Conte rendu d'errance

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Message par Chuna Ven 29 Oct 2021 - 18:24

J’ai une vidéo de course de mes gosses sur le grand stade à Olympie ^^

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Message par Confiteor Sam 30 Oct 2021 - 11:11

Vous avez réussi à trouver du fric pour les emmener en Grèce ?

Le souci c'est qu'avec le we c'est blindé de monde 😀

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Message par Chuna Sam 30 Oct 2021 - 12:35

On y est allés en février 2019 du coup peu cher ils ont payé
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Message par Confiteor Lun 1 Nov 2021 - 16:31

Ça y est ...

Je me suis résigné.
On prend le ferry pour Venise à Patra le 4 un peu avant minuit. Y'a 30 h de traversée et Venise est à une journée d'autoroute de la maison.

Après quelques mois de relative accalmie ma santé s'est beaucoup dégradée depuis un petit mois. Le profit que nous tirons de nos ballades ne compense plus les nuisances. Et puis M. et les enfants me font la sérénade depuis pas mal de temps pour que je reprenne les investigations.
Aux troubles neurologiques se sont ajoutés de nouveaux symptômes que je vous épargne et surtout une fatigue insurmontable qui me cloue dans l'inaction parfois plus de 15 heures par jour.

C'est comme ça, faut faire avec même si c'est dur à digérer.
Demain on visitera le site de Mistra près de Sparte. Il nous restera encore deux jours pour se ballader.

Ici se termine notre errance. C'était bien... et j'ai aimé la partager avec vous.

On va envisager une suite positive :
Une semaine d'hospitalisation pour examens en médecine interne au CHU, notre fille me pistonnera pour être traité comme un coq en pâte. Elle y a fait un stage et elle etait la chouchoute de la patronne.
Ils trouvent un truc fastoche à réparer moyennant quelques cachets magiques.

Un peu de repos hivernal dans notre super maison toute rénovée et bien décorée (style intello chic urbain de l'avis de notre fils qui en est un expert).

Aussi bien je reprends tellement la forme (la médecine fait des merveilles, d'ailleurs notre fille etc.) que je me fais un super début de saison de ski parce que cette année la neige sera précoce, je l'ai décidé.

Comme j'ai retrouvé un vrai bon niveau on part en février à Palandonken (est de la Turquie). On embauche un moniteur à la journée pour explorer le domaine hors piste. Y'a du très bon. D'ici là on peut faire confiance à Erdoğan pour qu'on se retrouve à 15 YTL pour 1 € ...
Ensuite un petit tour en bagnole de loc, on invitera nos amis d'Istanbul à nous rejoindre une semaine.
Puis un Kars-Ankara par l'Orient-Express en wagon lit restauré années 30.

Le temps de revenir préparer le coup et on repart en camion direction l'Asie Centrale. Vite fait rejoindre la Caspienne, quelques shashliks au passage en Géorgie, le pied du mont Elbrouz en hiver. Mais sans traîner. Puis ferry pour le Kazakhstan, les steppes, la mer d'Aral, les oasis de la route de la soie perdues dans le désert.
Ouzbékistan, les incontournables Samarcande, Boukhara etc.
Vite fait quelques chevauchées au Kirghizstan, nous y avons de bonnes adresses. Puis ce dont je rêve tant la zone du Pamir dans l'est du Tadjikistan. Nous l'avons parcourue beaucoup trop vite et n'avons pas pu explorer les chemins de traverse.
Seule limite je n'espère plus pouvoir aller dans le corridor du Wakhan ...

Voilà. Je raconte tout ça pour vous faire rêver que ce carnet de voyage n'est pas clos.

Et puis me reste aussi un travail, trier quelques photos afin que vous ayez un autre angle d'approche sur notre balade.

Merci à tous de m'avoir lu !
Pardonnez les imperfections de forme, j'ai tout fait dans l'urgence. J'aurais aimé avoir plus d'énergie afin de poursuivre une rédaction approfondie comme au début du voyage. Mais au fil du temps la fatigue m'a laissé chaque jour un peu moins de disponibilité.

J'ai un peu les boules, mais je gère.
L'avenir ? Ben, on verra sur place en fonction des résultats
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Message par Confiteor Lun 1 Nov 2021 - 16:32

Je n'ai qu'un regret, mon ego démesuré espérait atteindre les 10 000 vues 😃
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Message par fift Lun 1 Nov 2021 - 17:33

Plus que 1605 vues, c'est jouable !

Allez courage, et tu sais que nous sommes là pour ... j'en sais rien, au cas où quoi.

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Message par Confiteor Lun 1 Nov 2021 - 17:43

Oui oui je le sais et jamais je ne saurais vous en remercier assez. Je vous en sais encore gré.

Dès lors, si c'est un peu rude je sais pouvoir compter sur votre soutien  et ce n'est pas du tout indifférent.

Mon pote fift, tu vas voir quand je vais dégainer les photos ... je pense qu'il y en a au moins 5 ou 6 de très bonnes !
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Message par Chuna Lun 1 Nov 2021 - 18:58

Des photos jaune pisseux, mouais...

T'as intérêt à suivre le plan prévu et nous ramener d'ici quelques mois loin histoire de nous faire rêver !

Et je vais croiser doigts et fesses pour que tu plaises tellement à la patronne qu'elle va trouver rapidos les bons médocs.
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Message par Topsy Turvy Jeu 4 Nov 2021 - 18:46

Bientôt l'heure du ferry. A 400 près, le compte est bon. Si ça se trouve, d'ici que vous atteigniez le paillasson...
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Message par RonaldMcDonald Jeu 4 Nov 2021 - 20:06

Bonne traversée à vous deux. Et bon rétablissement.

ça a été cool, de voyager avec toi. Je sais que je ne ferais jamais ça, pour ouate mille raisons. Mais ça m'a permis de rêver.
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Message par Topsy Turvy Jeu 4 Nov 2021 - 20:10

Tiens, on est moins de 200 du compte. Il est à quelle heure, le ferry ?
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Message par fift Jeu 4 Nov 2021 - 20:33

148.

On va y arriver !

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Message par fift Jeu 4 Nov 2021 - 20:33

139 !

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Message par fift Jeu 4 Nov 2021 - 20:57

Ça y est !

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Message par Confiteor Jeu 4 Nov 2021 - 21:02

C'est un ZCthon ?

J'ai vu de plus beaux bivouacs...

Conte rendu d'errance - Page 7 20211110

J'en chie un peu mais ma détermination reste entière.

Un peu de repos, les mains expertes des petits génies des CHU (et un peu de bol ...) et je repars. Encore plus loin encore plus fort. Et vous serez à nouveau spectateurs !
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Message par Confiteor Jeu 4 Nov 2021 - 21:04

J'avais pas vu ...
Vous êtes dingos d'ainsi flatter mon ego qui n'en a largement pas besoin.

Bisous à tous, c'est très touchant
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Message par Stef-âne Jeu 4 Nov 2021 - 21:25


Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage ...........
Et nous l'a partagé!
C'était génial!!!
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Message par Confiteor Dim 7 Nov 2021 - 9:47

Home sweet home.
Étrange sensation. J'avais un peu oublié.
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Message par Confiteor Dim 7 Nov 2021 - 9:48

En fait ça ne sert à rien de partir si on revient.
Puisqu'on se retrouve au même point.
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Message par Invité Dim 7 Nov 2021 - 9:57

Ça me fait penser à la chanson d'Orelsan, pas vrai sosure4? Ah bah elle n'est pas là.
La chanson :

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Message par Chuna Dim 7 Nov 2021 - 10:07

Revenir pour mieux repartir, si si.
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Message par Topsy Turvy Dim 7 Nov 2021 - 11:17

Partir, c'est mourir un peu,
C'est mourir à ce qu'on aime :
On laisse un peu de soi-même
En toute heure et dans tout lieu.

C'est toujours le deuil d'un vœu,
Le dernier vers d'un poème ;
Partir, c'est mourir un peu,
C'est mourir à ce qu'on aime.

Et l'on part, et c'est un jeu,
Et jusqu'à l'adieu suprême
C'est son âme que l'on sème,
Que l'on sème à chaque adieu :
Partir, c'est mourir un peu...


Rondel de l'adieu, Edmond Haraucourt
Recueil : Seul, roman en vers (1890)
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Message par cyranolecho Dim 7 Nov 2021 - 23:55

On dirait Bouddha.
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Message par Invité Lun 8 Nov 2021 - 11:12

Un voyage c'est une petite vie à part entière. Une naissance, une croissance, un parcours et une mort.

L'avantage du voyage : On peut en faire plusieurs.

Home sweet home Razz

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Message par RonaldMcDonald Lun 8 Nov 2021 - 12:00

Et ça laisse de sacrés souvenirs.
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Message par Confiteor Jeu 28 Sep 2023 - 22:33

Même s'il reste peu de lecteurs en ces lieux désertés (Tigrou a expliqué pourquoi et il ne me viendrais pas à l'idée de le contredire), pourquoi ne pas poser sur ce carnet de voyage ce texte qui ne lui était pas destiné ?

Comme toujours pour ce type d'objet, rédigé au fil de la pensée, comme en écriture automatique. C'est moins léché mais plus sincère.



Conte rendu d'errance - Page 7 20230930



Conte rendu d'errance - Page 7 P9270310

On devine de la piste sur laquelle j'ai bivouaqué et vous comprendrez aisément quel couloir j'ai emprunté.



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Un panoramique à 180° seulement, vous n'avez qu'à imaginer l'autre côté ...



_______________________________________________________________________________


Lundi 26 septembre.

Je quitte de bon matin un bivouac de rêve dans les collines arides qui surplombent la vallée de l’Euphrate. En arrière-plan, à l’est et à l’ouest, se déroulent de longues chaînes de montagnes dépassant les 3000 m au pied desquelles sont nichés de petits hameaux qu’on repère avant tout par les taches vertes des arbres qu’on entretient depuis toujours. Elles rompent le doré des blés moissonnés dans les rares petits plateaux cultivables. C’est dans l’un de ces champs que je me suis installé.
Les pentes sont occupées par de maigres pâturages bien desséchés à cette saison et souvent de vastes étendues de terre nue. Pour la plupart ce sont des cendres volcaniques qui prennent des teintes improbables et très changeantes parfois à de faibles distances. Alternent des verts émeraude, des pourpres maléfiques, des bleus délavés et parfois des blancs éblouissants.

Je poursuis la petite piste qui saute d’un relief à l’autre avec des pentes abruptes et des successions de lacets qu’il faut enrouler afin que les roues ne patinent pas. Dans les zones rocheuses, le paysage en entaillé de canyons. Certains font seulement quelques mètres de large, bordés par des falaises polies par le temps. On devine la fureur des torrents à la fonte des neiges. Au fond de ceux-ci, et parfois sur leurs flancs, profitant de petites failles, quelques arbustes se défendent chèrement.  

J’ai choisi de faire une vaste boucle afin d’éviter la route principale et de profiter de la sérénité de la campagne.

Nous avons vu se réaliser les gigantesques travaux d’infrastructure des années 2000. Ils n’ont pas ménagé le paysage. Les Turcs ne font pas les choses à moitié ! Ils n’ont pas hésité à découper des montagnes, combler des vallées, créer des rampes dantesques afin de construire ces vastes routes à quatre voie qui relient désormais les villes principales. Y rouler est un pensum. La conduite locale est hasardeuse, au détour d’un virage il n’est pas rare de rencontrer un camion arrêté sur la chaussée, un vieux tracteur tirant laborieusement sa remorque sur la voie de gauche ou une vache qui médite. Les contrôles de vitesses sont fréquents, et les limites varient sans cesse en dehors de toute logique. On passe de 110 à 82 (?) puis à 90 et soudain à 50 km/h. Pour ne rien arranger la police routière n’est dorénavant plus corruptible.  
Je hais ces blessures qui ont dévasté des perspectives qui furent éblouissantes.

Je finis par rejoindre par nécessité l’une de ces cicatrices afin d’atteindre Taş Canyon près du village de Kemaliye. C’est un incontournable de la région, une piste étroite d’une quinzaine de kilomètres construite en encorbellement à flanc de falaise, à plusieurs dizaines de mètres au-dessus du cours de l’Euphrate. Les parois sont vertigineuses, plusieurs centaines de mètres de calcaire blanc avec au fond le vert de l’eau semblant contrefait tant il est intense.
Les premiers mètres tiennent leurs promesses. La piste est très étroite, au point que j’ai plié le rétro gauche. Le sol est rocailleux et, bien entendu, pas de garde-fou. Assez rapidement, elle s’élargit. Puis se succèdent une série de tunnels qui, s’ils sont au début un peu distrayants car sinueux et bien sombres, finissent par être lassants. Parfois une « fenêtre » s’ouvre sur l’extérieur et on espère en vain avoir une perspective sur la gorge. Pour ne rien arranger, à mi-distance la route est coupée, des éboulements la rende impraticable et il me faut faire demi-tour.

Je rejoins Kemalye qui, au fil du temps, est devenu un hot spot du tourisme turc. J’y trouve de gros 4x4 dotés de pneus énormes et sans fonction particulière vu l’état de la piste que j’ai parcouru avec mon Kangou. À l’arrière sont installés des sièges et des barres de maintien afin de pouvoir se tenir debout durant « l’aventure ». Me revient le souvenir d’une vidéo YouTube dans laquelle la jeunesse dorée hurle sa joie simulée, cheveux au vent, variété turque à fond. Elle semble bien plus préoccupée de se filmer en prenant les poses grotesques qui sont le signe de la modernité que de regarder le paysage.

Par négligence, je pousse la porte d’une lokanta au centre-ville et je m’y fais bien entendu escroquer. Une soupe de lentille (mercimek çorba), un plat de riz (pilav) et des pois chiches à la tomate (…) pour plus de 8 euros. À Iliç, ville que je traverserai trente minutes plus tard, le prix aurait été de moitié et les portions plus généreuses.

J’achète aussi un peu de ce pain dégueulasse dont les Turcs ont le secret. À l’air libre, il sèche en quelques heures et se brise en miettes. Dans un ce ces sacs plastiques qui envahissent le paysage, il devient une pâte gluante. Je suis certain que je saurais mieux faire et j’aurais pu le prouver …

Un peu amer, je reprends la grande route en revenant sur mes pas afin d’atteindre Iliç, un gros bourg sans grâce au-dessus d’un des nombreux barrages sur l’Euphrate.

J’ai repéré sur la cartographie d’Osmand un long trajet à partir de cette ville qui me permet de rejoindre Tunceli. C’est un de mes objectifs.

Nous y sommes allés il y a fort longtemps. À l’époque cette zone était en état d’urgence à cause des fréquents combats entre l’armée et la rébellion du PKK. L’entrée dans cette vaste région de montagnes était gardée par l’armée, des fortins avec des mitrailleuses, balles engagées dans le canon, de vastes lignes de rouleaux de barbelés, des chars en bord de route. Aux nombreux check-points nous devions montrer nos passeports et justifier de notre présence. En règle générale les soldats n’étaient pas désagréables. Comme ils ne parlaient le plus souvent que turc, la conversation était limitée. Je me contentais d’un « Yol açık mı ? Yol kapalı mı ? » (« Route ouverte ? Route fermée ? »). Ils étaient dans l’incapacité technique de nous demander la raison de notre présence en famille, nos enfants étaient jeunes, dans ce qui était considéré comme une zone de guerre. Afin de montrer leur réprobation ils nous faisaient parfois ouvrir le coffre et jetaient un œil soupçonneux sur celui-ci. Le plus souvent tout se passait bien, ils étaient bien obligés de reconnaître que la route était ouverte. Si le contrôle s’éternisait, un simple « Telefon ambasad » (en turc dans le texte) suffisait à les calmer.  

Je désire me rendre à Tunceli afin de tenter de me lier avec des Alevis. C’est une bien étrange branche de l’Islam dont ce gros village est un des centres spirituels. Ils accordent la même valeur aux hommes et aux femmes, celles-ci n’ont pas l’obligation d’être voilées. Ils prient ensemble dans des Cem Evi et non dans des mosquées. Durant les cérémonies Sema on alterne chants psalmodiques, musique méditatives au son particulièrement envoutant d’une flute spécifique nommé ney, et déclamation de poèmes. Boire de l’alcool est déconseillé mais pas interdit. Ils ne sont ni Chiites ni Sunnites.
J’aimerais rencontrer un Dede, une sorte de guide spirituel qui accompagne les fidèles dans leur quête métaphysique et conduit les cérémonies. Ce ne sera pas simple d’en trouver un parlant français ou anglais mais je ne désespère pas et il ne semble loin d’être impossible d’assister à une Sema.

Je dois donc me rendre à Tunceli. Il aurait été facile de le faire depuis Erzincan, la ville que j’ai atteinte après ma rapide traversée de plus de la moitié du pays (1 300 km). Mais j’ai choisi le chemin des écoliers. Sur la cartographie, depuis Iliç, une petite route de campagne très sinueuse part dans la montagne en direction de l’Est. Elle s’avèrera rapidement devenir une piste pas très bonne. Elle se prolonge par un trait pointillé d’une quarantaine de kilomètres. Ce symbole indique parfois un simple sentier parfois une piste vaguement carrossable. J’ai le pressentiment que ce sera le cas car sinon le détour est énorme. Or les habitants ont besoin de se rendre d’un lieu à l’autre en économisant le carburant qui est fort coûteux. Le coup est jouable.

Le paysage est parfait, au fil des villages, je demande à des habitants que je pressens informés si la route de Tunceli est ouverte. Je sais d’expérience que chacun prend très à cœur d’aider le voyageur de passage et ne lui refusera jamais une réponse quitte à l’inventer s’il n’en sait rien. Je fais préciser « Kıtı – cok zor – zor – normal – kolay ? » (« Foutue – très mauvaise – mauvaise – normale – facile ». Ils semblent s’accorder entre mauvaise et normale.

Je roule tranquillement, quelques montées sont pénibles et j’atteints les alpages (yayla) aux environs de 2 000 m. Ce sont des successions de collines molles entrecoupées de vallons parfois assez profonds. En dehors de rares graminées, la flore y est très particulière, sans doute endémique. Elle est d’une grande variété, le plus souvent très rase afin de résister au climat très rude, été brûlants et secs, hivers glacials lorsque la neige ne protège pas des froids intenses, vent intense. J’aimerais tant connaître le nom de ces plantes. Elles semblent, au premier regard, insignifiantes si on n’y prend pas garde. Il faut se pencher pour les observer et découvrir d’étonnantes beautés. Des arrangements géométriques fractals, des fleurs microscopiques de structure singulière, d’étranges toupets de graines prêts à être dispersés par le vent, des feuillages charnus et velus de teintes variées. Je prends grand plaisir à les contempler et j’aimerais être capable de les nommer afin de marquer mon respect. Seuls les ovins de ces zones sont à même de les digérer, ils produisent alors un lait gras et très odorant.

La piste serpente désormais sur les crêtes des collines faisant parfois de vastes détours afin d’éviter d’avoir à franchir les vallons. De loin, je l’aperçois et plus je m’en rapproche plus elle s’offre à moi. Une superbe montagne, imposante mais pas effrayante. Les montagnes sont faites pour être gravies. Pour le reste, elles ne servent à peu près à rien. Celle-ci sera la mienne. Un coup d’œil sur le GPS indique 3 150 m. On n’a pas pris le soin d’en indiquer le nom. Il est certain qu’il existe, tous les lieux même insignifiants sont nommés, c’est bien le moindre si on veut se comprendre entre bergers. Et cette montagne est loin d’être insignifiante. J’ai le sentiment de ne voir qu’elle quand bien même elles sont nombreuse à l’entourer.

Et puis, j’ai monté un club de randonnée. J’en suis le seul adhérent. Il me faut le faire vivre.

À la jumelle, je repère un vaste couloir d’avalanche, pierreux à cette saison, qui semble donner accès au sommet. Je m’approche et trouve par chance une petite piste récente non cartographiée, le sol est encore marqué des chenilles de l’engin qui l’a tracée. Elle me conduira à proximité du couloir et m’évitera une marche d’approche de plusieurs centaines de mètres de dénivelé. Comme souvent on ménage régulièrement de petites plates-formes destinées à permettre le croisement lorsqu’un étrange hasard fait que deux véhicules empruntent la route en sens inverse. Sans doute par excès de zèle, le conducteur d’engin a creusé un espace juste en dessous du départ du couloir bien plus vaste qu’à l’habitude. Il sera parfait pour le bivouac. L’altimètre indique 2 200 m, le sommet est à 3 150, ce sera rude.

Après un repas modeste, pâtes abondamment arrosées d’huile d’olive accompagnée de thé, je prépare mon sac. Je me dispense des quelques verres de mastika qui m’aident à trouver le sommeil. J’ai acheté la bouteille en Bulgarie, pays béni dans lequel l’alcool est à un prix dérisoire alors qu’il est plus cher qu’en France en Turquie. La qualité est en regard du prix. Cette boisson anisée démonte la tête, ce qui est une vertu, mais également l’estomac, ce qui l’est moins.

Mardi 26 septembre

Le réveil à 5h30 m’assure d’être prêt à la pointe du jour. Il fait 5° mais l’air est très sec et calme, le vent ne s’est pas encore levé. Je n’ai pas souffert du froid durant la nuit, des vêtements techniques, un bon duvet et une vaste peau de mouton que m’a offerte Ahmed à Ouadane qui me protège du sol et conserve la chaleur sous le corps.
Pas utile de ranger le bivouac. Je suis en zone Kurde Alévi. L’honneur a encore un sens ici. Qui se servirait sans y avoir été invité ? Et puis chacun dispose du nécessaire dans son campement, et méprise le superflu.

Je connais ces gens, ils sont très respectables.
Nous les avons souvent rencontrés dans le passé lors de nos voyages. Nous nous arrêtions près de leurs installations d’été. Ils nous invitaient à rentrer sous leurs étranges tentes de tissus blanc ressemblant à des tipis ou parfois dans des cahutes aux murs construits en pierre sèche, parfois un peu enterrées, et couvertes d’une simple toile. Des nattes ou des tapis élimés couvraient le sol. Des bâtons polis par l’usage servaient de cintres sur lesquels étaient suspendus leurs guenilles. Souvent une caisse métallique décorée de peinture écaillée complétait le mobilier afin de préserver les biens les plus précieux.

Nous ne nous comprenions évidemment pas, les traducteurs en ligne n’existaient pas et, de toute manière, il n’y avait pas de réseau. Mais leurs intentions étaient transparentes : offrir à ces étranges étrangers le meilleur d’eux-mêmes. Parce que c’était une évidence, naturel et qu’ils auraient perdu leur estime de soi à ne pas le faire.

Ils préparaient du thé. C’est un peu (!) long car en Turquie on simule le samovar en empilant deux théières métalliques. Le récipient inférieur contient de l’eau qui bout et sa vapeur réchauffe la théière supérieure. On y place une large dose de thé et peu d’eau. Il infuse très longuement, on obtient un élixir très fort dont on verse une petit quantité dans d’incontournables verres tulipes et on y ajoute de l’eau bouillante afin de le diluer. En été il fait torride même en altitude. On en est réduit à patienter ou à se brûler le palais. Il est très inconvenant d’ajouter de l’eau froide afin d’abréger l’attente. Lorsque je le fais chez mon ami Sinan avec qui je ne me gêne pas, il se moque beaucoup. C’est infantile d’être impatient.

À l’alpage, pour patienter, on nous servait toujours de l’ayran, une sorte de babeurre très aigre et un peu salé. Il est traditionnellement conservé dans une outre en peau de chèvre. Les femmes l’agitent fortement afin que se forme une mousse qui est un plus indispensable. Cette boisson est le graal de l’alpage. On ne peut la refuser si on souhaite rendre la politesse qui nous est faite. C’est suivant les lieux de terrible à redoutable. Souvent tiédasse, toujours très acide, fleurant bon le bouc. La bouche est révoltée et l’estomac se tord.

Suivait du peynir, un fromage frais un peu trop salé conservé en saumure accompagné de lavaş. C’est une mince galette de blé cuite sur une tôle. Le bois est trop rare et précieux pour qu’on le brûle. Les femmes collectent les crottes de mouton, celles de chèvre s’y prêtent moins, les malaxent avec de l’eau puis forment avec cette pate odorante des disques qu’elles font sécher au soleil.  Ce combustible produit une fumée âcre et abondante. Son odeur est prégnante et imprègne l’habitat.

Parfois les bergers étaient descendus au village récemment, avec des tracteurs hors d’âge ou de vieilles guimbardes Toros, des Renault 12 fabriquées sous licence en Turquie avec quelques simplifications mécaniques (oui, c’est possible, même sur un modèle si rustique à sa base !). Ils en ramenaient des pommes vertes et des prunes pas mures. Un délice qu’ils nous offraient généreusement.

Leur sourire émaillé de dents en or jaune, le comble du chic, réchauffait le cœur. L’expression la plus simple et sincère de la fraternité humaine. Toujours ils nous tenaient de longs discours. Il leur était impossible d’imaginer que nous ne parlions pas turc tant c’était une évidence pour eux. Parfois un gosse ânonnait trois mots d’anglais dépassant rarement « What is your name ? Where are you from ? ». Les deux premières phrases d’une méthode d’anglais qui semble avoir fait fureur dans tant de pays. Souvent les seules que les enfants ont retenues, leur fréquentation de l’école etant épisodique, il y a tant à faire à la maison pour les filles et aux champs pour les garçons.

Je garde de ces instants un souvenir ému. Et je n’oublie pas l’accélération du transit intestinal qui les suivait.
Dans les jours qui viennent j’irai les visiter. Je veux espérer que rien n’a changé.

En zoomant sur la photo, j’ai longuement examiné LA montagne afin de déterminer un itinéraire qui semble raisonnable.
J’ai la bouche un peu sèche lorsque je me mets en marche dans le froid du petit matin. Je n’espère pas que le soleil me réchauffe avant longtemps, le couloir est orienté plein ouest et très encaissé.
Je doute … Ces derniers mois, pour diverses raisons qu’il ne me sied pas de détailler, j’ai négligé les exercices physiques. Même si je le nie et que chacun s’accorde à me trouver une apparence avantageuse, les années se sont accumulées et mon hygiène de vie a été plus que douteuse.

Je résiste à la tentation de prendre un peu de cortisone afin de me doper. Je n’ai plus de raison de tricher.

Il m’est arrivé de le faire lorsque les enfants ont atteint un niveau de ski éblouissant. J’étais tenu de les suivre de la première à la dernière benne, hors-piste dans des pentes terribles ou alors à très grande vitesse et sans pause sur les boulevards que sont devenus les pistes trop bien préparées des stations. C’était une sorte de devoir moral de les suivre sans rechigner. Lorsqu’ils étaient jeunes et moins expérimentés, je leur ai imposé ce rythme, les poussant à dépasser leurs limites, par tout temps et en toutes conditions de neige. Ils en ont sans doute parfois souffert, mais skient mieux que beaucoup de moniteurs aujourd’hui. De ce fait, je ne me suis longtemps jamais accordé de céder à la facilité. J’ai renoncé tardivement après un grave accident. Il m’a fallu des mois pour m’en remettre et je n’ai jamais retrouvé la confiance en moi.  

Il est facile de trouver son second souffle en montagne. Il suffit de serrer les dents durant les quinze premières minutes en refusant de capituler et faire une pause. Le souffle est court, il faut lutter pour dominer l’essoufflement. Se forcer à trouver un rythme et s’y tenir.
Il est plus difficile de dépasser la vraie fatigue. Dans mon cas, elle apparait après environ 500 m de dénivelé.
Lorsqu’elle arrive, je vais chercher la rage motrice qui sommeille en moi. Celle de mon passé récent et ancien et celle de mon présent. C’est une énergie insondable qu’on peut convertir en hargne, en désir de ne pas céder, d’aller plus loin, plus fort, de dépasser le bout de soi-même.

Le couloir est très raide, le terrain est détestable. L’altimètre m’indiquera seulement 3,3 km de distance parcourue pour un dénivelé de 900 m. Et encore, ai-je dû faire de nombreuses traversées afin de rejoindre des zones moins délicates. J’ai aussi pris par inadvertance une branche latérale conduisant à une falaise et j’ai été obligé de redescendre un peu à mon grand dépit.

Alternent de gros blocs instables, des éboulis de graviers dans lesquels le pied s’enfonce et recule à chaque pas, des zones herbeuses glissantes dans lesquelles je progresse d’une touffe à l’autre dans une apparente facilité mais en me mettant en danger.

À mi-parcours, j’observe à la jumelle une cavité juste en bas de la falaise sur le côté opposé de celui que je suis. J’ai la conviction qu’il s’agit d’une tanière d’ours, ils sont nombreux désormais car protégés. Un mince boyau s’enfonce dans le rocher. Sans doute une ancienne résurgence. Je distingue très bien la terre ocre qui en a été extraite, elle est fraîche encore marquée par le travail de terrassier. J’hésite à m’approcher ? Les traversées sont dangereuses dans les pentes raides et les ours sont forts grincheux. C’est la saison durant laquelle ils s’appliquent à s’engraisser, les baies sont épuisées, les champignons pas encore sortis. Je pourrais tout à fait devenir un complément appréciable aux quelques brebis qu’ils dévorent à l’occasion. Ce n’est pas si facile la vie d’ours. L’alpage est gardé par des kangals. Ces chiens énormes sont si féroces que même leurs maîtres en ont peur. C’est le plus grand danger des lieux. ? On les munit de gris colliers en fer forgé hérissés de pointes acérées. Les loups mordent à la gorge, ils en sont ainsi protégés.

Les kangals sont redoutables et infatigables. Dans un lointain passé, nous rentrions d’Ani, l’ancienne capitale arménienne abandonnée au XVème siècle, dévastée par un tremblement de terre. Une paire de ces molosses a surgi de nulle part afin de faire fuir notre voiture qu’ils prenaient pour un ennemi. En ce, les kangals sont en quelque sorte donquichotesques … J’ai réglé ma vitesse entre 40 et 50 km/h en les observant dans le rétroviseur. Je ne souhaitais pas les décourager en roulant trop vite et leur éviter une blessure si l’idée leur était venue de mordre les pneus. Je suis certain qu’ils ne sont pas découragés avant au moins cinq kilomètres. Et encore étaient-ils fiers d’avoir mis leur ennemi du jour en fuite.  

Je gravis le couloir en 1 h 45.

J’arrive à un petit col juste en dessous du sommet. Il ouvre le regard sur la chaîne de montagne vers l’est. Au sud, très loin, on devine le vaste lac de barrage sur l’Euphrate. En direction de l’ouest rien n’interrompt la vue, peut-être sur cent kilomètres. L’air est clair, il n’est pas troublé par les brumes de chaleur bleutées permanentes en été.

J’examine le sommet. Il est à moins de cent mètres de dénivelé. Pour y accéder une petite escalade sans difficulté m’amène à une crête acérée d’une vingtaine de mètres seulement. Sur le côté gauche une falaise verticale imposante d’environ 600 m. Suivra une autre escalade. Le rocher est du calcaire totalement fracturé par la gélifraction, ce qu’on nomme du « rocher pourri », celui que tous les alpinistes évitent.

Du dépit. Je ne veux pas mourir d’accident. Je vaux mieux que ça, je choisirai mon heure.
Je reste longtemps à contempler ce vide. Tout en bas un étrange petit lac est logé au fond d’une sorte de cratère. Sans doute une doline. Son eau est d’un bleu laiteux semblant toxique.

Mes yeux se mouillent. Sans doute le vent glacial et l’excès de luminosité.

Après l’effort intense de la montée, je suis un peu déprimé. La descente d’endorphines, c’est classique. Toutes les drogues occasionnent cet état lorsque le cerveau cesse d’en être alimenté. Parfois c’est durable, plusieurs jours.

À la montée, proche du sommet, j’ai vu quelques crottes sur le sol. Je parcours à la jumelle les pentes. J’espère en vain apercevoir un bouquetin ou un chamois.
Je m’aperçois, tardivement sans doute, qu’un couple d’aigles royaux effectue de larges cercles au-dessus de moi, profitant des ascendances créées par le rocher qui commence à se réchauffer.
Qui est cet intrus si peu habituel ? Ils s’enhardissent et veulent satisfaire leur curiosité. À présent, ils font de longues glissades sur l’aile qui les approchent si près qu’ils emplissent le champ de mes jumelles.
Je crois percevoir un clin d’œil « Même pas cap’ ! ». Cette falaise est parfaite pour un premier envol. Ils le savent et leur aire y est sans doute installée. C’est bien tentant. Les 600 mètres seraient suffisants pour comprendre le sens de la vie.

J’ai le mauvais goût dans la bouche.
C’est en partie une séquelle de la neuropathie. Mais pas seulement …
Depuis quelques années, mes capteurs gustatifs envoient des informations erronées au cerveau. Il subsiste des paresthésies dans les membres. Et surtout cette étrange saveur permanente et intense avec laquelle il me faut bien composer. Un mélange d’aigre et d’amer. Surtout de l’amertume, d’ailleurs. Ces temps mon amertume est intense.

Je mange du chocolat. Il a fondu dans la voiture et s’est couvert de cette pellicule blanche peu appétissante qui se forme lorsqu’il a été longuement exposé à la chaleur. Du Lindt 70% goût intense, mon préféré, je le traîne depuis le départ. D’une certaine façon je m’en félicite. Encore que …
Le chocolat est un puissant anxiolytique. Avec une cigarette.
À nouveau, d’une certaine façon je m’en félicite. Encore que …

Je quitte mon perchoir sur la crête vertigineuse et regagne le col à peine plus bas.
J’y trouve un espace plat que je débarrasse des pierres afin de pouvoir m’y allonger. En dépit du soleil d’altitude qui brûle la peau il fait froid. J’enfile mon Gore Tex et protège mon visage avec un pull. Je reste durablement allongé à somnoler, à rêvasser, lorsque ce n’est pas à cauchemarder. Mon corps est aussi relaxé que possible. Mon corps seulement.

Je suis sorti de cet état hypnotique par quelques sifflements stridents. Les aigles sont revenus. Ils semblent converser. Sous réserve de l’éplucher, ce corps immobile ne ferait-il pas un repas acceptable ? Je les déçois en m’asseyant.

J’entame la descente. Elle est impressionnante. S’ouvre devant moi près de mille mètres de pente abrupte. Je sais que ce sera long, éprouvant et dangereux.
Je me souviens de cette phrase si souvent prononcées avant que nous ne démarrions les premiers virages d’un hors-piste exposé à skis « Pas le droit de tomber ! ». Et nous ne tombions pas parce qu’il ne fallait pas !

Pas par accident … Ce serait nul.
Une banale entorse serait une fort mauvaise idée. Pas de réseau et j’ai sottement oublié de prendre le Thuraya. Je ne m’habitue pas à l’idée de ce parachute moderne auquel j’ai cédé l’hiver dernier. C’est un peu de la triche, pire, l’autorisation tacite de « se rater » puisqu’on pourra appeler les secours. La vraie histoire de garçon à l’ancienne, c’est seul avec soi-même.

À la montée, j’ai mémorisé au mieux les passages les moins défavorables. Éviter les traitres ravines creusées à la fonte des neiges. Ne pas s’engager dans un ressaut bien tentant car moins en pente mais aboutissant sur une falaise de quelques mètres. Se souvenir qu’il faut passer à droite de ce gros rognon de rochers qui sépare le couloir en deux car l’autre côté est fort mauvais.
Mais rien ne ressemble moins à un paysage vu à la montée que celui qu’on observe lorsqu’on le descend.

J’hésite, me trompe quelques fois et en suis réduit à faire des traversées incertaines lorsque je me suis fourvoyé. Rien n’est pire. Les pieds sont posés perpendiculairement à la pente et la tenue est douteuse.

Les zones herbeuses sont encore plus traitresses qu’à la montée. Il est parfois impossible de les éviter, ailleurs la terre est à nu et terriblement glissante.

J’ai passé ma jeunesse en montagne, cette imprégnation revient vite. Il faut laisser le corps penser. L’esprit doit seulement définir la stratégie globale, la trajectoire optimale en évitant laisser la pensée de vagabonder. C’est au corps de gérer la tactique. Lui seul connait la position optimale des pieds, sait reconnaître la pierre instable, peut accepter lorsqu’on trébuche de pas tenter de se rattraper mais d’au contraire se laisser tomber en sécurité. Les yeux quittent le sol seulement pour vérifier qu’on suit la bonne ligne. Penser c’est douter.  

Je regrette de ne pas avoir de chaussures à semelle Vibram et à tige rigide maintenant solidement la cheville. Avec un bon bâton, je pourrais descendre « en ramasse », la version estivale du télémark. Je pourrais alors privilégier les zones de petits cailloutis, celles que j’évite aujourd’hui. Les deux pieds face à la pente, la pointe un peu soulevée, on maintient le corps un peu en arrière et on se laisse glisser. Le bâton sert de frein et de gouvernail. C’est une sensation plaisante et c’est très rapide. Il faut rester vigilant, lorsque les pierres dépassent une certaine taille, elles cessent de rouler sous les pieds et le corps est alors violemment projeté vers l’avant. Il suffit de l’avoir expérimenté une fois pour s’en souvenir à jamais.

J’en suis parfois réduit à une version du pauvre. Lorsque je ne peux pas éviter les cailloutis, je plie la jambe gauche afin que mes fesses soient à peine au-dessus du sol et je tends la jambe droite le talon fermement planté dans l’éboulis. En réglant la pression du pied aval on module la vitesse. Idéalement, les mains évitent de toucher le sol et servent seulement à la stabilité latérale, comme un balancier. Mais c’est un idéal et la réalité est parfois cruelle, surtout que les chardons abondent.    

La descente martyrise mes vieilles articulations. Elle n’en finit pas. Passant du côté au soleil à celui à l’ombre, je suis tantôt brulé tantôt glacé par le vent de pente qui remonte le couloir.

Je dérange parfois la quiétude d’un bloc, il me rappelle à l’ordre en dévalant la pente.
Des choucas tournoient en poussant leurs cris aigres et métalliques. Ils semblent attendre un faux-pas. On lit souvent qu’ils commencent par les yeux. Aussi bien est-ce vrai ?

J’ai mis beaucoup plus de temps à descendre qu’à monter. J’avais d’ailleurs cauchemardé durant la nuit que je me trouvais dans l’impossibilité de le faire. C’est assez banal, désescalader un passage semblant pourtant facile est souvent plus que délicat.

Je suis parti vers 6 heures, il est 16 heures, mais j’ai beaucoup traîné au sommet.
C’est étrange, j’ai beau le savoir, je suis chaque fois surpris de constater que rien n’est « mieux » en haut. On reste le même et la réalité ne change pas au prétexte qu’on s’est exténué à gravir la montagne.

Lorsque j’arrive à la voiture, un vautour percnoptère m’y attend. Il vole tout près. J’ai juste le temps de l’entrevoir et il s’enfuit. Comme pour me dire « Ne rêve pas, c’était juste pour te laisser espérer. Un contact fugitif et c’est fini ». D’un bref cri, il me nargue. C’est lui le maître du jeu et il entend me le faire savoir.

Le bivouac est en ordre. Je m’autorise à boire beaucoup d’eau. J’en avais avec moi, mais en montagne comme dans le désert, on se doit de la préserver.
 
Du thé bien fort dans lequel je trempe des Petits Lu. Ces infâmes biscuits qui laissent la gueule empâtée et sont nauséeux à force de sucre. C’est très technique. Une demi-seconde de trop dans le thé, ils se transforment en une bouillie répugnante qui pollue la boisson. Une demi seconde de moins et ils nous rappellent qu’ils sont désespérément secs. Une vie de Petits Beurre m’a rendu expert en la matière. Avec la fatigue, mon attention se relâche et la pâtée se répand sur la moquette du coffre.

On a les échecs qu’on mérite, les miens sont peu ambitieux ce soir.
Je sais pourtant bien mieux faire.
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Message par Confiteor Jeu 28 Sep 2023 - 22:36

Trop rigolo.

Pour les raisons que les "anciens" ont en mémoire, on s'était arrêté à 10 000 vues.
Or depuis ce jour, il y a eu 2311 visites supplémentaires alors que le fil n'était plus alimenté.
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Message par RonaldMcDonald Ven 29 Sep 2023 - 9:51

C'est la longue traine que permettent les technologies modernes. Avant, un produit, genre un livre ou un magazine, avait une durée de vie limitée par le stock physique. Une fois qu'on avait tout refourgué, ou mis les restes au pilon, ce n'était plus consommable (je ne parle même pas de l'aspect facturable, le gratuit, rare à l'époque, était soumis au même sort).

De nos jours, ça ne pose pas de souci de garder sur un coin de serveur un vieux truc, et de le laisser toujours disponible. Gratuit ou payant, peu importe. et donc, quand on travaille, on travaille aussi pour les gens qui auront raté l'évènement initial.

Ca a plein d'avantages, tu peux le constater toi-même, on continue à consulter ton œuvre alors même que tu n'y travailles plus. Ca a certainement aussi des inconvénients, mais je ne les vois pas.

Sacré voyage, sinon.
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