"Orwell avait-il tout prévu ?"

Une vidéo questionnant le coté actuel/"réalisé" que l'on prête souvent, depuis quelques années, à la vision du totalitarisme "absolu" dessiné par Orwell dans son célèbre "1984" (que j'ai lu une bonne vingtaine de fois ^^)
J'ai beaucoup apprécié les arguments développé par le vidéaste, même si j'aurais peut-être mis quelque bémols (mineurs) par-ci par là.

En tout cas, vu que ce roman est toujours très lu de nos jours (et s'écoule toujours à un bon rythme - cf. la récente traduction révisée en français), j'ai pensé que ça pouvait intéresser les ZCéens (et bien sûr, n'hésitez pas à partager vos sentiments sur la vidéo, le fil est fait pour ça, même si je ne répondrais pas forcément : je trouve juste intéressant de lire vos impressions )

Argumentaire intéressant, mais qui me laisse sur ma faim.  Si l'on connaît le passé de policier de George Orwell dans ce qui est à présent le Myanmar, et le dégoût qu'il a exprimé à propos du colonialisme et de ses abus ; si l'on sait qu'il a passé pas mal de temps avec les mendiants et les pauvres en Angleterre, on peut aisément comprendre l'emphase qu'il a mise à forcer le trait dans son roman afin de mettre le lecteur en face d'une horreur passé sous silence. Cette partie de la vie de l'auteur n'a pas été abordée, ce qui est pourtant d'une importance flagrante pour éclairer quelque œuvre que ce soit. Il peut donc s'agir, comme le précise le vidéaste, d'une dénonciation du communisme soviétique, mais il n'est pas besoin d'aller aussi loin pour trouver des avanies ressemblantes, y compris dans la rigidité victorienne dont les résidus traînaient encore à l'époque des ses écrits.

Pour ma part, se relèvent de notre présent les prémices conduisant à la dystopie "annoncée" par Orwell. Il ne s'agit pas que du langage SMS, mais de la langue des médias (comme le dénoncent Ingrid Riocreux ou Edward Herman et Noam Chomsky), du rétrécissement doucereux de la liberté (depuis la loi Caillavet de 1976, le consentement est présumé pour le prélèvement d'organe post-mortem. Il faut donc faire expressément mention de son refus si l'on ne veut pas être "dépiauté"), prélèvement à la source, obligation d'avoir un compte bancaire où notre argent travaille pour la banque sans que nous en voyons le bénéfice (tout au contraire, les agios s'accumulent), écoute facilitée par le passage de la voix sur IP (plus besoin de se connecter physiquement à un répartiteur téléphonique), cryptage entre les bornes téléphoniques et le terminal supprimé sous Nicolas Sarkozy, etc. Je vous laisse le soin de finir de remplir cette inventaire à la Prévert...

Mais, il faut convenir d'une chose : Ce livre a certainement montré à quelques-uns que la méthode forte n'était pas la meilleure...

Et c'est bien là aussi, toujours à mon sens, que le vidéaste semble avoir loupé quelques petites informations, nichées dans les écrits d'Hannah Arendt, de Theodor Adorno, mais aussi et surtout de Günther Anders :

https://www.youtube.com/watch?v=ryvV2gY6BVo

Et le premier tome (paru en 1956. Le tome 2 est paru en 1980 et traite de la troisième révolution industrielle) de l'ouvrage phare de cet auteur (ouvrage dont il est question dans la vidéo) : https://monoskop.org/images/a/a5/ANDERS_Gunther_-_1956_-_L%27obsolescence_de_l%27homme_Sur_l%27%C3%A2me_%C3%A0_l%27%C3%A9poque_de_la_deuxi%C3%A8me_r%C3%A9volution_industrielle.pdf

Très intéressant (c'est bien plus précis, mais ça rejoint mes propres bémols évoqués) , je regarderais les lien quand je pourrais
Tes exemples m'évoque le fait que la réalité se montre plus subtile, mais toute aussi vicieuse que "1984", et on pourrait faire un autre sujet à propos des ressemblances de notre monde avec l'autre grande dystopie, plus "feutrée" mais également effrayante ("Le Meilleur des mondes")

J'en profite pour ajouter une question subsidiaire aux lecteurs de passage ^^

(Je précise que je me base sur "l'ancienne" traduction)
"1984" se termine par un chapitre façon essai, sur les principes du Novlangue. J'ai toujours eu l'impression (sans en voir des "preuves", ni même de débat, dans les analyses que j'ai pu voir) que ce chapitre semblait écrit dans un futur indéterminé après l'époque de Winston/Big Brother, ou le Novlangue - et donc par extension, le parti, etc - aurait disparu.
Tentative subtile de finir sur une note d'espoir ? ou bien je me fais totalement des idées ?

Godzilla a écrit:
... Tentative subtile de finir sur une note d'espoir ? ou bien je me fais totalement des idées ?

La plupart du temps, à ce que l'histoire nous montre, les civilisations, arrivées à leur acmé, chutent brutalement sous leur propre poids et la rigidité, presque cadavérique, qu'elles ont acquise, ressemblant au vieux corps, malade, d'un humain près de la tombe.

Ceci pourrait, en filigrane, expliquer cela. Et puis, mine de rien, ceci porte l'espoir d'un renouveau, ainsi que le passage de l'hiver au printemps fait figure de démarrage d'un nouveau cycle. Peut-être est-ce là que ton "espoir" se niche ?

Ceci étant, l'humain étant pour la majorité incapable de se projeter au delà de l'horizon de sa propre vie, et ne pensant, de plus, désormais, qu'à tenir l'histoire pour portion congrue, ne se rend pas compte que (ou ferme des yeux sur) le fait que cycle naissance, existence, décadence et mort ne s'applique pas qu'au vivant, mais aussi à toutes les "créations" que ce dernier, au travers de l'humain, génère : Cela le heurte trop en le mettant crûment devant sa réelle impuissance. Alors, à défaut de maîtriser son futur, autant essayer de maîtriser ses congénères, n'est-ce pas ?

Pas très joyeux, mais je suis bien "obligé" de partager ce point de vue (même si ta conclusion est ironique ^^ cependant, si le totalitarisme version "1984" ou celui plus subtil qu'on vit plus ou moins actuellement est une horreur, la liberté anarchique exigé à cors et à cri par des masses d'individualistes égoistes de solipsistes irresponsables est tout aussi dangereuse à mon avis... pour eux-mêmes, les autres, et surtout cette pauvre planète...)

Bah, cette liberté revendiquée par les masses de solipsistes, tels que tu les qualifies, ne me semble être que le résultat du "parce que je le vaux bien" impulsé de plus haut, de cette course effrénée de tous contre tous, de la pression des parents sur leurs enfants afin que ces derniers excellent dans le mode de formatage que le "système éducatif" tayloriste impose, etc. Je ne peux me résoudre à voir de la malignité là où l'envie et la concurrence règnent en maître, et là où la fabrique du consentement voit son espérance dépassée, et trouve en ses rejetons son pire ennemi...

Quant à cette "pauvre planète"... je ne pense pas que la lithosphère se préoccupe un instant de ce qui traîne dans les (au maximum) 50 kilomètres d'épaisseur de la biosphère. C'est bien plus un risque pour la vie telle qu'on la connaît (mais pour encore combien de temps) que pour l'orbite d'un corps rocheux autour d'une étoile anonyme...

Maintenant que le vin est tiré, il faut le boire. Je ne pense pas non plus un instant que quoi que l'on fasse, nous puissions retourner au status quo ante. La résignation à un état de fait devrait se vite prononcer, afin de tourner nos efforts vers une adaptation, et arrêter ceux qui tendent à empirer les avanies déjà existantes.

Mais las, je n'y prête qu'un taux de réussite proche du zéro kelvin...