Une histoire sans fin

Je suis un livre. Parce que j'aime les histoires et que j'ai depuis longtemps une envie d'écrire latente.
Je suis un livre. Une encyclopédie pour les nuls, un album photo défraîchi, un roman à l'eau de rose pour adolescentes.
Je suis un livre. Parce qu'à la différence du film où le décor et l'action vous sont imposés, je vis dans l'imaginaire.
Je suis un livre. Pour me comprendre et me connaître, il faut du temps et une calme atmosphère.
Je suis un livre. Parce que je suis attaché aux détails, à la beauté et au respect de la langue.
Je suis un livre. Ça me prend aux tripes, c'est comme un bateau qui tangue.


Comme tous mes semblables il fut un temps où j'étais immaculé.
Ma couverture rutilante et mystérieuse attirait.
Mais à force d'être lu, par la faute de personnes peu scrupuleuses, je commençai à devenir tout écorné.

Je pris alors peur d'être définitivement amoché.
Aussi, afin de préserver les précieuses écritures, je me retirai dans un lieu secret.
Et seule une poignée de personnes en reçut la clé.

Le sort en décida autrement et je n'échappai finalement pas à ma destinée.
Par une journée brumeuse de février, l'éternel décida de sévir.
Piégé par ma condition de livre, je fus dans l'incapacité de m'enfuir.
C'était écrit, ce jour devait être le dernier.

Me voilà tout brûlé; par chance je n'ai pas été complètement calciné.
Les lettres qui ornaient le vélin ont disparu, l'encre consumé par la chaleur.
Certaines pages sont déchirées, d'autres sont manquantes et la plupart sont froissées.
Il faudra du temps pour réécrire l'histoire, d'innombrables heures.

Pendant deux années qui me parurent interminables rien ne vint.
Bien que meurtries mes pages guérirent peu à peu.
Mais les mots ne reparurent pas eux.
Aucun nouveau, aucun ancien, pas un.

Le néant.
A l'heure où je vous parle plus personne ne songe à me consulter.
Je le comprends.
Qui s'intéresserait à un livre bourré de pages blanches et rafistolé.

Vélin et encre de Chine par le passé,
désormais papier de brouillon et crayon de papier.

Oh cruel graphite !
Dès qu'on me manipule tu pars.
Comme tu m'irrites !
Moi qui rêvais d'être phénix j'ai chu comme Icare.

Prométhée, Sisyphe, les Danaïdes, chacun leur châtiment.
Et moi le mien, condamné à me réécrire perpétuellement.


Je suis un livre.
Je suis un livre.
Je suis un livre.
...
Je n'ai plus la force. Je n'en puis plus.
...
Je suis un livre.
Je suis un livre.
Je suis un livre.
...
Je renonce, mon âme est perdue.
...
Je suis un livre.
Je suis un livre.
Je suis un livre.
...
Livre j'étais.
...
Je suis un livre.
Je suis un livre.
Je suis un livre.
...
Brouillon je suis désormais.

Bienvenue !