’est pas tout, m’interromps-je, mais il est huit heures et quart, je suis en avance, qu’est-ce que je fais, je passe par la salle des profs ?
– Pour fumer un café fumant à la machine ? Et si Dupré est là ?
– M’en fous, je lui dis qu’il dégage ce gros con avec son ajustement des unités didactiques en accord avec la nouvelle réforme de l’orthographe.
– Je dis ça mais chaque fois que je le croise, je ferme ma gueule comme un gros lâche…
– Non mais cette fois il va m’entendre, ce con. Je me le jure.
Oh, monsieur Dupré ! Ça va ? Oui, ça va bien, au fait, j’aurais absolument besoin de vos unités didactiques réactualisées en accord avec la nouvelle réforme orthographique pour les envoyer au rectorat. Oh, c’est vrai, désolé, monsieur Dupré, demain, sans faute, enfin je veux dire, lundi, à la première heure, vous les avez dans votre casier. Oui, j’espère bien, parce qu’on est en retard, là ! Ne vous inquiétez pas…
– Ça y est, il est parti, on lui a bien rivé le clou, hein ! m’exclamé-je.
– Je crois ? Vraiment ? me demandé-je sur un ton ironique.
– N’empêche que ses unités didactiques, il peut toujours se brosser pour les avoir lundi, ricané-je en dedans, pour essayer de m’auto-convaincre.
Le café me dit "slurp" en entrant dans ma bouche. La sirène beugle et les pieds des élèves qui courent dans les couloirs m’indiquent qu’il n’y a pas de temps à perdre. La porte de la salle de cours ferme son clapet derrière moi et fait cesser le brouhaha des chaises et des pupitres.
Un peu de silence, je vous prie, et asseyez-vous. Bon voyons voir. Abou Myriam ? Présente. Bernard Quentin ? Présent. Charpaud, Yvan ? Non ? Où est-il, Charpaud Yvan ? Il est malade, m’sieur…
– Tant mieux… Ça nous fera des vacances.
– Bon, à part faire l’appel, je fais quoi? J’y ai pensé ?
– Euh… Pourquoi pas le texte de Rimbaud ? C’est à peu près au milieu du bouquin en plus il y a dix questions en fin de texte, j’embraie un peu sur le discours rapporté et s’il y a le temps je fais chercher des termes dans le dico…
– Antipépiphore.
– Ah non, ce n’est pas le moment !
– Pardon, pardon ! Oui, OK pour le texte.
Zygmanowski, Juliette ? Oui, présente ! D’accord… Bon, chut, taisez-vous, et écoutez-moi, merci. Ouvrez vos livres à la page 124. Oui, Nathan, vous aussi. J’ai oublié mon livre, m’sieur. Lisez avec votre voisin, alors. Je l’ai pas non plus m’sieur, mon livre. Je ne sais pas moi, qui peut prêter un livre ? Marine ? Ah non, pas moi, je suis désolée, mais moi je lui prête pas mon livre ! Ce n’est pas très gentil ça, Marine… Oui, mais moi, j’en ai marre de prêter mes affaires à Nathan. Il a qu’à pas tout oublier chez lui et puis c’est tout… C’est aussi un peu vrai, je vous le concède. Nathan, la prochaine fois que vous oublierez votre livre, vous copierez dix fois le texte travaillé en cours, vous avez compris ? M’sieur, allez cinq fois, s’il vous plaît, dix fois c’est vach’ment ! Nathan, d’abord on ne dit pas vach’ment, mais beaucoup. Ensuite, si dorénavant vous apportez votre livre, vous n’aurez rien à copier du tout, je vous l’assure. N’empêche que dix fois c’est vach’ment beaucoup. Chut, affaire classée. Donc je disais, page 124… Euh… Voyons voir, qui a oublié son livre ? Tout ça ? Bon, vous, vous changez de place, ici un livre pour deux, vous ici, vous là, ouah tu fais chier, mais arrête, dégage ! Qu’est-ce qu’il se passe, là-bas au fond ? C’est Marius, il a froissé mon livre, ouais mais Théo, il veut pas le mettre au milieu aussi ! Arrêtez tout de suite, on dirait des gamins de 6ème ! Donc, keuf keuf, ouvrez à la page keuf keuf 124. Qui veut lire ? C’est à quelle page ? 124, je viens de le dire. Oui, mais Camille elle a toussé, j’ai pas entendu. Il a dit quelle page, le prof ? 124, je crois, j’suis pas sûre. J’ai dit page 124, le texte d’Arthur Rimbaud, lettres du voyant. Quelle page ? Je l’ai déjà dit trois ou quatre fois, page 124. Ah d’accord, m’sieur. Qui veut lire ? Myriam ? J’ai pas mon livre, m’sieur… Yvan ? Il est pas là, il est malade, m’sieur ! Ah oui c’est vrai ! Maeva alors. C’est à quelle page monsieur ? 124 ! Pas la peine de crier, m’sieur, je suis pas sourde. Bon.
Arthur Rimbaud, lettres du keuf keuf voyant. Je veux êt-reu poè-te et je tra-vaille, wouah l’autre hé… Nathan, chut ! À me ren-dreu voyant. Vous ne compren-drez pas tout et je ne sauras, euh non, pardon, saurais, pres-queu vous ex-pliquer. Il s’a-git d’a-rri-ver - à l’in-co- nnu, ah ah hi hi trop drôle, Nathan, chut ! par le dé-règle-ment de tous les sens les sou-ffrances. Non, Maeva, faites un effort, enfin, il y a un point après "les sens". Recommencez, je vous prie. Depuis le début ? Oui. Mais c’est super long ! Allez-y, recommencez et respectez un peu la ponctuation, s’il vous plaît, mademoiselle. Bon allez, d’aaaaaccord, on y va, pffff… Je veux êt-reu poète, etj’travaillàmerendreu voyant vousn’comprendrépatout, et je nananana expliquer. Nananana keuf keuf, atchoum, chut, dérèglement de tous les sens – POINT –, les souffrances sont énormes, mais…
– Bon, je me fâche ou je la laisse massacrer Rimbaud sans rien dire ?
– Non, laisse tomber, va, tant pis. Il est quand même super dur ce texte pour des seconde. À cet âge-là, les gosses ne peuvent pas comprendre ce genre de concept…
– Ah oui, je veux rire ? Et à quel âge il a écrit ça, Rimbaud ?
– Ouais… C’est vrai, ça. Et en plus il n’arrêtait pas de sécher les cours
M’sieur, m’sieur, y a une erreur dans le livre ! Ah oui ? Quelle erreur, Jéremie ? C’est marqué "je est un autre", m’sieur, c’est pas plutôt "je suis un autre" ? Ah tiens, c’est vrai ça, j’avais pas remarqué ! Mais non, ça, c’est le verbe avoir, comme par exemple "mon iPhone il est cassé mais je est un autre chez mon beau-père". N’importe quoi ! Mais non, mais si, mais non je te dis ! M’sieur, hein que c’est ça, m’sieur ? Silence ! Merci. Messieurs, mesdemoiselles, je peux vous assurer que c’est parfaitement écrit dans le livre, c’est bien "je est un autre", avec le verbe être à la troisième personne de l’indicatif. Et à votre avis, pourquoi Arthur Rimbaud a écrit ça ? Moi, moi ! Oui, Quentin ? Moi, je crois qu’en fait, Arthur il dit que Je est un autre, parce qu’en fait, c’est un rebelle, alors il refuse d’être lui, il préfère être un autre, et quand les autres lui disent pourquoi tu fais ceci ou cela, lui il répond que c’est pas moi, c’est l’autre… Euh… Oui, c’est assez intéressant ce que tu dis là, Quentin, pas forcément très bien exprimé, mais bon… M’sieur, m’sieur, moi j’ai une explication, m’sieur ! Oui ? Peut-être qu’il est bipolaire, Arthur, et du coup il entend des voix dans sa tête ! Mais non, bipolaire, c’est pas ça, les mecs qui parlent dans leurs têtes c’est pas des bipolaires, c’est des schizos ! Mais non, c’est des bipolaires ! Schizos, je te dis, oui, non, oui, non, m’sieur, m’sieur ? Quelqu’un qui parle dans sa tête c’est un schizo ou un bipolaire ?
– Pfff… soupiré-je en mon for intérieur… On n’a pas encore commencé le commentaire, ça va être chaud…
–Au fait, les schizophrènes parlent vraiment dans leur tête ?
–Je n’en sais rien, ils ont des hallucinations, ça oui, mais se parler à soi-même, je n’en sais rien, je ne suis pas schizophrène, moi.
– N’empêche, c’est incroyable ces mômes qui zappent tout, incapables de se concentrer sur une même idée plus de deux minutes d’affilée…
– Synesthésie ! Synesthésie ! Comme Rimbaud et son poème "Voyelles" ! Je bois une clope, Je fume un café, c’est une interversion des perceptions sensorielles.
– Mouais… Pas convaincu, quand même.
– C’est un peu capillotracté, mais il y a de ça, non ?
– Non, tranché-je. Et en plus, je ferais mieux de faire attention à ma classe, il y a Quentin et Marine sur le point de se bastonner au sujet des maladies mentales…
Bipolaire, je t’ai dit ! Bipolaire, toi-même ! Stop ! Arrêtez tout les enfants ! Silence ! Et écoutez-moi…
Ma craie crisse sur le tableau noir et parvient à clouer le bec de la trentaine d’adolescents assis devant moi. Elle continue de discourir, pendant une bonne demi-heure, sur les différenciations à effectuer entre narrateur, personnage et auteur, évoque tantôt Proust, tantôt Flaubert, en suivant un schéma complexe et néanmoins concis et didactique, dont je suis assez fier. Les stylos Bic des élèves répètent sur les cahiers les enseignements révélés par la craie. Ensuite, ces mêmes stylos soliloquent, en silence, pour répondre aux dix questions posées par le livre. Finalement, trois quart d’heure plus tard, la sirène clame avec fracas, tel le clairon sonnant une armistice, la fin du cours.
– Ce ne serait pas un chiasme, des fois ? me demandé-je tout d’un coup, en savourant les premières gorgées de ma cigarette, à la sortie du lycée.
– Oui, ou alors une aposiopèse…
– Hé, le pain ! J’allais oublier le pain, dis donc !
Une petite clochette, d’un ding-dong feutré, salue mon entrée dans la boulangerie.
Bonjour monsieur. Bonjour ! Qu’est-ce que ce sera ? Une baguette. Bien cuite la baguette ? Oui, s’il vous plaît. Et avec ça, ce sera tout ? Euh, oui… Tiens, non, donnez-moi aussi un rhum au baba, s’il vous plaît. Un rhum au baba ? Ah, ah, ah ! Ça, c’est un joli pataquès, monsieur !
– Pataquès ? J’ai bien entendu ? Il a dit pataquès ? me demandé-je à brûle-pourpoint.
– Oui, oui… Il a bien dit pataquès… La phrase "je ne sais pas à qui est-ce", devient "je ne sais pataquès", c’est une déformation involontaire du code oral, quand on a la langue qui fourche, quoi…
– Ça alors ! m’exclamé-je. Fumer un café et boire une clope, c’est donc un pataquès !
– Bon sang mais c’est bien sûr ! Eurêka ! m’écrié-je, en moi-même.
Ben dites donc, mon bon monsieur, ça a l’air de vous mettre en joie, le pataquès ! Ah, oui ça m’amuse beaucoup, merci, merci beaucoup pour ce joli mot ! Y a pas d’quoi monsieur. C’est une expression qu’employait souvent mon père, il était de Marseille et il aimait dire "mais qu’est-ce que c’est ce pataquès ?" Ici on dit plutôt carabistouille, mais chez nous c’était charabia, ou pataouète, ou alors pataquès…
Une demi-heure plus tard, la porte d’entrée de ma maison réclame, de nouveau, d’être graissée, et la télé chante encore des pubs idiotes dans le salon, exactement comme à huit heures du matin.
Bonjour les enfants ! J’ai dit bonjour les enfants ! Les enfants, vous n’avez pas entendu que votre père vient de rentrer et qu’il vous dit bonjour ? Hein ? Quoi ? Bonjour les enfants ! B’jour papa, b’jour papa… Alors, tu as passé une bonne matinée, mon chéri ? Oui, oui, plutôt. Et tu as apporté le pain ?
– Non, ça ne peut pas être pataquès, pataquès c’est quand on fait une erreur grammaticale, et là ce n’est pas le cas.
– C’est pas pataquès alors ?
–Non.
– Pas même un petit peu ?
– Non, désolé.
– Et meeeeerde !
Chéri ? Chéri ! Je t’ai demandé si tu as acheté le pain ? Hein ? Quoi ? Tu as acheté le pain ? Oui, oui, bien sûr, voilà le pain, pardon j’étais justement en train de penser à un truc… Et à quoi tu pensais, on peut savoir ? Euh oui, je pensais que tu devrais mettre cette robe plus souvent, ça va très bien avec tes boucles d’oreilles. En plus, assorti avec le vert de tes yeux, tu es très jolie aujourd’hui. Oh, tu as remarqué mes boucles d’oreilles ? Que c’est gentil, mon amour !
Nos bouches poursuivent la conversation en mâchouillant des mots tendres et mouillés.
– Alors là, chapeau bas ! Bravo pour ce sens de la repartie ! Dire qu’elle était sur le point de me passer un savon…
– Et ce n’est pas tout ! Figure-moi que j’ai enfin trouvé… Et cette fois-ci c’est définitif… Une hypallage !
– Voyons voir… Hypallage… Figure qui consiste à attribuer à certains mots d’une phrase ce qui convient à d’autres mots de la même phrase.
– Prévert avait fait une hypallage avec le vers "un vieillard en or avec une montre en deuil" si je ne m’abuse.
– Oui, tout à fait. Boire une clope c’est exactement la même chose.
– Ça m’en bouche un coin, hein ?
Pendant ce temps, ma langue bavarde avec celle de ma femme, qui argumente, elle aussi, de bien belle manière. Un beau débat, qui ne manque ni de piquant, ni de sel, pour une rhétorique tout ce qu’il y a de mielleuse. Ça, c’est l’effet rhum au baba, et nos deux langues qui fourchent, c’est un double pataquès.
Re: Charivari. R.E.V.E.R., à l'endroit comme à l'envers ça fait toujours "Rêver"
Très chouette à lire !
Ça me donne envie de me remettre à l’écriture …
Ça me donne envie de me remettre à l’écriture …
Félix potin- Messages : 55
Date d'inscription : 23/02/2020
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