Service 9679
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Je suis sorti un peu pour me changer les idées.
Il a neigé sur Belledonne.
Sans doute cette neige lourde et un peu collante, typique du printemps. Mais on peut tout de même y faire de belles traces et on l'aime bien, parce que c'est la dernière. La dernière fois que ... Pas facile de regarder Chamrousse depuis la cour du service 9679, pavillon de neurologie du CHU. J'ai un petit passage à vide, mais j’accepte ces bouffées de désarroi qui font partie de ma « nouvelle normalité ». Savoir vivre avec des transitoires.
Je revois Georges, mon père, quarante années auparavant. Il est re-lié à moi comme jamais, par un fil qui me saute à l’esprit et se déroule avec fulgurance, évidence.
Il fait pisseux, avec cette lumière bleutée si typique de notre région, la montagne semble trop proche et un peu sale. Les pneus chuintent sur la chaussée mouillée, rythmant des souvenirs qui ont fini par s’affranchir de la nostalgie.
Fin des années ’80 nous habitons en quartier indigène à Lafiabougou, tout à l’ouest de Bamako.
Le lieu est très beau, devant la maison quelques habitations, puis le cimetière, une vaste esplanade, envahie de mauvaises herbes desséchées où quelques pierres dressées marquent vaguement les tombes. Mais on se fie plus volontiers à la mémoire d’un vieil homme rabougri qui sait indiquer le lieu où creuser sans risquer de perturber le repos d’un défunt. Juste derrière démarrent les « collines » (traduction littérale du bambara koulou). Ce sont en réalité les petits restes d’un vaste plateau qui a été entaillé, saigné par l’érosion et le ruissellement. Il subsiste comme des donjons hauts de quelques centaines de mètres, protégés par une falaise et des éboulis, séparés les uns des autres par de petites vallées qui restent un peu vertes. C’est une série d’isolats sur lesquels l’eau est rare. Sur les plus vastes d’entre-eux, une petite population subsiste et vivote d’un peu d’élevage et d’agriculture. Les habitants de la ville les nomment gawake, ce qui est très péjoratif et pourrait se traduire par « hommes sauvages ».
Je les connais et j’y ai quelques copains.
Lors de notre arrivée dans le quartier j’ai fait appel à eux afin qu’ils piochent le sol ingrat et tentent d’enrichir la pauvre latérite du jardin avec un peu de fumier qu’ils transportent en charrette à âne. Je rêvais d’un jardin tropical, le manque d’eau chronique me fera vite déchanter. Comme partout ailleurs, la maison restera entourée d’une cour poussiéreuse que le gardien arrose lorsque, au milieu de la nuit, un peu d’eau consent à couler des robinets.
J’ai fait la connaissance des Gawake à cette occasion, puis je suis allé dans leurs villages, ce fut mon premier contact avec le monde rural malien.
Je suis encore dévasté par mon passé. J’arrive de Paris, de la came, du temps perdu, des blessures saignantes, du deuil de C. que j’ai tant aimé.
Et je crois naïvement à un paradis illusoire, naturaliste et agropastoral, dans lequel l’homme serait bon. Du Rousseau mal digéré par un enfant égaré.
Et aussi, depuis l’âge de 12 ans je suis immergé dans l’archéologie tout d’abord romaine puis très vite la fouille en plongée du site néolithique final des Baigneurs à Charavines. Une aventure hors du commun, une des fouilles majeures de ce type en Europe. Aimé, le patron du site, un grand savant très XIXème, m’a bien vite pris en affection alors que j’étais insupportable (totalement) mais que sans doute je fascinais par mon impertinence autant que par ma pertinence ! Je ne comprenais déjà rien. De l’archéologie à l’intérêt ethnologique, le pas est bien vite franchi. Toute mon enfance a été imprégnée de trop de récits de voyages, de croisière Jaune ou Noire lus en cachette sous les draps à l’aide d’une lampe de poche.
Puis vint la question anthropologique qui me taraude encore : comment est-ce l’intériorité de l’autre ? Plus il est lointain, plus il me fascine. Que serai-je si j’été né de l’autre côté ?
J’ai aimé ces gens, vraiment et en le sachant.
Ils me l’ont bien rendu, sans avoir eu besoin de le dire. Ils m’ont regardé avec bonhommie, un peu d’ironie, mais une réelle bienveillance et mille questions en retour. Lorsque la langue ne nous a pas trop séparés nous avons ri de nos différences, de nos incompréhensions. Et toujours, nous avons perçu l’appartenance à la même race !
Des joies simples, élémentaires qui ramènent à la vraie humanité, bien loin de la culture livresque ou théorique. On peut moquer l’exotisme de pacotille – s’étonner du plaisir pris à découvrir des univers aussi « intellectuellement médiocres » – rire des images d’Épinal de couchers de soleil sous les tropiques – mépriser l’ethnologie de comptoir – se divertir des pouilleux qui partagent si volontiers un repas infect et du clown blanc qui éprouve tant de bonheur à être assis auprès d’eux – etc.
Ces expériences m’ont aidé à marcher sur deux jambes lorsque, en bon occidental, j’avais la tentation de sauter frénétiquement à cloche pied, croyant courir alors que je ne faisais que claudiquer.
Jamais, on ne m'a reproché d'être un "drôle de blanc". Bien au contraire, lorsqu'on a été explicite, on s'est réjoui que je sois « vraiment un drôle de blanc » !
Moins simple dans la salle des profs de mon petit collège d'une petite ville merdique dans laquelle je croyais pouvoir donner de la joie alors que je ne faisais qu’attiser jalousies et dépits.
J’ai vite découvert que sur ces plateaux on joue de la musique (balafon, djembés, guitare à 3 cordes etc.) et qu’on aime danser. Parce que c’est bon et que la faim est moins rude quand on la chante (c’était l’époque des grandes famines du Sahel). Lorsqu’une fête est organisée un messager me le fait savoir un peu à l’avance. Le jour dit quelques jeunes hommes viennent me chercher et nous montons ensemble kulula (ie sur la colline)
Je pense soudain, et pour la première fois, à Pagnol ! Tout à l’heure, si les médecins du CHU me donnent « permission » pour le weekend, nous partirons avec M. remplir nos yeux du soleil de Provence. Et nous lutterons afin de plonger à nouveau dans la candeur de notre enfance, celle que nous avons retrouvée lors d’une mémorable « nuit de la révélation » pas si ancienne qu’elle ne puisse servir de moteur. Avoir réappris à dire je t’aime à soixante ans, après cette vie chaotique partagée que je finis parfois pas trouver belle même si elle est trop singulière.
Un bref trajet avec ma 504 pick up puis quelques heures de marche sur le petit sentier qui serpente dans l’éboulis. De pauvres cases circulaires de banco, un mélange de terre, son et paille de mil et de bouses, couvertes de chaumes. Pas d’électricité bien entendu, très peu d’eau et une petite société de Bambaras faméliques mais souriants face à une vie qu’ils n’ont jamais pu imaginer autrement que cruelle.
J’arrive et on me conduit chez le Vieux, le Chef de village, qui traîne sur une peau de zébu non tannée, simplement séchée au soleil, devenue cartonneuse avec le temps et dont les poils finissent par disparaitre. Elle témoigne d’un jour de fête particulier durant lequel on aura sacrifié un bien d’exception pour honorer un mariage ou un deuil. Nul n’oserait s’assoir sur celle-ci, elle est la marque de la chefferie.
Comme il se doit, je me courbe, baisse les yeux vers le sol, il serait incongru et déplacé d’oser croiser son regard. Je suis certes un hôte de prestige car blanc et riche mais je suis si jeune et je l’appelle papa. Les salutations durent longtemps.
En Afrique, elles sont codées, totalement conventionnelles et suivent une étiquette rigoureuse que j’apprends péniblement à connaitre, une vie n’y suffit pas. C’est une succession de questions réponses totalement circonstancielles, dépendant du statut social des interlocuteurs, de leur âge relatif, de leur degré d’intimité ou de parenté, du moment de la journée, etc. Une somme de règles complexes qui affirment la hiérarchie sociale et tisse le lien. C’est d’une rare complexité symbolique qui peut paraître dérisoire en surface. Il faut jongler avec les codes car le cas d’espèce de la rencontre d’un jeune blanc avec un vieux chef n’est pas spécifiquement prévu par le système ! Et mon bambara reste très sommaire.
Je sais encore un peu saluer aujourd’hui, mais il me faudrait faire un effort puisque ma « place » a changé, désormais je suis le Vieux ! Et ça doit se sentir. Nous rencontrons souvent lors de nos errances des voyageurs novices qui nous questionnent sur l’étrangeté des temps d’autrefois. Ceux durant lesquels des poches remplies de liasses de billets ou de traveller chèques remplaçaient une carte bancaire, une boussole un GPS et durant lesquels nous restions plusieurs mois sans que nos proches ne sachent même dans quel pays nous séjournions faute d’accès à un téléphone. Je crois alors sentir comme un respect, celui que j’ai eu pour les chefs de village et ils insistent pour que je leur conte. Tout est vrai, ou presque ou pourrait l’être. Je mesure autant que mes auditeurs d’un soir comme le temps est passé, comme un monde s’est dissout entre mes doigts. Une forme de sérénité tranquille m’accompagne, c’est peut-être cela vieillir ? J’aime ces rencontres impromptues, sans lendemain, durant lesquels ces gosses se livrent et donnent accès à plus de leur intimité qu’ils n’en connaissent puis montrent leurs émotions lorsque nous nous quittons. Urgence à dire puisque le sel est dans l’éphémère et la sincérité dans l’absence d’enjeu. Au fond je n’ai jamais pu bien m’entendre avec ceux de ma génération.
Les notables prévenus de notre arrivée ont eu le temps de se regrouper ils sont assis le vestibule d’une case qui est la pièce d’accueil des visiteurs. L’air est encore brûlant et bruisse mollement de mouches engourdies par la chaleur. Tous portent des tuniques (glokibani) en coton tissé à la main sous formes de très longues bandes étroites cousues à points lâches. La teinture bogolan (terre de termitière et produits végétaux) ou simplement la crasse les colore dans un camaïeu de bruns. Les pantalons sont amples avec un entre jambe descendant très bas.
La plupart des hommes exhibe des grigris et des amulettes tantôt sur le biceps, ou sous forme de ceinture qu’on aperçoit lorsque les mouvements écartent le boubou. Ce sont en général de petits sacs de cuir noir contenant des objets improbables ou des sourates du coran recopiées en caractères minuscules sur des rubans de papier roulés. Ils sont fournis par les féticheurs en échange d’un poulet ou de quelques pièces ou, sans exclusive, par un marabout qui apprit à écrire l’arabe à la medersa durant son enfance et qui en fait commerce. Syncrétisme pragmatique du Mali de ces temps bénis ! Ces amulettes protègent également contre toutes les terreurs qui envahissent la brousse la nuit, et aussi contre la maladie, l’acier des armes ou le malheur.
Parfois un membre de la confrérie des chasseurs est là. Son boubou et son bonnet pointu un peu replié vers l’arrière sont couverts d’ornements divers, crânes d’animaux, petits fragments de miroir, cornes de gazelles emplies de substances étranges et obturées par de la cire, dents et ossements divers, clochettes et clés métalliques etc. Tous ont un sens occulte et secret.
Après que j’ai salué, on me fait assoir à une place d’honneur. Les jeunes hommes qui sont venu me chercher en ville restent sur le côté, un peu à l’écart, par respect. On m’apporte de l’eau un peu boueuse dans une calebasse et je bois ostensiblement, j’ai d’ailleurs fort soif, on a toujours soif dans le Sahel ! Souvent cette eau est fraîche pour avoir été conservée dans un canari, cette poterie un peu perméable dont l’évaporation superficielle refroidit le contenu. Dans les bonnes familles elle est parfumée par quelques herbes aromatiques que les enfants vont cueillir en brousse et qu’ils sont fiers de rapporter à leur mère ou d’aller donner à une des femmes du chef de village.
Les notables prennent la parole à tour de rôle pour m’accueillir en regardant le sol devant eux. Comme dans une mélopée, avec une voix un peu monocorde, ils saluent mon arrivée, me souhaitent la bienvenue et me font des bénédictions. On ne se coupe jamais la parole dans une assemblée d’adultes. Mais on ménage des pauses dans le discours afin que chacun approuve l’éloquence de l’orateur par des « honhon » graves et venant de profond dans le ventre. Ils sont de tonalité haute ou basse, ou modulée afin de montrer l’approbation, l’emphase ou le doute. Mais tous sont enrichis des vibrations profondes que sait produire un homme mur et qui le rend respectable.
Je prends la parole dans mon pauvre bambara et j’explique à quel point je suis heureux d’être ici. Je félicite le vieil homme pour l’excellent état du village attestant de sa grande sagesse dans la gestion des affaires courantes. On feint de trouver mon discours à la hauteur des enjeux !
J’ai apporté un peu de ce mauvais vin fabriqué par les Libanais de Bamako à partir de poudre aromatique et de colorants dissous dans de l’eau alcoolisée et dont ils raffolent au grand dam des imams qui commencent à répandre leur terreur. Et aussi du tabac en poudre très fort qu’on chique ou prise et des cigarettes de marque Liberté, leur préférées, de si mauvaise qualité qu’il faut les fumer bien à l’horizontal sinon le tube de papier se vide privant des dernières bouffées acres ! Si la saison n’est pas trop avancée et qu’il reste assez de céréales les femmes auront fabriqué du dolo, une bière de mil peu alcoolisée aigre, écœurante et faiblement mousseuse. On la boit à large lampées sonores dans une vaste calebasse qui passe de mains en mains. Il convient de souffler un peu pour écarter l’écume souillée d’insectes noyés ! J’en boirai beaucoup en simulant la plus grande des satisfactions. On m’en félicite.
En ces temps, la seule fonction des boissons alcoolisées était d’étourdir un peu mon désarroi. J’en faisais un usage immodéré. Durant mon enfance, à la maison, on ne buvait pas ou alors un peu de ce vin épouvantable et foxé que fabriquait mon grand-père à l’aide Baco noir. Il était bien peu élevé en degré et on évoquait parfois une toxicité légendaire à cause du méthanol qu’il contient. Parfois, un vendeur ambulant à l’air conspirateur passait proposer des fioles d’anéthol de contrebande qu’on mélangerait avec une eau de vie à l’arôme de marc puissant afin de servir de succédané au Pastis bien trop coûteux.
C’est bien plus tard que je découvrirai l’élégance des Saint Joseph ou Hermitage de ma région ou les richesses aromatiques des single malts. Tout à l’heure, lors de la « visite », cette cérémonie rituelle qui rompt la monotonie des matinées de l’hôpital on m’a questionné sur ma consommation d’alcool. Un verre de trop par jour a semblé une réponse qu’ils ont comprise. Les externes en retrait et encore fort intimidés ont discrètement pensé aux débordements de leurs soirées et ont baissé les yeux négligemment. L’interne, désireux de montrer au chef de service qu’il s’enhardit dans sa relation à la patientèle s’est laissé aller à un commentaire de modération, l’alcool est un neurotoxique. Alors le patron, sentencieux, a quitté quelques instants sa morgue pour me questionner sur mes préférences, reconnaissant avec moi les vertus des Hauts Côtes du Rhône et les tarifs indécents des Bourgogne.
Nous sortons de la case du Vieux avec le notable à qui je suis confié et les jeunes hommes de ma génération avec qui j’aurais partagé les cérémonies d’initiations si j’avais eu la « chance » de naître au village. Nous nous promenons dans les rues tortueuses et aux alentours. On me montre les arbres sacrés et le « podium » sous le caïlcédrat. C’est une sorte d’estrade réalisée en rondins de bois dur posés sur des piquets fourchus. Ils sont assemblés afin de réaliser une surface très vaguement plane. Le bois est poli et luisant à force de temps. Les anciens viennent y radoter en croquant des noix de cola. Ils tolèrent bien volontiers que les enfants se collent contre leurs vieux os et restent assis à leur côté levant parfois leurs yeux trop noirs et pleins de mouches vers ce grand âge si respectable.
Ça sent la fumée des foyers domestiques et aussi cette odeur d’Afrique indéfinissable qui envahit mon âme à sa seule évocation, celle d’une terre puissante et rude.
Les mioches pieds nus, à moitié culs nus, courent autour de nous si étonnés. Ils ne descendent jamais en ville et plus que rares sont les blancs qui trainent sur les plateaux. Ils aimeraient me toucher, sont aussi curieux qu’intimidés. Ne dit-on pas que la plupart des diables a la peau blanche ? Les adultes simulent la colère et se retournent brutalement afin qu’ils cessent de nous importuner tout en les laissant profiter d’un spectacle qu’ils auraient aimé connaître au même âge. Quelques jeunes filles pubères bombent le torse à notre passage pour mieux exhiber fièrement leurs petits seins et affirmer leur féminité naissante. Elles guettent du coin de l’œil un regard de ma part qui témoignerait d’un vague intérêt pour leurs appâts.
Le petit soir tombe vite en Afrique. La chaleur accablante s’estompe, un peu de vent rafraichit l’air même si les rochers rayonnent encore longtemps. Nous gagnons la concession du notable qui m’accueille. C’est un ensemble de cases dans lequel vit une lignée. Il est parfois ceint d’un muret bas. Chaque case a une fonction particulière, celle du chef de famille, une pour chacune de ses épouses et les jeunes enfants, celles des adolescents garçons et des jeunes filles, peut-être celle d’un fils ainé qui vient de se marier et n’est pas encore établi, les différents greniers à céréales, chacun contenant les précieuses ressources des uns et des autres avec des règles de répartition et d’usage très codifiées, la cuisine, le « vestibule » d’entrée, etc.
On s’installe dans la cour sur des nattes parfois sur de petits tabourets monoxyles.
« Tubabuké anga dumuniké » : Homme blanc, viens manger ! Il est bon de répondre « Ne fara, Oualaye ! » : Je suis plein au nom de dieu !
Ils insistent, je proteste et on finit par passer « à table ». Une calebasse passe afin que chacun se rince la main. En prévision de la fête les femmes ont préparé de grandes « tasses » émaillées chinoises de tô, sorte de polenta de mil avec nadji, l’incontournable sauce au sumbala. Ce « condiment » est fabriqué à base du fruit du néré fermenté et possède, hélas, exactement l’odeur d’un tampax usagé qui aurait trainé quant au goût, pas essayé ! S’ils sont « en finance » la sauce est agrémentée de poissons du fleuve fumés. Nous disons bismullah même si l’animisme est plus profondément ancré dans les esprits que l’islam. On m’invite à plonger la première main dans la tasse, je décline et finit par céder à l’honneur qui m’est fait.
Ironie ultime, à l’instant, on m’apporte le plateau repas du CHU tandis que je revisite avec frénésie ma mémoire : « Alors, le petit Monsieur du 13, il va bien manger aujourd’hui ? ». Je ne suis pas certain qu’avoir accédé au statut de « le monsieur du 13 fenêtre » soit une promotion. Et l’usage de la troisième personne lorsqu’on s’adresse à moi n’est peut-être pas le signe d’une reconnaissance que j’aurais pu attendre. Pas facile de répondre à une interpellation de cette nature. Avec l’âge j’ai acquis une sorte de résignation face à la sottise extrême surtout lorsqu’elle n’est pas malveillante. Mes quelques soucis de santé complètent l’apprentissage, je pense à l’acronyme FPA que j’adapte en formation personnelle accélérée. Être « patient » polysémie qui prend tout son sens. J’ai tiré le rideau qui me donne un peu d’intimité. De l’autre côté mon voisin lape avec avidité une soupe fade. J’ouvre la barquette scellée, je reconnais l’odeur douçâtre du gaz qui protège les aliments, une « atmosphère contrôlée » bien improbable alors que plus rien n’est sous contrôle dans ma vie. Les paresthésies ont atteint ma langue mais les récepteurs olfactifs sont (encore ?) épargnés. Cordon bleu de dinde, épinard à la crème, polenta. Impressionnant. Hors la viande, ce pourrait être du tô à la sauce verte, celle que les femmes savent préparer à partir de feuilles cueillies en brousse lorsque les ressources viennent à manquer. Les toilettes accueillent une partie du repas. Je n’aurais pas à me justifier, les quelques kilos qui alourdissent ma silhouette sont bien suffisants pour que j’y trouve l’énergie de la lutte contre cette saloperie qui m’envahit et que les « savants » peinent à nommer.
En brousse, on mange vite, en silence. Le repas n’est pas une fête lorsque trop souvent il fait défaut ! Chacun saisit une portion de tô au bord du vaste monticule que nous partageons. Il la trempe dans la sauce vert brun qui est installée dans une petite cuvette creusée au sommet de la pyramide de pâte. D’un geste habile en tournant le poignet on enrobe une « tartine », avec la sauce gluante à souhait à cause du gombo ou de poudre de feuilles de baobab si on est trop pauvre. Idéalement un fil de mucilage pourra aller de la tasse jusqu’à la bouche des convives les plus habiles.
J’apprendrai plus tard que l’étrange déformation des mains de beaucoup de ces hommes est due à la lèpre. On nomme cette atteinte « tendons en griffe de lion » et les phalanges manquantes ne sont pas le résultat de maladresses ! Plus tard une amie travaillant à l’institut Raoul Follereau m’expliquera tout. Et je continuerai à partager le repas de ces gens.
Avant-hier un des professeurs dissertait doctement sur mon « cas ». Il était accompagné de sa cohorte respectueuse d’étudiants : « On pourrait presque penser à la lèpre mais ça ne colle pas à cause de et de ... Notez tout de même de faire réaliser une sérologie. »
J’ai éclaté de rire et raconté brièvement l’anecdote. Je lui ai promis un succès d’estime si ...
Il a levé les yeux vers moi et m’a répondu : « Oui ! Ce serait la seconde fois que je fais un tel diagnostic, et sans doute le dernier avant ma fin de carrière. Sur un blanc j’entends ! »
Naturellement ... Dans le fond ce serait aussi pour moi une sorte de couronnement. J’ai tout de suite pensé au mot « ostracisme ». En plus, la lèpre ne se soigne pas si mal, même si le traitement est plus que long et contraignant.
On rejoint la place du village, les musiciens sont en place les jeunes gens ont allumé des feux de tige de mil afin d’éclairer l’aire de danse. On m’installe sur une natte à la meilleure place et commencent les danses, parfois collectives comme des rondes ou en rangées parallèles ou au contraire en solo. Tous savent exactement ce qu’il convient de faire sans avoir à se concerter.
Les balafons résonnent à la fois percussifs et vibrants. Il ne s’agit pas de ces petits instruments utilisés plus au sud ou par les griots pour accompagner leur flatteries ou le conte de la généalogie prestigieuse (forcément !) de quelque notable qui sera obligé de disperser des billets froissés et gluants de francs CFA. Ne pas le faire serait déchoir !
Le balafon villageois bamana est énorme il doit s’entendre de loin et savoir vibrer dans les graves profondes. Les calebasses qui servent de résonateur sont percées en des lieux précis, seuls les forgerons qui sont leurs facteurs connaissent ces secrets. Chaque orifice est recouvert d’une pellicule blanche et fibreuse qu’on recueille sur les parois des cases, ce sont les « nids » d’une araignée spécifique. Ces petites membranes servent de vibrateurs qui modulent le son et lui donne ce petit côté aigre que l’Afrique aime tant.
Durant une « permission » dominicale que m’accordent les médecins, et alors que je tente de débarrasser mes garages des sédiments de la vie, j’ai retrouvé un de ces balafons. Un étrange sentiment d’absolue nécessité m’a conduit à le commander à un facteur célèbre de Kolokani, à faire réaliser un très vaste emballage de protection afin de le rapporter en Europe. Quarante ans après je mesure combien les désirs de jeunesse peuvent être dérisoires. Ce balafon n’a jamais vécu. Il a traîné un peu triste dans la chambre d’une maison de campagne en rénovation éternelle pour finir un peu oublié dans un garage, posé à la verticale, ultime humiliation pour un tel instrument. Une chimère d’un quart de mètre cube, dans lequel j’ai cru pouvoir stocker des émotions. Que deviendra-t-il ?
Les djembé accompagnent la danse. Ils sont de taille variables et très souvent ornés de trois vastes « oreilles » ovoïdes en tôle de récupération qui se dressent vers le haut. Elles sont perforées sur la bordure afin d’accueillir une série d’anneaux qui vibrent et complètent le son d’un grésillement métallique. Parfois un joueur de talking drum (tamani) intervient. Il s’agit d’un petit fût en bois en forme de sablier. Les peaux qui obturent les orifices sont reliées par un réseau de liens en tendons de chèvre. On le tient sous le bras gauche pressé contre le torse et on le bat à l’aide d’une baguette recourbée. Le son est modulé par la pression exercée sur les liens qui tendent plus ou moins les peaux. Lorsque le joueur plaque le tambour contre son corps, le son est clair, aigu et il devient grave lorsqu’on relâche la pression. Les joueurs de tamani sont toujours un peu acteurs, ils surgissent au milieu du cercle réalisent pirouettes et mimiques grotesques, interpelant l’un ou l’autre dans leur solo. Si c’est possible, il est de bon ton de donner quelques billets ou piécettes à cette occasion. Parfois le griot lance en complément un solo vocal dans lequel il chante les louanges de son auditeur et bien maladroit serait celui qui ne le récompense pas, car sa verve peut vite devenir acide !
Le sablier élégant du fût monoxyle des tamani fait remonter quelques-uns de ces détails insignifiants qui sont les perles de notre mémoire. J’ai eu la chance d’avoir de grands professeurs durant mon enfance. L’un, au tout début des années soixante-dix et alors que j’étais encore collégien, m’initia à la programmation dans l’ancêtre du langage Fortran sur un « gros système » Honeywell-Bull (on a nommé cette étrange histoire « expérience des 58 lycées »). Un autre, génie pédagogique qui ne prononçait jamais un mot inapproprié pas plus qu’il ne se répétait, a su captiver mon attention au point de m’apprendre assez de mathématiques pour que je puisse intégrer l’ENS. Je regrette d’avoir oublié le nom de celle qui anima un « atelier 10 % » une de ces fantaisies que seule l’Éducation Nationale sait inventer afin de prétendre rétablir l’égalité de chances et compenser les « handicaps » sociaux ou cognitifs des uns ou des autres alors que ces dispositifs ne font que les renforcer. Elle nous fit fabriquer des « surfaces réglées » à l’aide de fils savamment tendus entre des plaques de contreplaqués percées et assemblées afin de réaliser des sorte de boîtes. Durant cette phase initiale, j’allais dire initiatique, elle nous contait les mathématiques tandis que nous tressions laborieusement les cordelettes. Et parfois, elle nous demandait de lever les yeux vers le tableau sur lesquels trônaient les mots « paraboloïdes hyperbolique », et tantôt elle y avait esquissé à la craie colorée et avec un talent qui m’éblouissait les coupes d’un volume complexe par des plans ou les équations des coniques qui en résultaient. Tout m’apparaissait naturel, limpide, si intégré dans le petit ordinaire des gestes de mes mains que le savoir cessait d’être intimidant. Nous étions mélangés tous niveaux confondus, j’étais élève de seconde. J’ai souvenir du fort sentiment de privilège d’être assis à côté d’une si belle fille de terminale. Lorsqu’elle me donnait quelques conseils et daignait poser les yeux sur moi j’aurais facilement pu tomber éperdument amoureux. La forme en sablier d’un tamani est un paraboloïde hyperbolique. Ces mots dont je mesure aujourd’hui la portée symbolique à travers leur étymologie prennent une saveur sucrée !
Les danses se poursuivent dans la lumière orangée et vacillante des feux. Les corps musclés luisent, ils sont beaux, avec des muscles bien détachés enserrés dans des peaux épaisses mais souples. Une vie de labeur et de privation ! Lorsque la danse devient frénétique la poussière se mêle à l’air pesant et plonge l’arène dans une sorte de brume ondulante. Et alors les adolescents frappent les braises pour faire s’élever des gerbes d’étincelles, les diables de la colline en sont honorés. Les musiciens redoublent d’ardeur, les yeux des enfants s’écarquillent et ils battent la mesure de tout leur corps, tapent dans les mains ou sur des instruments de percussion improvisés.
Les jeunes femmes rivalisent d’une sensualité brutale et provocante sans jamais être vulgaire tandis que les jeunes hommes montrent leur dextérité par des passes de gymnastes. On pousse parfois un homme plus âgé dans le cercle afin qu’il montre les beaux restes de l’énergie de sa jeunesse. En son temps, il a su séduire plus d’une belle par ses talents de danseur. On s’interpelle, rie, crie. Ou alors une femme plus que mure esquisse quelques pas, souvenir d’un temps qui est bien loin et qu’elle croit avoir été joyeux. Ses amies l’encouragent et l’entourent en brandissant des pagnes colorés comme pour faire un écrin à sa danse. Rien ne m’est épargné et je dois me ridiculiser, la foule hurle de rire devant mes pas moins qu’assurés.
La nuit avance les fagots de tige de mil sont épuisés il reste un peu de braise dans le feu. On sort les lampes à pétrole et quelques torches électriques, chacun regagne les cases. Je dormirai avec les adolescents, allongé sur une simple natte après m’être bobiné dans un grand pagne afin de me protéger des moustiques. Et puis aussi parce si on laisse son visage apparent, l’attention se relâchant durant le sommeil, un diable peut venir vous prendre.
Encore aujourd’hui je ne peux pas dormir sans m’entourer la tête d’un tissu laissant seulement le nez émerger. Les enfants et M. s’en moquent beaucoup. Cette nuit, je tente en vain de trouver le sommeil aux côtés d’un voisin de chambre dont la respiration est trop hésitante à force d’atteintes neurologiques. Je chercherai la paix dans le refuge d’un drap sentant le désinfectant hospitalier. Je souffre beaucoup d’avoir à dormir dans la même chambre qu’un tiers sauf s’il s’agit d’un très proche. Le sommeil me rend vulnérable, un spectateur malveillant pourrait pénétrer l’intimité de mes rêves et y découvrir une intériorité que moi-même je ne connais pas. Je suis peu pudique voire exhibitionniste, mais pas au-delà de ce que je choisis de dévoiler, avec toute l’habileté qu’une vie de mensonges m’a enseignée. J’ai connu mon « premier Malien » à l’ENS. Je ne savais même pas situer ce pays sur une carte ! Kolimba m’expliqua avoir eu beaucoup de peine à trouver la paix dans une chambre de cité U à son arrivée en France. Il n’avait jamais dormi seul. Chaque soir, lui et ses amis maliens se retrouvaient dans la même chambre, étalaient quelques couvertures sur le sol et dormaient, pelotonnés les uns contre les autres, pour mieux lutter contre les douleurs du manque de famille, d’odeurs et couleurs du pays, de chaleur rassurante de la nuit africaine, des bruits familiers de la promiscuité réconfortante. J’ai mieux compris ses paroles après avoir passé tant de nuits dans l’inconfort apparent d’une case en brousse ou d’une cahute. Paradoxe des situations, il a pu m’arriver récemment de dormir sans gêne dans la froideur humide d’une yourte partagée avec une famille kirghize alors qu’il m’est insupportable de faire chambre commune avec un collègue de travail dans un hôtel confortable !
Les chiens braillent toute la nuit, il fait chaud, moite et la couche est dure. Alors que je trouve enfin le sommeil, les coqs débutent leurs exploits juste avant que ne commencent les chocs rythmés des pilons dans les mortiers des femmes qui préparent les céréales du matin. J’aime les regarder piler. Trois jeunes femmes s’installent autour du même mortier. Elles chantonnent ou plaisantent en synchronisant précisément leurs mouvements. De temps à autre l’une lance le pilon bien haut et, tandis qu’il est en l’air, frappe très fort dans ses mains afin d’apaiser la brulure du bois sur ses mains moites. À côté d’elles, une femme plus âgée pile à une cadence sans fougue. Elle porte un bébé serré contre son dos dans un pagne habillement noué. Sa tête ballote au rythme des mouvements de la mère. S’il proteste, par la fente latérale de son boubou, elle lui offre un sein si distendu qu’il peut passer sous le bras afin d’atteindre la bouche de l’enfant.
L’intimité manque au village. Lorsqu’on s’éveille chacun prend attention à ne pas vous adresser la parole avant que les brumes du sommeil ne se soient dissipées. Une bouilloire en plastique remplie d’eau est disposée à côté d’un petit rocher poli par l’usage à l’entrée de la case. Se laver le visage et la bouche est le signal conventionnel montrant qu’on est disposé à saluer.
On est moins délicat à l’hôpital ! Une infirmière surgit à l’improviste au milieu de mon pauvre sommeil, envoie les six mille lumens des néons bleutés : « Une petite prise de sang. On va vous appeler Monsieur Passoire à force ! Hihihi ». Elle est au mieux de sa forme, sent le café et le tabac qui l’aident à vivre déphasée puisqu’elle a choisi de « faire les nuits ». Longtemps, elle a justifié cette préférence par commodité. Mais dans le fond, elle a fini par aimer l’ambiance glauque des couloirs éclairés par des veilleuses colorées placées près du sol, les râles des malades qui trouvent le sommeil anéantis par l’obscurité ou par les somnifères puissant qu’on leur propose volontiers, le huis clos de la tisanerie dans lequel les paroles entre collègues sont mesurées et où s’installe une sorte d’intimité de soutiers à fond de cale.
De bon matin, on mange siri ou moni, l’indispensable bouillie salée composée de riz ou de petits grumeaux de mil. Elle est parfumée d’un peu de pâte d’arachide parfois de gingembre et toujours de dâ kumu, une plante très acide proche de l’oseille. On mange avec une cuillère faite de la moitié d’une « courge à manche » évidée nommée galama. Si on était en ville et un peu aisé, on me donnerait une tête de mouton cuite en bouillon avec du concentré de tomate, du cube maggi et du piment. Je tremperais dans la sauce les ngomi, ces petites galettes de pâte de mil aigre à force d’avoir fermenté, cuites dans le beurre de karité odorant.
Passé le petit déjeuner je « demande la route », on m’emmène chez le Vieux s’il est réveillé. Mon hôte intercède en mon nom auprès de lui afin qu’il m’autorise à prendre congé et il transmet mes remerciements. Le chef de village dit quelques mots et fait part de la satisfaction occasionnée par ma visite. Je m’incline vers lui. Les yeux baissés, je lui offre ma main droite tandis que ma main gauche a saisi mon coude afin de bien montrer tout le respect qui lui est dû.
Il me suffit de dire « Ne be ta sisan » : J’y vais maintenant.
Il me répond « Kamoufô » : Qu’ils soient salués.
Je clos avec « Ou na me » : ils l’entendront.
Je redescends dans la vallée avec quelques jeunes hommes qui m’accompagnent. Pour le plaisir de faire un tour dans la benne du pickup et de boire un Fanta glacé à la maison il leur faudra marcher de longues heures sous le soleil terrible de la mi-journée avant de regagner leur colline.
D’autre fois, un samedi, je convoque la troupe des musiciens et les meilleurs danseurs du village. Ils arrivent à pied, en charrette ou à vélo portant les énormes balafons et les tamtams. J’ai loué des bancs, ceux qui servent aussi pour les obsèques ou les mariages, et notre gardien les a disposés dans la rue devant la maison. Tout le quartier est prévenu qu’il y aura fête ce soir.
Notre boy a préparé de grands plats de zame, du riz au gras bien pimenté avec de la viande de mouton et des aubergines amères. Ils en mangent des quantités impressionnantes, se noient dans les sodas sucrés. Lorsque la nuit est tombée on éclaire des ampoules jaunes et vacillantes sous les chutes de tension et qui sont disposées sur des perches au-dessus de la rue. Déjà les gosses trainent devant notre porte. Les jeunes filles du quartier ont choisi leur plus beau pagne et ont passé l’après-midi à se tresser avec des mèches synthétiques bien noires et brillantes. Elles rivalisent de dextérité afin d’imiter les coiffures à la mode qu’elles voient au marché sur les femmes riches. Le pays n’a pas encore la télé, quant aux journaux de mode provenant souvent d’Abidjan, ils sont rares et souvent plus que datés. C’est en ville qu’on trouve ses modèles ! Les garçons on fait laver par leur mère un jogging provenant des fripes un peu voyant, coloré et satiné espérant séduire quelque beauté.
Au premier son du balafon tous accourent en criant et en riant dans la poussière de latérite.
Le cercle se forme, les plus habiles trouvent une place sur les bancs. Les autres se bousculent autour. Il s’en trouve toujours un qui, muni d’un morceau de corde simulant la chicote (ce petit fouet colonial) tient les enfants en respect en mimant la plus grande férocité. Les mioches ravis hurlent s’enfuient pour revenir dans les secondes qui suivent. Les « gens de la ville » sont tout à leur joie d’être plongés dans une atmosphère qu’ils croient avoir oubliée mais qui est toute proche dans leur mémoire. Et volontiers une voisine rejoindra la danse sous les vivats de ses copines. Pas de nostalgie en Afrique, l’instant présent est trop précieux pour qu’on le gâche par des simagrées de riche ! Et alors, pour une soirée, les gawake accèdent à un statut nouveau ! Souvent plus de cent spectateurs les accompagnent de leurs claquements de main et de leurs cris de joie. Lorsqu’on est fatigué, j’éteins les ampoules électriques et chacun se disperse dans la mauvaise lueur des lampes à pétrole des vendeurs de rue. Je suis leur toubab.
Le gardien a étalé des nattes dans notre cour sous les manguiers. On s’y installe. On mange encore un peu, des brochettes, et des frou frou. C’est une spécialité de mon « carré » c’est-à-dire de la zone d’habitat enserrée entre quatre rues « principales » en latérite. À tel point que mon adresse est : maison du Capitaine Bada – Froufrou carré – Lafiabougou – Bamako. Je certifie qu’on peut aisément retrouver le lieu à partir de ce seul indice.
Les habitants du carré, les vieux surtout (forcément !) se souviennent surement de nous. Ils en parlent encore à l’occasion dans les grins, ces groupes de réunion quotidien d’une bande copain autour du thé. Que sont devenus les jeunes hommes qui ont partagé notre rue dans l’épouvante du Mali d’aujourd’hui ? On a tant de bonnes raisons de mourir prématurément en Afrique. Et lesquels ont survécu au sida qui pointait son museau dans ces années-là et dont personne ne se méfiait. Après notre retour en Europe, rares les années où n’apprenions pas le décès de l’un ou l’autre des joyeux drilles de nos connaissances, morts pour avoir trop aimé la compagnie intime des beautés noires.
Après l’agitation de la fête, j’ai convié Tyekorobani (intraduisible mais très drôle « le jeune homme vieux grand et petit ») un adolescent du quartier à nous faire du thé, c’est mon expert préféré. La cérémonie dure plusieurs heures et nous boirons trois fois quelques centimètres de thé à la menthe trop sucré dans un verre empli de mousse. Le premier est acre et sombre, les suivants s’allègent progressivement. La cour sent bon la petite fumée des charbons de bois mal consumés et celle du caramel lorsque quelques gouttes de thé sucré se répandent sur le fourneau. Les chanteurs et les danseurs entrent dans de grands palabres auxquels je ne comprends rien. Ils sont passés dans le registre soutenu de la langue celui qu’il faut une vie pour maîtriser tant il est imagé et métaphorique. Notre vieux gardien s’est joint à eux et tous rient tandis qu’un énorme radio cassette passe la musique de Salif Keita ou de Mori Kanté qui sont encore des inconnus en Europe.
Je suis bien.
La nuit avance, enveloppés dans des couvertures, tous s’endorment.
Lorsque le matin arrive ils se gavent de quantités improbables de nescafé (très peu, c’est considéré comme une drogue forte !) avec trop de lait concentré sucré et trop de sucre, accompagné de pain abondamment tartiné de margarine. De la baguette, la vraie, le luxe ultime. Les Libanais de Bamako les fabriquent craquantes et insipides avec la farine charançonnée dont l’Europe se débarrasse à titre humanitaire ou celle des plaines de l’Ukraine post Tchernobyl.
Ils quittent la maison riant, causant, véhéments de leur joie ! Au village, ils pourront parler plusieurs jours durant de la maison du blanc, de ces festins somptueux, des filles si belles de la ville, et de leur aventure extraordinaire. Bien rare que de tels exploits ne soient des armes de séduction définitives !
Un soir de 1987, le domestique d’un vieux blanc de Bamako vient me trouver.
Son patron C. habite de l’autre côté du fleuve dans le quartier de Badala Bougou (le village à côté de la porte du fleuve), la zone résidentielle des riches européens. Je le connais, il me respecte et dans une certaine mesure moi aussi, c’est une sorte de chef de clan. Car à cette époque les blancs vivent en meute, sous l’autorité d’un mâle dominant. On se reçoit, on boit beaucoup d’alcool, on organise des soirées, etc. On dit du mal des uns et des autres, trompe un peu son conjoint, s’ennuie beaucoup mais à plusieurs. Le but de chaque coterie est de croître et de recruter de nouveaux membres. D’ailleurs en septembre lorsque les nouveaux venus sont installés au Sofitel en attente d’un logement ils sont courtisés par des rabatteurs.
C. a la cinquantaine dépassée et a fait toute sa carrière d’enseignant à l’étranger. Les salaires sont plus que confortables et la vie modique. « Coopérants » un mot si étrange, qui a même son ministère ! Presque tous sont arrivés là afin d’échapper au service militaire puis, séduits par l’argent facile ou par une vénus exotique, sont restés à l’étranger. La prime d’expatriation double le salaire et les avantages sont nombreux. À force d’aisance matérielle beaucoup finissent par croire à la légitimité de leur statut : si on me paie tant, c’est que je le vaux bien. Je suis aussi un coopérant mais j’ai quelques doutes quant à la finalité de ma « mission ».
C. est ce qu’on nomme un « vieux blanc ». Il se fait servir par des domestiques en gants blancs mais il ne les bats jamais même lorsqu’ils cassent un peu de vaisselle. C’est un « patron ». Il est un grand chasseur et un traqueur d’éléphants de savane. Chaque année en saison froide et sèche il organise un safari dans le Gourma pour les happy few qu’il choisit. Ils partent en grande bande en 4x4 et en 504 pickup avec boys et cuisiniers, une quantité importante de victuailles et d’alcool courir la savane de l’est près de la frontière Burkinabé. Les outardes, les phacochères ou les gazelles agrémentent l’ordinaire et des pisteurs locaux aident à trouver les mythiques troupeaux d’éléphants, ces colosses malveillants. Durant les épouvantables sécheresses de cette époque, l’un d’eux est tombé dans un puit de plus de cent mètres. Il n’a pas été possible d’en sortir la carcasse, le puit a été durablement pollué, les Peuhls ont dû abandonner plus de dix mille hectares de pâture.
Par la suite C. qui a la vertu d’être un vrai chef et possède un réel talent d’organisateur importera un ULM pour survoler les troupeaux afin de répertorier leur migrations. Il sera même financé par la Mission Française pour le faire. Alors que nous ne nous fréquentons pas, il m’emmènera voler au-dessus du fleuve quelques fois. Je crois qu’il aime bien ma folie. Il croit avoir perçu mon potentiel de vieux blanc qui finira par se ranger. L’avenir lui a donné tort !
Or C. est une des seules personnes à disposer d’un téléphone dans la ville. Et il m’a autorisé à l’utiliser pour me faire appeler en cas d’urgence. Un élément de prestige en plus ...
Voilà donc son domestique qui arrive chez nous à l’autre bout de la ville dans notre maison près des collines et me fait savoir que je dois téléphoner à ma famille en France. Je me rends chez C. je suis persuadé que ma mère a eu un gros problème de santé, elle souffre d’une maladie pulmonaire, ou qu’elle est passée à l’acte par inadvertance. Ses chantages au suicide sont récurrents et une maladresse survient vite, il peut arriver de ne pas se rater !
Elle a aujourd’hui 93 ans, presque bon pied, bon œil, mauvaise comme jamais. Je n’ai pas eu à lui « pardonner ». Au fil du temps s’est installée une sorte d’indifférence aux sévices de mon enfance, au climat de violence extrême dans lequel il m’a fallu tenter de grandir. Et puis on dénigre injustement les parents maltraitants alors qu’ils apprennent seulement à leurs enfants à mieux gérer la douleur physique ... Au final, ça m’est très utile en ce moment.
C. me détrompe, mon père est tombé dans l’escalier, il est au plus mal. Quelques mois auparavant j’ai emmené cet ouvrier immigré italien modeste et peu ambitieux traverser le Sahara dans un Patrol hors d’âge par des pistes improbables. Nos aventures ont été à la hauteur de ce que fut la banalité de sa vie : bref emprisonnement en Algérie pour trafic de devise – panne dans le désert – randonnées avec les Touaregs dans le Tassili n’Ajjer et le Hoggar – diagonale Tamanrasset-Bordj Moktar que nous ne verrons jamais, arrivant à ma plus grande surprise à Tessalit première « ville » malienne sans avoir jamais vu la frontière – tonneaux sur une petite piste perdue de l’Adrar des Ifoghas – etc.
Après quelques heures d’attente et beaucoup de whisky je peux enfin joindre la France par téléphone et j’apprends qu’il est à l’hôpital proche de l’agonie. Le lendemain je prends un vol pour Paris et rejoins ma famille. Mon père décède quelques jours après mon arrivée à l’âge de 65 ans.
Il occupait une chambre du pavillon dans lequel je suis hospitalisé mais de l’autre côté du couloir.
Je vois le Vercors depuis la fenêtre, il voyait le Grésivaudan.
Je suis sorti un peu pour me changer les idées.
Il a neigé sur Belledonne.
Sans doute cette neige lourde et un peu collante, typique du printemps. Mais on peut tout de même y faire de belles traces et on l'aime bien, parce que c'est la dernière. La dernière fois que ... Pas facile de regarder Chamrousse depuis la cour du service 9679, pavillon de neurologie du CHU. J'ai un petit passage à vide, mais j’accepte ces bouffées de désarroi qui font partie de ma « nouvelle normalité ». Savoir vivre avec des transitoires.
Je revois Georges, mon père, quarante années auparavant. Il est re-lié à moi comme jamais, par un fil qui me saute à l’esprit et se déroule avec fulgurance, évidence.
Il fait pisseux, avec cette lumière bleutée si typique de notre région, la montagne semble trop proche et un peu sale. Les pneus chuintent sur la chaussée mouillée, rythmant des souvenirs qui ont fini par s’affranchir de la nostalgie.
Fin des années ’80 nous habitons en quartier indigène à Lafiabougou, tout à l’ouest de Bamako.
Le lieu est très beau, devant la maison quelques habitations, puis le cimetière, une vaste esplanade, envahie de mauvaises herbes desséchées où quelques pierres dressées marquent vaguement les tombes. Mais on se fie plus volontiers à la mémoire d’un vieil homme rabougri qui sait indiquer le lieu où creuser sans risquer de perturber le repos d’un défunt. Juste derrière démarrent les « collines » (traduction littérale du bambara koulou). Ce sont en réalité les petits restes d’un vaste plateau qui a été entaillé, saigné par l’érosion et le ruissellement. Il subsiste comme des donjons hauts de quelques centaines de mètres, protégés par une falaise et des éboulis, séparés les uns des autres par de petites vallées qui restent un peu vertes. C’est une série d’isolats sur lesquels l’eau est rare. Sur les plus vastes d’entre-eux, une petite population subsiste et vivote d’un peu d’élevage et d’agriculture. Les habitants de la ville les nomment gawake, ce qui est très péjoratif et pourrait se traduire par « hommes sauvages ».
Je les connais et j’y ai quelques copains.
Lors de notre arrivée dans le quartier j’ai fait appel à eux afin qu’ils piochent le sol ingrat et tentent d’enrichir la pauvre latérite du jardin avec un peu de fumier qu’ils transportent en charrette à âne. Je rêvais d’un jardin tropical, le manque d’eau chronique me fera vite déchanter. Comme partout ailleurs, la maison restera entourée d’une cour poussiéreuse que le gardien arrose lorsque, au milieu de la nuit, un peu d’eau consent à couler des robinets.
J’ai fait la connaissance des Gawake à cette occasion, puis je suis allé dans leurs villages, ce fut mon premier contact avec le monde rural malien.
Je suis encore dévasté par mon passé. J’arrive de Paris, de la came, du temps perdu, des blessures saignantes, du deuil de C. que j’ai tant aimé.
Et je crois naïvement à un paradis illusoire, naturaliste et agropastoral, dans lequel l’homme serait bon. Du Rousseau mal digéré par un enfant égaré.
Et aussi, depuis l’âge de 12 ans je suis immergé dans l’archéologie tout d’abord romaine puis très vite la fouille en plongée du site néolithique final des Baigneurs à Charavines. Une aventure hors du commun, une des fouilles majeures de ce type en Europe. Aimé, le patron du site, un grand savant très XIXème, m’a bien vite pris en affection alors que j’étais insupportable (totalement) mais que sans doute je fascinais par mon impertinence autant que par ma pertinence ! Je ne comprenais déjà rien. De l’archéologie à l’intérêt ethnologique, le pas est bien vite franchi. Toute mon enfance a été imprégnée de trop de récits de voyages, de croisière Jaune ou Noire lus en cachette sous les draps à l’aide d’une lampe de poche.
Puis vint la question anthropologique qui me taraude encore : comment est-ce l’intériorité de l’autre ? Plus il est lointain, plus il me fascine. Que serai-je si j’été né de l’autre côté ?
J’ai aimé ces gens, vraiment et en le sachant.
Ils me l’ont bien rendu, sans avoir eu besoin de le dire. Ils m’ont regardé avec bonhommie, un peu d’ironie, mais une réelle bienveillance et mille questions en retour. Lorsque la langue ne nous a pas trop séparés nous avons ri de nos différences, de nos incompréhensions. Et toujours, nous avons perçu l’appartenance à la même race !
Des joies simples, élémentaires qui ramènent à la vraie humanité, bien loin de la culture livresque ou théorique. On peut moquer l’exotisme de pacotille – s’étonner du plaisir pris à découvrir des univers aussi « intellectuellement médiocres » – rire des images d’Épinal de couchers de soleil sous les tropiques – mépriser l’ethnologie de comptoir – se divertir des pouilleux qui partagent si volontiers un repas infect et du clown blanc qui éprouve tant de bonheur à être assis auprès d’eux – etc.
Ces expériences m’ont aidé à marcher sur deux jambes lorsque, en bon occidental, j’avais la tentation de sauter frénétiquement à cloche pied, croyant courir alors que je ne faisais que claudiquer.
Jamais, on ne m'a reproché d'être un "drôle de blanc". Bien au contraire, lorsqu'on a été explicite, on s'est réjoui que je sois « vraiment un drôle de blanc » !
Moins simple dans la salle des profs de mon petit collège d'une petite ville merdique dans laquelle je croyais pouvoir donner de la joie alors que je ne faisais qu’attiser jalousies et dépits.
J’ai vite découvert que sur ces plateaux on joue de la musique (balafon, djembés, guitare à 3 cordes etc.) et qu’on aime danser. Parce que c’est bon et que la faim est moins rude quand on la chante (c’était l’époque des grandes famines du Sahel). Lorsqu’une fête est organisée un messager me le fait savoir un peu à l’avance. Le jour dit quelques jeunes hommes viennent me chercher et nous montons ensemble kulula (ie sur la colline)
Je pense soudain, et pour la première fois, à Pagnol ! Tout à l’heure, si les médecins du CHU me donnent « permission » pour le weekend, nous partirons avec M. remplir nos yeux du soleil de Provence. Et nous lutterons afin de plonger à nouveau dans la candeur de notre enfance, celle que nous avons retrouvée lors d’une mémorable « nuit de la révélation » pas si ancienne qu’elle ne puisse servir de moteur. Avoir réappris à dire je t’aime à soixante ans, après cette vie chaotique partagée que je finis parfois pas trouver belle même si elle est trop singulière.
Un bref trajet avec ma 504 pick up puis quelques heures de marche sur le petit sentier qui serpente dans l’éboulis. De pauvres cases circulaires de banco, un mélange de terre, son et paille de mil et de bouses, couvertes de chaumes. Pas d’électricité bien entendu, très peu d’eau et une petite société de Bambaras faméliques mais souriants face à une vie qu’ils n’ont jamais pu imaginer autrement que cruelle.
J’arrive et on me conduit chez le Vieux, le Chef de village, qui traîne sur une peau de zébu non tannée, simplement séchée au soleil, devenue cartonneuse avec le temps et dont les poils finissent par disparaitre. Elle témoigne d’un jour de fête particulier durant lequel on aura sacrifié un bien d’exception pour honorer un mariage ou un deuil. Nul n’oserait s’assoir sur celle-ci, elle est la marque de la chefferie.
Comme il se doit, je me courbe, baisse les yeux vers le sol, il serait incongru et déplacé d’oser croiser son regard. Je suis certes un hôte de prestige car blanc et riche mais je suis si jeune et je l’appelle papa. Les salutations durent longtemps.
En Afrique, elles sont codées, totalement conventionnelles et suivent une étiquette rigoureuse que j’apprends péniblement à connaitre, une vie n’y suffit pas. C’est une succession de questions réponses totalement circonstancielles, dépendant du statut social des interlocuteurs, de leur âge relatif, de leur degré d’intimité ou de parenté, du moment de la journée, etc. Une somme de règles complexes qui affirment la hiérarchie sociale et tisse le lien. C’est d’une rare complexité symbolique qui peut paraître dérisoire en surface. Il faut jongler avec les codes car le cas d’espèce de la rencontre d’un jeune blanc avec un vieux chef n’est pas spécifiquement prévu par le système ! Et mon bambara reste très sommaire.
Je sais encore un peu saluer aujourd’hui, mais il me faudrait faire un effort puisque ma « place » a changé, désormais je suis le Vieux ! Et ça doit se sentir. Nous rencontrons souvent lors de nos errances des voyageurs novices qui nous questionnent sur l’étrangeté des temps d’autrefois. Ceux durant lesquels des poches remplies de liasses de billets ou de traveller chèques remplaçaient une carte bancaire, une boussole un GPS et durant lesquels nous restions plusieurs mois sans que nos proches ne sachent même dans quel pays nous séjournions faute d’accès à un téléphone. Je crois alors sentir comme un respect, celui que j’ai eu pour les chefs de village et ils insistent pour que je leur conte. Tout est vrai, ou presque ou pourrait l’être. Je mesure autant que mes auditeurs d’un soir comme le temps est passé, comme un monde s’est dissout entre mes doigts. Une forme de sérénité tranquille m’accompagne, c’est peut-être cela vieillir ? J’aime ces rencontres impromptues, sans lendemain, durant lesquels ces gosses se livrent et donnent accès à plus de leur intimité qu’ils n’en connaissent puis montrent leurs émotions lorsque nous nous quittons. Urgence à dire puisque le sel est dans l’éphémère et la sincérité dans l’absence d’enjeu. Au fond je n’ai jamais pu bien m’entendre avec ceux de ma génération.
Les notables prévenus de notre arrivée ont eu le temps de se regrouper ils sont assis le vestibule d’une case qui est la pièce d’accueil des visiteurs. L’air est encore brûlant et bruisse mollement de mouches engourdies par la chaleur. Tous portent des tuniques (glokibani) en coton tissé à la main sous formes de très longues bandes étroites cousues à points lâches. La teinture bogolan (terre de termitière et produits végétaux) ou simplement la crasse les colore dans un camaïeu de bruns. Les pantalons sont amples avec un entre jambe descendant très bas.
La plupart des hommes exhibe des grigris et des amulettes tantôt sur le biceps, ou sous forme de ceinture qu’on aperçoit lorsque les mouvements écartent le boubou. Ce sont en général de petits sacs de cuir noir contenant des objets improbables ou des sourates du coran recopiées en caractères minuscules sur des rubans de papier roulés. Ils sont fournis par les féticheurs en échange d’un poulet ou de quelques pièces ou, sans exclusive, par un marabout qui apprit à écrire l’arabe à la medersa durant son enfance et qui en fait commerce. Syncrétisme pragmatique du Mali de ces temps bénis ! Ces amulettes protègent également contre toutes les terreurs qui envahissent la brousse la nuit, et aussi contre la maladie, l’acier des armes ou le malheur.
Parfois un membre de la confrérie des chasseurs est là. Son boubou et son bonnet pointu un peu replié vers l’arrière sont couverts d’ornements divers, crânes d’animaux, petits fragments de miroir, cornes de gazelles emplies de substances étranges et obturées par de la cire, dents et ossements divers, clochettes et clés métalliques etc. Tous ont un sens occulte et secret.
Après que j’ai salué, on me fait assoir à une place d’honneur. Les jeunes hommes qui sont venu me chercher en ville restent sur le côté, un peu à l’écart, par respect. On m’apporte de l’eau un peu boueuse dans une calebasse et je bois ostensiblement, j’ai d’ailleurs fort soif, on a toujours soif dans le Sahel ! Souvent cette eau est fraîche pour avoir été conservée dans un canari, cette poterie un peu perméable dont l’évaporation superficielle refroidit le contenu. Dans les bonnes familles elle est parfumée par quelques herbes aromatiques que les enfants vont cueillir en brousse et qu’ils sont fiers de rapporter à leur mère ou d’aller donner à une des femmes du chef de village.
Les notables prennent la parole à tour de rôle pour m’accueillir en regardant le sol devant eux. Comme dans une mélopée, avec une voix un peu monocorde, ils saluent mon arrivée, me souhaitent la bienvenue et me font des bénédictions. On ne se coupe jamais la parole dans une assemblée d’adultes. Mais on ménage des pauses dans le discours afin que chacun approuve l’éloquence de l’orateur par des « honhon » graves et venant de profond dans le ventre. Ils sont de tonalité haute ou basse, ou modulée afin de montrer l’approbation, l’emphase ou le doute. Mais tous sont enrichis des vibrations profondes que sait produire un homme mur et qui le rend respectable.
Je prends la parole dans mon pauvre bambara et j’explique à quel point je suis heureux d’être ici. Je félicite le vieil homme pour l’excellent état du village attestant de sa grande sagesse dans la gestion des affaires courantes. On feint de trouver mon discours à la hauteur des enjeux !
J’ai apporté un peu de ce mauvais vin fabriqué par les Libanais de Bamako à partir de poudre aromatique et de colorants dissous dans de l’eau alcoolisée et dont ils raffolent au grand dam des imams qui commencent à répandre leur terreur. Et aussi du tabac en poudre très fort qu’on chique ou prise et des cigarettes de marque Liberté, leur préférées, de si mauvaise qualité qu’il faut les fumer bien à l’horizontal sinon le tube de papier se vide privant des dernières bouffées acres ! Si la saison n’est pas trop avancée et qu’il reste assez de céréales les femmes auront fabriqué du dolo, une bière de mil peu alcoolisée aigre, écœurante et faiblement mousseuse. On la boit à large lampées sonores dans une vaste calebasse qui passe de mains en mains. Il convient de souffler un peu pour écarter l’écume souillée d’insectes noyés ! J’en boirai beaucoup en simulant la plus grande des satisfactions. On m’en félicite.
En ces temps, la seule fonction des boissons alcoolisées était d’étourdir un peu mon désarroi. J’en faisais un usage immodéré. Durant mon enfance, à la maison, on ne buvait pas ou alors un peu de ce vin épouvantable et foxé que fabriquait mon grand-père à l’aide Baco noir. Il était bien peu élevé en degré et on évoquait parfois une toxicité légendaire à cause du méthanol qu’il contient. Parfois, un vendeur ambulant à l’air conspirateur passait proposer des fioles d’anéthol de contrebande qu’on mélangerait avec une eau de vie à l’arôme de marc puissant afin de servir de succédané au Pastis bien trop coûteux.
C’est bien plus tard que je découvrirai l’élégance des Saint Joseph ou Hermitage de ma région ou les richesses aromatiques des single malts. Tout à l’heure, lors de la « visite », cette cérémonie rituelle qui rompt la monotonie des matinées de l’hôpital on m’a questionné sur ma consommation d’alcool. Un verre de trop par jour a semblé une réponse qu’ils ont comprise. Les externes en retrait et encore fort intimidés ont discrètement pensé aux débordements de leurs soirées et ont baissé les yeux négligemment. L’interne, désireux de montrer au chef de service qu’il s’enhardit dans sa relation à la patientèle s’est laissé aller à un commentaire de modération, l’alcool est un neurotoxique. Alors le patron, sentencieux, a quitté quelques instants sa morgue pour me questionner sur mes préférences, reconnaissant avec moi les vertus des Hauts Côtes du Rhône et les tarifs indécents des Bourgogne.
Nous sortons de la case du Vieux avec le notable à qui je suis confié et les jeunes hommes de ma génération avec qui j’aurais partagé les cérémonies d’initiations si j’avais eu la « chance » de naître au village. Nous nous promenons dans les rues tortueuses et aux alentours. On me montre les arbres sacrés et le « podium » sous le caïlcédrat. C’est une sorte d’estrade réalisée en rondins de bois dur posés sur des piquets fourchus. Ils sont assemblés afin de réaliser une surface très vaguement plane. Le bois est poli et luisant à force de temps. Les anciens viennent y radoter en croquant des noix de cola. Ils tolèrent bien volontiers que les enfants se collent contre leurs vieux os et restent assis à leur côté levant parfois leurs yeux trop noirs et pleins de mouches vers ce grand âge si respectable.
Ça sent la fumée des foyers domestiques et aussi cette odeur d’Afrique indéfinissable qui envahit mon âme à sa seule évocation, celle d’une terre puissante et rude.
Les mioches pieds nus, à moitié culs nus, courent autour de nous si étonnés. Ils ne descendent jamais en ville et plus que rares sont les blancs qui trainent sur les plateaux. Ils aimeraient me toucher, sont aussi curieux qu’intimidés. Ne dit-on pas que la plupart des diables a la peau blanche ? Les adultes simulent la colère et se retournent brutalement afin qu’ils cessent de nous importuner tout en les laissant profiter d’un spectacle qu’ils auraient aimé connaître au même âge. Quelques jeunes filles pubères bombent le torse à notre passage pour mieux exhiber fièrement leurs petits seins et affirmer leur féminité naissante. Elles guettent du coin de l’œil un regard de ma part qui témoignerait d’un vague intérêt pour leurs appâts.
Le petit soir tombe vite en Afrique. La chaleur accablante s’estompe, un peu de vent rafraichit l’air même si les rochers rayonnent encore longtemps. Nous gagnons la concession du notable qui m’accueille. C’est un ensemble de cases dans lequel vit une lignée. Il est parfois ceint d’un muret bas. Chaque case a une fonction particulière, celle du chef de famille, une pour chacune de ses épouses et les jeunes enfants, celles des adolescents garçons et des jeunes filles, peut-être celle d’un fils ainé qui vient de se marier et n’est pas encore établi, les différents greniers à céréales, chacun contenant les précieuses ressources des uns et des autres avec des règles de répartition et d’usage très codifiées, la cuisine, le « vestibule » d’entrée, etc.
On s’installe dans la cour sur des nattes parfois sur de petits tabourets monoxyles.
« Tubabuké anga dumuniké » : Homme blanc, viens manger ! Il est bon de répondre « Ne fara, Oualaye ! » : Je suis plein au nom de dieu !
Ils insistent, je proteste et on finit par passer « à table ». Une calebasse passe afin que chacun se rince la main. En prévision de la fête les femmes ont préparé de grandes « tasses » émaillées chinoises de tô, sorte de polenta de mil avec nadji, l’incontournable sauce au sumbala. Ce « condiment » est fabriqué à base du fruit du néré fermenté et possède, hélas, exactement l’odeur d’un tampax usagé qui aurait trainé quant au goût, pas essayé ! S’ils sont « en finance » la sauce est agrémentée de poissons du fleuve fumés. Nous disons bismullah même si l’animisme est plus profondément ancré dans les esprits que l’islam. On m’invite à plonger la première main dans la tasse, je décline et finit par céder à l’honneur qui m’est fait.
Ironie ultime, à l’instant, on m’apporte le plateau repas du CHU tandis que je revisite avec frénésie ma mémoire : « Alors, le petit Monsieur du 13, il va bien manger aujourd’hui ? ». Je ne suis pas certain qu’avoir accédé au statut de « le monsieur du 13 fenêtre » soit une promotion. Et l’usage de la troisième personne lorsqu’on s’adresse à moi n’est peut-être pas le signe d’une reconnaissance que j’aurais pu attendre. Pas facile de répondre à une interpellation de cette nature. Avec l’âge j’ai acquis une sorte de résignation face à la sottise extrême surtout lorsqu’elle n’est pas malveillante. Mes quelques soucis de santé complètent l’apprentissage, je pense à l’acronyme FPA que j’adapte en formation personnelle accélérée. Être « patient » polysémie qui prend tout son sens. J’ai tiré le rideau qui me donne un peu d’intimité. De l’autre côté mon voisin lape avec avidité une soupe fade. J’ouvre la barquette scellée, je reconnais l’odeur douçâtre du gaz qui protège les aliments, une « atmosphère contrôlée » bien improbable alors que plus rien n’est sous contrôle dans ma vie. Les paresthésies ont atteint ma langue mais les récepteurs olfactifs sont (encore ?) épargnés. Cordon bleu de dinde, épinard à la crème, polenta. Impressionnant. Hors la viande, ce pourrait être du tô à la sauce verte, celle que les femmes savent préparer à partir de feuilles cueillies en brousse lorsque les ressources viennent à manquer. Les toilettes accueillent une partie du repas. Je n’aurais pas à me justifier, les quelques kilos qui alourdissent ma silhouette sont bien suffisants pour que j’y trouve l’énergie de la lutte contre cette saloperie qui m’envahit et que les « savants » peinent à nommer.
En brousse, on mange vite, en silence. Le repas n’est pas une fête lorsque trop souvent il fait défaut ! Chacun saisit une portion de tô au bord du vaste monticule que nous partageons. Il la trempe dans la sauce vert brun qui est installée dans une petite cuvette creusée au sommet de la pyramide de pâte. D’un geste habile en tournant le poignet on enrobe une « tartine », avec la sauce gluante à souhait à cause du gombo ou de poudre de feuilles de baobab si on est trop pauvre. Idéalement un fil de mucilage pourra aller de la tasse jusqu’à la bouche des convives les plus habiles.
J’apprendrai plus tard que l’étrange déformation des mains de beaucoup de ces hommes est due à la lèpre. On nomme cette atteinte « tendons en griffe de lion » et les phalanges manquantes ne sont pas le résultat de maladresses ! Plus tard une amie travaillant à l’institut Raoul Follereau m’expliquera tout. Et je continuerai à partager le repas de ces gens.
Avant-hier un des professeurs dissertait doctement sur mon « cas ». Il était accompagné de sa cohorte respectueuse d’étudiants : « On pourrait presque penser à la lèpre mais ça ne colle pas à cause de et de ... Notez tout de même de faire réaliser une sérologie. »
J’ai éclaté de rire et raconté brièvement l’anecdote. Je lui ai promis un succès d’estime si ...
Il a levé les yeux vers moi et m’a répondu : « Oui ! Ce serait la seconde fois que je fais un tel diagnostic, et sans doute le dernier avant ma fin de carrière. Sur un blanc j’entends ! »
Naturellement ... Dans le fond ce serait aussi pour moi une sorte de couronnement. J’ai tout de suite pensé au mot « ostracisme ». En plus, la lèpre ne se soigne pas si mal, même si le traitement est plus que long et contraignant.
On rejoint la place du village, les musiciens sont en place les jeunes gens ont allumé des feux de tige de mil afin d’éclairer l’aire de danse. On m’installe sur une natte à la meilleure place et commencent les danses, parfois collectives comme des rondes ou en rangées parallèles ou au contraire en solo. Tous savent exactement ce qu’il convient de faire sans avoir à se concerter.
Les balafons résonnent à la fois percussifs et vibrants. Il ne s’agit pas de ces petits instruments utilisés plus au sud ou par les griots pour accompagner leur flatteries ou le conte de la généalogie prestigieuse (forcément !) de quelque notable qui sera obligé de disperser des billets froissés et gluants de francs CFA. Ne pas le faire serait déchoir !
Le balafon villageois bamana est énorme il doit s’entendre de loin et savoir vibrer dans les graves profondes. Les calebasses qui servent de résonateur sont percées en des lieux précis, seuls les forgerons qui sont leurs facteurs connaissent ces secrets. Chaque orifice est recouvert d’une pellicule blanche et fibreuse qu’on recueille sur les parois des cases, ce sont les « nids » d’une araignée spécifique. Ces petites membranes servent de vibrateurs qui modulent le son et lui donne ce petit côté aigre que l’Afrique aime tant.
Durant une « permission » dominicale que m’accordent les médecins, et alors que je tente de débarrasser mes garages des sédiments de la vie, j’ai retrouvé un de ces balafons. Un étrange sentiment d’absolue nécessité m’a conduit à le commander à un facteur célèbre de Kolokani, à faire réaliser un très vaste emballage de protection afin de le rapporter en Europe. Quarante ans après je mesure combien les désirs de jeunesse peuvent être dérisoires. Ce balafon n’a jamais vécu. Il a traîné un peu triste dans la chambre d’une maison de campagne en rénovation éternelle pour finir un peu oublié dans un garage, posé à la verticale, ultime humiliation pour un tel instrument. Une chimère d’un quart de mètre cube, dans lequel j’ai cru pouvoir stocker des émotions. Que deviendra-t-il ?
Les djembé accompagnent la danse. Ils sont de taille variables et très souvent ornés de trois vastes « oreilles » ovoïdes en tôle de récupération qui se dressent vers le haut. Elles sont perforées sur la bordure afin d’accueillir une série d’anneaux qui vibrent et complètent le son d’un grésillement métallique. Parfois un joueur de talking drum (tamani) intervient. Il s’agit d’un petit fût en bois en forme de sablier. Les peaux qui obturent les orifices sont reliées par un réseau de liens en tendons de chèvre. On le tient sous le bras gauche pressé contre le torse et on le bat à l’aide d’une baguette recourbée. Le son est modulé par la pression exercée sur les liens qui tendent plus ou moins les peaux. Lorsque le joueur plaque le tambour contre son corps, le son est clair, aigu et il devient grave lorsqu’on relâche la pression. Les joueurs de tamani sont toujours un peu acteurs, ils surgissent au milieu du cercle réalisent pirouettes et mimiques grotesques, interpelant l’un ou l’autre dans leur solo. Si c’est possible, il est de bon ton de donner quelques billets ou piécettes à cette occasion. Parfois le griot lance en complément un solo vocal dans lequel il chante les louanges de son auditeur et bien maladroit serait celui qui ne le récompense pas, car sa verve peut vite devenir acide !
Le sablier élégant du fût monoxyle des tamani fait remonter quelques-uns de ces détails insignifiants qui sont les perles de notre mémoire. J’ai eu la chance d’avoir de grands professeurs durant mon enfance. L’un, au tout début des années soixante-dix et alors que j’étais encore collégien, m’initia à la programmation dans l’ancêtre du langage Fortran sur un « gros système » Honeywell-Bull (on a nommé cette étrange histoire « expérience des 58 lycées »). Un autre, génie pédagogique qui ne prononçait jamais un mot inapproprié pas plus qu’il ne se répétait, a su captiver mon attention au point de m’apprendre assez de mathématiques pour que je puisse intégrer l’ENS. Je regrette d’avoir oublié le nom de celle qui anima un « atelier 10 % » une de ces fantaisies que seule l’Éducation Nationale sait inventer afin de prétendre rétablir l’égalité de chances et compenser les « handicaps » sociaux ou cognitifs des uns ou des autres alors que ces dispositifs ne font que les renforcer. Elle nous fit fabriquer des « surfaces réglées » à l’aide de fils savamment tendus entre des plaques de contreplaqués percées et assemblées afin de réaliser des sorte de boîtes. Durant cette phase initiale, j’allais dire initiatique, elle nous contait les mathématiques tandis que nous tressions laborieusement les cordelettes. Et parfois, elle nous demandait de lever les yeux vers le tableau sur lesquels trônaient les mots « paraboloïdes hyperbolique », et tantôt elle y avait esquissé à la craie colorée et avec un talent qui m’éblouissait les coupes d’un volume complexe par des plans ou les équations des coniques qui en résultaient. Tout m’apparaissait naturel, limpide, si intégré dans le petit ordinaire des gestes de mes mains que le savoir cessait d’être intimidant. Nous étions mélangés tous niveaux confondus, j’étais élève de seconde. J’ai souvenir du fort sentiment de privilège d’être assis à côté d’une si belle fille de terminale. Lorsqu’elle me donnait quelques conseils et daignait poser les yeux sur moi j’aurais facilement pu tomber éperdument amoureux. La forme en sablier d’un tamani est un paraboloïde hyperbolique. Ces mots dont je mesure aujourd’hui la portée symbolique à travers leur étymologie prennent une saveur sucrée !
Les danses se poursuivent dans la lumière orangée et vacillante des feux. Les corps musclés luisent, ils sont beaux, avec des muscles bien détachés enserrés dans des peaux épaisses mais souples. Une vie de labeur et de privation ! Lorsque la danse devient frénétique la poussière se mêle à l’air pesant et plonge l’arène dans une sorte de brume ondulante. Et alors les adolescents frappent les braises pour faire s’élever des gerbes d’étincelles, les diables de la colline en sont honorés. Les musiciens redoublent d’ardeur, les yeux des enfants s’écarquillent et ils battent la mesure de tout leur corps, tapent dans les mains ou sur des instruments de percussion improvisés.
Les jeunes femmes rivalisent d’une sensualité brutale et provocante sans jamais être vulgaire tandis que les jeunes hommes montrent leur dextérité par des passes de gymnastes. On pousse parfois un homme plus âgé dans le cercle afin qu’il montre les beaux restes de l’énergie de sa jeunesse. En son temps, il a su séduire plus d’une belle par ses talents de danseur. On s’interpelle, rie, crie. Ou alors une femme plus que mure esquisse quelques pas, souvenir d’un temps qui est bien loin et qu’elle croit avoir été joyeux. Ses amies l’encouragent et l’entourent en brandissant des pagnes colorés comme pour faire un écrin à sa danse. Rien ne m’est épargné et je dois me ridiculiser, la foule hurle de rire devant mes pas moins qu’assurés.
La nuit avance les fagots de tige de mil sont épuisés il reste un peu de braise dans le feu. On sort les lampes à pétrole et quelques torches électriques, chacun regagne les cases. Je dormirai avec les adolescents, allongé sur une simple natte après m’être bobiné dans un grand pagne afin de me protéger des moustiques. Et puis aussi parce si on laisse son visage apparent, l’attention se relâchant durant le sommeil, un diable peut venir vous prendre.
Encore aujourd’hui je ne peux pas dormir sans m’entourer la tête d’un tissu laissant seulement le nez émerger. Les enfants et M. s’en moquent beaucoup. Cette nuit, je tente en vain de trouver le sommeil aux côtés d’un voisin de chambre dont la respiration est trop hésitante à force d’atteintes neurologiques. Je chercherai la paix dans le refuge d’un drap sentant le désinfectant hospitalier. Je souffre beaucoup d’avoir à dormir dans la même chambre qu’un tiers sauf s’il s’agit d’un très proche. Le sommeil me rend vulnérable, un spectateur malveillant pourrait pénétrer l’intimité de mes rêves et y découvrir une intériorité que moi-même je ne connais pas. Je suis peu pudique voire exhibitionniste, mais pas au-delà de ce que je choisis de dévoiler, avec toute l’habileté qu’une vie de mensonges m’a enseignée. J’ai connu mon « premier Malien » à l’ENS. Je ne savais même pas situer ce pays sur une carte ! Kolimba m’expliqua avoir eu beaucoup de peine à trouver la paix dans une chambre de cité U à son arrivée en France. Il n’avait jamais dormi seul. Chaque soir, lui et ses amis maliens se retrouvaient dans la même chambre, étalaient quelques couvertures sur le sol et dormaient, pelotonnés les uns contre les autres, pour mieux lutter contre les douleurs du manque de famille, d’odeurs et couleurs du pays, de chaleur rassurante de la nuit africaine, des bruits familiers de la promiscuité réconfortante. J’ai mieux compris ses paroles après avoir passé tant de nuits dans l’inconfort apparent d’une case en brousse ou d’une cahute. Paradoxe des situations, il a pu m’arriver récemment de dormir sans gêne dans la froideur humide d’une yourte partagée avec une famille kirghize alors qu’il m’est insupportable de faire chambre commune avec un collègue de travail dans un hôtel confortable !
Les chiens braillent toute la nuit, il fait chaud, moite et la couche est dure. Alors que je trouve enfin le sommeil, les coqs débutent leurs exploits juste avant que ne commencent les chocs rythmés des pilons dans les mortiers des femmes qui préparent les céréales du matin. J’aime les regarder piler. Trois jeunes femmes s’installent autour du même mortier. Elles chantonnent ou plaisantent en synchronisant précisément leurs mouvements. De temps à autre l’une lance le pilon bien haut et, tandis qu’il est en l’air, frappe très fort dans ses mains afin d’apaiser la brulure du bois sur ses mains moites. À côté d’elles, une femme plus âgée pile à une cadence sans fougue. Elle porte un bébé serré contre son dos dans un pagne habillement noué. Sa tête ballote au rythme des mouvements de la mère. S’il proteste, par la fente latérale de son boubou, elle lui offre un sein si distendu qu’il peut passer sous le bras afin d’atteindre la bouche de l’enfant.
L’intimité manque au village. Lorsqu’on s’éveille chacun prend attention à ne pas vous adresser la parole avant que les brumes du sommeil ne se soient dissipées. Une bouilloire en plastique remplie d’eau est disposée à côté d’un petit rocher poli par l’usage à l’entrée de la case. Se laver le visage et la bouche est le signal conventionnel montrant qu’on est disposé à saluer.
On est moins délicat à l’hôpital ! Une infirmière surgit à l’improviste au milieu de mon pauvre sommeil, envoie les six mille lumens des néons bleutés : « Une petite prise de sang. On va vous appeler Monsieur Passoire à force ! Hihihi ». Elle est au mieux de sa forme, sent le café et le tabac qui l’aident à vivre déphasée puisqu’elle a choisi de « faire les nuits ». Longtemps, elle a justifié cette préférence par commodité. Mais dans le fond, elle a fini par aimer l’ambiance glauque des couloirs éclairés par des veilleuses colorées placées près du sol, les râles des malades qui trouvent le sommeil anéantis par l’obscurité ou par les somnifères puissant qu’on leur propose volontiers, le huis clos de la tisanerie dans lequel les paroles entre collègues sont mesurées et où s’installe une sorte d’intimité de soutiers à fond de cale.
De bon matin, on mange siri ou moni, l’indispensable bouillie salée composée de riz ou de petits grumeaux de mil. Elle est parfumée d’un peu de pâte d’arachide parfois de gingembre et toujours de dâ kumu, une plante très acide proche de l’oseille. On mange avec une cuillère faite de la moitié d’une « courge à manche » évidée nommée galama. Si on était en ville et un peu aisé, on me donnerait une tête de mouton cuite en bouillon avec du concentré de tomate, du cube maggi et du piment. Je tremperais dans la sauce les ngomi, ces petites galettes de pâte de mil aigre à force d’avoir fermenté, cuites dans le beurre de karité odorant.
Passé le petit déjeuner je « demande la route », on m’emmène chez le Vieux s’il est réveillé. Mon hôte intercède en mon nom auprès de lui afin qu’il m’autorise à prendre congé et il transmet mes remerciements. Le chef de village dit quelques mots et fait part de la satisfaction occasionnée par ma visite. Je m’incline vers lui. Les yeux baissés, je lui offre ma main droite tandis que ma main gauche a saisi mon coude afin de bien montrer tout le respect qui lui est dû.
Il me suffit de dire « Ne be ta sisan » : J’y vais maintenant.
Il me répond « Kamoufô » : Qu’ils soient salués.
Je clos avec « Ou na me » : ils l’entendront.
Je redescends dans la vallée avec quelques jeunes hommes qui m’accompagnent. Pour le plaisir de faire un tour dans la benne du pickup et de boire un Fanta glacé à la maison il leur faudra marcher de longues heures sous le soleil terrible de la mi-journée avant de regagner leur colline.
D’autre fois, un samedi, je convoque la troupe des musiciens et les meilleurs danseurs du village. Ils arrivent à pied, en charrette ou à vélo portant les énormes balafons et les tamtams. J’ai loué des bancs, ceux qui servent aussi pour les obsèques ou les mariages, et notre gardien les a disposés dans la rue devant la maison. Tout le quartier est prévenu qu’il y aura fête ce soir.
Notre boy a préparé de grands plats de zame, du riz au gras bien pimenté avec de la viande de mouton et des aubergines amères. Ils en mangent des quantités impressionnantes, se noient dans les sodas sucrés. Lorsque la nuit est tombée on éclaire des ampoules jaunes et vacillantes sous les chutes de tension et qui sont disposées sur des perches au-dessus de la rue. Déjà les gosses trainent devant notre porte. Les jeunes filles du quartier ont choisi leur plus beau pagne et ont passé l’après-midi à se tresser avec des mèches synthétiques bien noires et brillantes. Elles rivalisent de dextérité afin d’imiter les coiffures à la mode qu’elles voient au marché sur les femmes riches. Le pays n’a pas encore la télé, quant aux journaux de mode provenant souvent d’Abidjan, ils sont rares et souvent plus que datés. C’est en ville qu’on trouve ses modèles ! Les garçons on fait laver par leur mère un jogging provenant des fripes un peu voyant, coloré et satiné espérant séduire quelque beauté.
Au premier son du balafon tous accourent en criant et en riant dans la poussière de latérite.
Le cercle se forme, les plus habiles trouvent une place sur les bancs. Les autres se bousculent autour. Il s’en trouve toujours un qui, muni d’un morceau de corde simulant la chicote (ce petit fouet colonial) tient les enfants en respect en mimant la plus grande férocité. Les mioches ravis hurlent s’enfuient pour revenir dans les secondes qui suivent. Les « gens de la ville » sont tout à leur joie d’être plongés dans une atmosphère qu’ils croient avoir oubliée mais qui est toute proche dans leur mémoire. Et volontiers une voisine rejoindra la danse sous les vivats de ses copines. Pas de nostalgie en Afrique, l’instant présent est trop précieux pour qu’on le gâche par des simagrées de riche ! Et alors, pour une soirée, les gawake accèdent à un statut nouveau ! Souvent plus de cent spectateurs les accompagnent de leurs claquements de main et de leurs cris de joie. Lorsqu’on est fatigué, j’éteins les ampoules électriques et chacun se disperse dans la mauvaise lueur des lampes à pétrole des vendeurs de rue. Je suis leur toubab.
Le gardien a étalé des nattes dans notre cour sous les manguiers. On s’y installe. On mange encore un peu, des brochettes, et des frou frou. C’est une spécialité de mon « carré » c’est-à-dire de la zone d’habitat enserrée entre quatre rues « principales » en latérite. À tel point que mon adresse est : maison du Capitaine Bada – Froufrou carré – Lafiabougou – Bamako. Je certifie qu’on peut aisément retrouver le lieu à partir de ce seul indice.
Les habitants du carré, les vieux surtout (forcément !) se souviennent surement de nous. Ils en parlent encore à l’occasion dans les grins, ces groupes de réunion quotidien d’une bande copain autour du thé. Que sont devenus les jeunes hommes qui ont partagé notre rue dans l’épouvante du Mali d’aujourd’hui ? On a tant de bonnes raisons de mourir prématurément en Afrique. Et lesquels ont survécu au sida qui pointait son museau dans ces années-là et dont personne ne se méfiait. Après notre retour en Europe, rares les années où n’apprenions pas le décès de l’un ou l’autre des joyeux drilles de nos connaissances, morts pour avoir trop aimé la compagnie intime des beautés noires.
Après l’agitation de la fête, j’ai convié Tyekorobani (intraduisible mais très drôle « le jeune homme vieux grand et petit ») un adolescent du quartier à nous faire du thé, c’est mon expert préféré. La cérémonie dure plusieurs heures et nous boirons trois fois quelques centimètres de thé à la menthe trop sucré dans un verre empli de mousse. Le premier est acre et sombre, les suivants s’allègent progressivement. La cour sent bon la petite fumée des charbons de bois mal consumés et celle du caramel lorsque quelques gouttes de thé sucré se répandent sur le fourneau. Les chanteurs et les danseurs entrent dans de grands palabres auxquels je ne comprends rien. Ils sont passés dans le registre soutenu de la langue celui qu’il faut une vie pour maîtriser tant il est imagé et métaphorique. Notre vieux gardien s’est joint à eux et tous rient tandis qu’un énorme radio cassette passe la musique de Salif Keita ou de Mori Kanté qui sont encore des inconnus en Europe.
Je suis bien.
La nuit avance, enveloppés dans des couvertures, tous s’endorment.
Lorsque le matin arrive ils se gavent de quantités improbables de nescafé (très peu, c’est considéré comme une drogue forte !) avec trop de lait concentré sucré et trop de sucre, accompagné de pain abondamment tartiné de margarine. De la baguette, la vraie, le luxe ultime. Les Libanais de Bamako les fabriquent craquantes et insipides avec la farine charançonnée dont l’Europe se débarrasse à titre humanitaire ou celle des plaines de l’Ukraine post Tchernobyl.
Ils quittent la maison riant, causant, véhéments de leur joie ! Au village, ils pourront parler plusieurs jours durant de la maison du blanc, de ces festins somptueux, des filles si belles de la ville, et de leur aventure extraordinaire. Bien rare que de tels exploits ne soient des armes de séduction définitives !
Un soir de 1987, le domestique d’un vieux blanc de Bamako vient me trouver.
Son patron C. habite de l’autre côté du fleuve dans le quartier de Badala Bougou (le village à côté de la porte du fleuve), la zone résidentielle des riches européens. Je le connais, il me respecte et dans une certaine mesure moi aussi, c’est une sorte de chef de clan. Car à cette époque les blancs vivent en meute, sous l’autorité d’un mâle dominant. On se reçoit, on boit beaucoup d’alcool, on organise des soirées, etc. On dit du mal des uns et des autres, trompe un peu son conjoint, s’ennuie beaucoup mais à plusieurs. Le but de chaque coterie est de croître et de recruter de nouveaux membres. D’ailleurs en septembre lorsque les nouveaux venus sont installés au Sofitel en attente d’un logement ils sont courtisés par des rabatteurs.
C. a la cinquantaine dépassée et a fait toute sa carrière d’enseignant à l’étranger. Les salaires sont plus que confortables et la vie modique. « Coopérants » un mot si étrange, qui a même son ministère ! Presque tous sont arrivés là afin d’échapper au service militaire puis, séduits par l’argent facile ou par une vénus exotique, sont restés à l’étranger. La prime d’expatriation double le salaire et les avantages sont nombreux. À force d’aisance matérielle beaucoup finissent par croire à la légitimité de leur statut : si on me paie tant, c’est que je le vaux bien. Je suis aussi un coopérant mais j’ai quelques doutes quant à la finalité de ma « mission ».
C. est ce qu’on nomme un « vieux blanc ». Il se fait servir par des domestiques en gants blancs mais il ne les bats jamais même lorsqu’ils cassent un peu de vaisselle. C’est un « patron ». Il est un grand chasseur et un traqueur d’éléphants de savane. Chaque année en saison froide et sèche il organise un safari dans le Gourma pour les happy few qu’il choisit. Ils partent en grande bande en 4x4 et en 504 pickup avec boys et cuisiniers, une quantité importante de victuailles et d’alcool courir la savane de l’est près de la frontière Burkinabé. Les outardes, les phacochères ou les gazelles agrémentent l’ordinaire et des pisteurs locaux aident à trouver les mythiques troupeaux d’éléphants, ces colosses malveillants. Durant les épouvantables sécheresses de cette époque, l’un d’eux est tombé dans un puit de plus de cent mètres. Il n’a pas été possible d’en sortir la carcasse, le puit a été durablement pollué, les Peuhls ont dû abandonner plus de dix mille hectares de pâture.
Par la suite C. qui a la vertu d’être un vrai chef et possède un réel talent d’organisateur importera un ULM pour survoler les troupeaux afin de répertorier leur migrations. Il sera même financé par la Mission Française pour le faire. Alors que nous ne nous fréquentons pas, il m’emmènera voler au-dessus du fleuve quelques fois. Je crois qu’il aime bien ma folie. Il croit avoir perçu mon potentiel de vieux blanc qui finira par se ranger. L’avenir lui a donné tort !
Or C. est une des seules personnes à disposer d’un téléphone dans la ville. Et il m’a autorisé à l’utiliser pour me faire appeler en cas d’urgence. Un élément de prestige en plus ...
Voilà donc son domestique qui arrive chez nous à l’autre bout de la ville dans notre maison près des collines et me fait savoir que je dois téléphoner à ma famille en France. Je me rends chez C. je suis persuadé que ma mère a eu un gros problème de santé, elle souffre d’une maladie pulmonaire, ou qu’elle est passée à l’acte par inadvertance. Ses chantages au suicide sont récurrents et une maladresse survient vite, il peut arriver de ne pas se rater !
Elle a aujourd’hui 93 ans, presque bon pied, bon œil, mauvaise comme jamais. Je n’ai pas eu à lui « pardonner ». Au fil du temps s’est installée une sorte d’indifférence aux sévices de mon enfance, au climat de violence extrême dans lequel il m’a fallu tenter de grandir. Et puis on dénigre injustement les parents maltraitants alors qu’ils apprennent seulement à leurs enfants à mieux gérer la douleur physique ... Au final, ça m’est très utile en ce moment.
C. me détrompe, mon père est tombé dans l’escalier, il est au plus mal. Quelques mois auparavant j’ai emmené cet ouvrier immigré italien modeste et peu ambitieux traverser le Sahara dans un Patrol hors d’âge par des pistes improbables. Nos aventures ont été à la hauteur de ce que fut la banalité de sa vie : bref emprisonnement en Algérie pour trafic de devise – panne dans le désert – randonnées avec les Touaregs dans le Tassili n’Ajjer et le Hoggar – diagonale Tamanrasset-Bordj Moktar que nous ne verrons jamais, arrivant à ma plus grande surprise à Tessalit première « ville » malienne sans avoir jamais vu la frontière – tonneaux sur une petite piste perdue de l’Adrar des Ifoghas – etc.
Après quelques heures d’attente et beaucoup de whisky je peux enfin joindre la France par téléphone et j’apprends qu’il est à l’hôpital proche de l’agonie. Le lendemain je prends un vol pour Paris et rejoins ma famille. Mon père décède quelques jours après mon arrivée à l’âge de 65 ans.
Il occupait une chambre du pavillon dans lequel je suis hospitalisé mais de l’autre côté du couloir.
Je vois le Vercors depuis la fenêtre, il voyait le Grésivaudan.
Dernière édition par Confiteor le Sam 18 Mai 2019 - 15:52, édité 2 fois (Raison : Notables ajouts, en particulier dans les zones en italique, passé et présent sont plus équilibrés)
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Re: Service 9679
Amusante, la vie.
Encore.
Encore !
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Charv- Messages : 2388
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Stegos- Messages : 4567
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Re: Service 9679
je viens de comprendre Confit' pourquoi j'aime tellement te lire......
une petite chose de la vie que nous avons en commun..
et le même dégoût des bobos verbeux qui critiquent et soupèsent, de loin toujours de loin, des choses dont ils ignorent tout.....
j'adore te lire en tous cas.
bises !!!
une petite chose de la vie que nous avons en commun..
et le même dégoût des bobos verbeux qui critiquent et soupèsent, de loin toujours de loin, des choses dont ils ignorent tout.....
j'adore te lire en tous cas.
bises !!!
L_easy_life- Messages : 184
Date d'inscription : 29/04/2013
Age : 35
Localisation : in a crossfire hurricane but it's all right
Re: Service 9679
rien à voir mais ton petit passage sur le rituel des salutations me fait me demander si il peut y avoir des autistes asperger dans les bleds ruraux africains ?
est ce que ces rituels sont appris clairement aux mômes ? ou est ce que, comme ici, il faut supputer deviner déduire et piger d'instinct ce qui se joue ?
la question est pertinente, je trouve ! ici, t'es vachement livré à toi même socialement parlant, identitairement parlant. tu peux choisir ton sexe (transitions de genres), ton statut social (en allant étudier à une école post-bac plus élevée dans le rang social que là où ont étudié tes parents), tu peux choisir ton "âge" (en te sappant rajeuni fréquentant des gens plus jeunes que toi, ou bien jouant la barbe le coté très sérieux choisir de devenir père/mère très jeune)
tu es totalement libre. d'où le fait que si t'es moyennement doué pour piger les conventions sociales, tu peux vite être largué au point que ca soit handicapant.
mais si tes attributs sociaux sont prédéfinis depuis tes arrière arrière grands parents, c'est très simple d'interagir ! et (j'imagine) de te fondre dans ce qu'on attend de toi socialement.
d'où ma question, quid de l'autisme asperger dans les coins ruraux d'afrique ? (c'est vraiment ton extrait sur les rituels qui m'a démangé l'esprit)
est ce que ces rituels sont appris clairement aux mômes ? ou est ce que, comme ici, il faut supputer deviner déduire et piger d'instinct ce qui se joue ?
la question est pertinente, je trouve ! ici, t'es vachement livré à toi même socialement parlant, identitairement parlant. tu peux choisir ton sexe (transitions de genres), ton statut social (en allant étudier à une école post-bac plus élevée dans le rang social que là où ont étudié tes parents), tu peux choisir ton "âge" (en te sappant rajeuni fréquentant des gens plus jeunes que toi, ou bien jouant la barbe le coté très sérieux choisir de devenir père/mère très jeune)
tu es totalement libre. d'où le fait que si t'es moyennement doué pour piger les conventions sociales, tu peux vite être largué au point que ca soit handicapant.
mais si tes attributs sociaux sont prédéfinis depuis tes arrière arrière grands parents, c'est très simple d'interagir ! et (j'imagine) de te fondre dans ce qu'on attend de toi socialement.
d'où ma question, quid de l'autisme asperger dans les coins ruraux d'afrique ? (c'est vraiment ton extrait sur les rituels qui m'a démangé l'esprit)
L_easy_life- Messages : 184
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