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Message par ♚ Strigide ♚ Mar 19 Juil 2016 - 11:22

A toi qui est si humble que tu n'exposes pas -toutes- tes répliques d'humour Zatesque sur ta présentation (alors qu'il y aurait de quoi se la péter !), Zat, je te salue. Smile

♚ Strigide ♚

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Message par Zat Cnidaire Barnum Mar 19 Juil 2016 - 22:02

♚ Strigide ♚ a écrit:A toi qui est si humble que tu n'exposes pas -toutes- tes répliques d'humour Zatesque sur ta présentation (alors qu'il y aurait de quoi se la péter !), Zat, je te salue. Smile


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Message par Zat Cnidaire Barnum Sam 23 Juil 2016 - 15:03


Je suis donc de plus en plus tenté de me débarrasser de mon python qui écarte de moi les valeurs féminines authentiques et permanentes, en vue de vie à deux. Mais cette décision à prendre devient chaque jour plus difficile, car plus je suis anxieux et malheureux, et plus je sens qu'il a besoin de moi. Il le comprend et s'enroule autour de moi de toute sa longueur et de son mieux, mais parfois il me semble qu'il n'y en a pas assez et je voudrais encore des mètres et des mètres. C'est la tendresse qui fait ça, elle creuse, elle se fait de la place à l'intérieur mais elle n'est pas là, alors ça pose des problèmes d'interrogations et de pourquoi. Ce qui fait que ça s'enroule et ça s'enroule et il y a des jours que Gros-Câlin fait tant de noeuds qu'il n'arrive plus à se libérer de lui-même et ça donne des idées de suicide, à cause de l'oeuf de Colomb et du noeud gordien. Pour illustrer l'exemple, même une bonne paire de chaussures sous tous rapports a ce problème, lorsqu'on tire sur un bout du lacet et ça fait seulement un noeud de plus. La vie est pleine d'exemples, on est servi. Par exemple, justement, une délicatesse élémentaire m'empêche de m'approcher de Melle Dreyfus en roulant un peu les épaules en enfonçant ma chemises sous la ceinture du pantalon avec naturel et lui proposer de sortir, comme ça, droit dans les yeux, un vrai mec qui prend des risques et tire sur le bout du lacet sans savoir ce que ça donnera et si ça fera peut-être seulement un noeud de plus. Je pose donc qu'une délicatesse élémentaire m'empêche de faire des avances directes sans détour à Melle Dreyfus, car elle serait blessée dans son sentiment d'égalité, elle croirait que je suis raciste et que je me permets de lui proposer un bout de chemin parce qu'elle est une Noire et que donc "on peut y aller, on est entre égaux" et que j'exploite ainsi notre infériorité et nos origines communes.

[...]

D'ailleurs, mon problème principal n'est pas tellement mon chez-moi mais mon chez-les-autres. La rue. Ainsi qu'on l'a remarqué sans cesse dans ce texte, il y a dix millions d'usagés dans la région parisienne et on les sent bien, qui ne sont pas là, mais moi, j'ai parfois l'impression qu'ils sont cent millions qui ne sont pas là, et c'est l'angoisse, une telle quantité d'absence. J'en attrape des sueurs d'inexistence mais mon médecin me dit que ce n'est rien, la peur du vide, ça fait partie des grands nombres, c'est pour ça qu'on cherche à y habituer les petits, c'est les maths modernes.

[...]

J'ai renoncé également à faire parler Gros-Câlin d'une voix humaine pour ne pas le démystifier. Le truquage, il y en a marre. J'ai parfois l'impression que l'on vit dans un film doublé et que tout le monde remue les lèvres mais ça ne correspond pas aux paroles. On est tous post-synchronisés et parfois c'est très bien fait, on croit que c'est naturel.

[...]

Je ne sais quelle forme prendra la fin de l'impossible, mais je vous assure que dans notre état actuel avec ordre des choses, ça manque de caresses. Les savants soviétiques croient d'ailleurs que l'humanité existe et qu'elle nous envoie des messages radios à travers le cosmos.

[...]

Il ne nous restait que deux étages pour tout nous dire et je me taisais avec tout le don d'expression dont je suis capable. Je porte d'habitude des lunettes noires de cinéaste, pour me donner du poids, comme si j'étais quelqu'un qui risquait d'être reconnu, mais je ne les avais pas mises ce jour-là, car je me sentais d'humeur "que le diable m'emporte", assez mousquetaire. Je pus donc m'exprimer tout mon saoul, grâce à mon regard qui était tout nu, je disais tout à Irénée, je crois même que mon regard chantait, avec orchestre et virtuose. De ma vie je n'ai été aussi heureux dans un ascenseur.

[...]

- Nous allons vous laisser, dit Lamberjac.
Les deux autres aussi. Bien sûr, ils se marraient sans le montrer mais cela se sentait à la façon dont j'avais mal.

[...]

- C'est la faiblesse qui s'éveille !
Je n'avais même pas honte de mes larmes, à cause de la rosée de l'aube. Seulement je n'avais plus assez de gorge pour les avaler, car j'avalais depuis que j'avais gorge.
J'ai eu alors le mot de la fin.
- A bas l'existoir ! murmurai-je et le murmure c'est peut-être ce qu'il y a de plus fort.
Ils s'étaient tus. Il y avait un tel silence que l'on entendait presque quelque part ailleurs quelqu'un d'autre qui disait autre chose.

Romain Gary, Gros-Câlin.


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Message par Zat Cnidaire Barnum Sam 23 Juil 2016 - 18:12

[...]Il s'agit de replacer les techniques punitives — qu'elles s'emparent du corps dans le rituel des supplices ou qu'elles s'adressent à l'âme — dans l'histoire de ce corps politique. Prendre les pratiques pénales moins comme une conséquence des théories juridiques que comme un chapitre de l'anatomie politique.
Kantorowitz a donné autrefois du « corps du roi » une analyse remarquable : corps double selon la théologie juridique formée au Moyen Age, puisqu'il comporte outre l'élément transitoire qui naît et meurt, un autre qui, lui, demeure à travers le temps et se maintient comme le support physique et pourtant intangible du royaume ; autour de cette dualité, qui fut, à l'origine, proche du modèle christologique, s'organisent une iconographie, une théorie politique de la monarchie, des mécanismes juridiques distinguant et liant à la fois la personne du roi et les exigences de la Couronne, et tout un rituel qui trouve dans le couronnement, les funérailles, les cérémonies de soumission, ses temps les plus forts. A l'autre pôle on pourrait imaginer de placer le corps du condamné; il a lui aussi son statut juridique; il suscite son cérémonial et il appelle tout un discours théorique, non point pour fonder le « plus de pouvoir » qui affectait la personne du souverain, mais pour coder le « moins de pouvoir » dont sont marques ceux qu'on soumet à une punition. Dans la région la plus sombre du champ politique, le condamné dessine la figure symétrique et inversée du roi. Il faudrait analyser ce qu'on pourrait appeler en hommage à Kantorowitz le « moindre corps du condamné ».

Si le supplément de pouvoir du côté du roi provoque le dédoublement de son corps, le pouvoir excédentaire qui s'exerce sur le corps soumis du condamné n'a-t-il pas suscité un autre type de dédoublement? Celui d'un incorporel, d'une « âme » comme disait Mably. L'histoire de cette « microphysique » du pouvoir punitif serait alors une généalogie ou une pièce pour une généalogie de l'« âme » moderne. Plutôt que de voir en cette âme les restes réactivés d'une idéologie, on y reconnaîtrait plutôt le corrélatif actuel d'une certaine technologie du pouvoir sur le corps. Il ne faudrait pas dire que l'âme est une illusion, ou un effet idéologique. Mais bien qu'elle existe, qu'elle a une réalité, qu'elle est produite en permanence, autour, à la surface, à l'intérieur du corps par le fonctionnement d'un pouvoir qui s'exerce sur ceux qu'on punit — d'une façon plus générale sur ceux qu'on surveille, qu'on dresse et corrige, sur les fous, les enfants, les écoliers, les colonisés, sur ceux qu'on fixe à un appareil de production et qu'on contrôle tout au long de leur existence.
Réalité historique de cette âme, qui à la différence de l'âme représentée par la théologie chrétienne, ne naît pas fautive et punissable, mais naît plutôt de procédures de punition, de surveillance, de châtiment et de contrainte. Cette âme réelle, et incorporelle, n'est point substance; elle est l'élément où s'articulent les effets d'un certain type de pouvoir et la référence d'un savoir, l'engrenage par lequel les relations de pouvoir donnent lieu à un savoir possible, et le savoir reconduit et renforce les effets de pouvoir. Sur cette réalité-référence, on a bâti des concepts divers et on a découpé des domaines d'analyse : psyché, subjectivité, personnalité, conscience, etc.; sur elle on a édifié des techniques et des discours scientifiques; à partir d'elle, on a fait valoir les revendications morales de l'humanisme. Mais il ne faut pas s'y tromper : on n'a pas substitué à l'âme, illusion des théologiens» un homme réel, objet de savoir, de réflexion philosophique ou d'intervention technique. L'homme dont on nous parle et qu'on invite à libérer est déjà
en lui-même l'effet d'un assujettissement bien plus profond que lui. Une « âme » l'habite et le porte à l'existence, qui est elle-même une pièce dans la maîtrise que le pouvoir exerce sur le corps. L'âme, effet et instrument d'une anatomie politique ; l'âme, prison du corps.

*

Que les punitions en général et que la prison relèvent d'une technologie politique du corps, c'est peut-être moins l'histoire qui me l'a enseigné que le présent. Au cours de ces dernières années, des révoltes de prison se sont produites un peu partout dans le monde. Leurs objectifs, leurs mots d'ordre, leur déroulement avaient à coup sûr quelque chose de paradoxal. C'étaient des révoltes contre toute une misère physique qui date de plus d'un siècle : contre le froid, contre l'étouffement et l'entassement, contre des murs vétustes, contre la faim, contre les coups. Mais c'étaient aussi des révoltes contre les prisons modèles, contre les tranquillisants, contre l'isolement, contre le service médical ou éducatif. Révoltes dont les objectifs n'étaient que matériel ? Révoltes contradictoires, contre la déchéance, mais contre le confort, contre les gardiens, mais contre les psychiatres ? En fait c'était bien des corps et de choses matérielles qu'il était question dans tous ces mouvements, comme il en est question dans ces innombrables discours que la prison a produits depuis le début du XIXe siècle. Ce qui a porté ces discours et ces révoltes, ces souvenirs et ces invectives, ce sont bien ces petites, ces infimes matérialités. Libre à qui voudra de n'y voir que des revendications aveugles ou d'y soupçonner des stratégies étrangères. Il s'agissait bien d'une révolte, au niveau des corps, contre le corps même de la prison. Ce qui était en jeu, ce n'était pas le cadre trop fruste ou trop aseptique, trop rudimentaire ou trop perfectionné de la prison, c'était sa matérialité dans la mesure où elle est instrument et vecteur de pouvoir; c'était toute cette technologie du pouvoir sur le corps, que la technologie de l'« âme » — celle des éducateurs, des psychologues et des psychiatres — ne parvient ni à masquer ni à compenser, pour la bonne raison qu'elle n'en est qu'un des outils. C'est de cette prison, avec tous les investissements politiques du corps qu'elle rassemble dans son architecture fermée que je voudrais faire l'histoire.[...]"

Michel Foucault, Surveiller et punir
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Message par Fifrelin Sam 23 Juil 2016 - 19:21

Je te fais un gros câlin aussi.
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Message par Zat Cnidaire Barnum Dim 24 Juil 2016 - 20:57

Fifrelin a écrit:Je te fais un gros câlin aussi.


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Message par Zat Cnidaire Barnum Dim 24 Juil 2016 - 21:10

Puisqu'on y est :


- Je ne recommencerai plus.
Je me calmai un peu. Nous étions assis sur le remblai tous les deux, les bras sur les genoux, regardant de l'autre côté. Il y avait une chèvre attachée à un arbre, un mimosa. Le mimosa était en fleurs, le ciel était très bleu, et le soleil faisait de son mieux. Je pensai soudain que le monde donnait bien le change. C'est ma première pensée d'adulte dont je me souvienne.

[...]

Vague et lancinant, tyrannique et informulé, un rêve étrange s’était mis à bouger en moi, un rêve sans visage, sans contenu, sans contour, le premier frémissement de cette aspiration à quelque possession totale dont l'humanité a nourri aussi bien ses plus grands crimes que ses musées, ses poèmes et ses empires, et dont la source est peut-être dans nos gènes comme un souvenir et une nostalgie biologique que l’éphémère conserve de la coulée éternelle du temps et de la vie dont il s’est détaché. Ce fut ainsi que je fis connaissance avec l’absolu, dont je garderai sans doute jusqu’au bout, à l’âme, la morsure profonde, comme une absence de quelqu'un.

[…]

Je mentirais aussi si je n'avouais pas que, malgré mes quatorze ans, je croyais encore un peu au merveilleux. Je croyais à la baguette magique et, en me risquant sur le court, je n'étais pas du tout sûr que quelque force entièrement juste et indulgente n'allait pas intervenir en notre faveur, qu'une main toute-puissante et invisible n'allait pas guider ma raquette et que les balles n'allaient pas obéir à son ordre mystérieux. Ce ne fut pas le cas. Je suis obligé de reconnaître que cette défaillance du miracle a laissé en moi une marque profonde, au point que j'en viens parfois à me demander si l'histoire du Chat botté n'a pas été inventée de toutes pièces, et si les souris venaient vraiment, la nuit, coudre les boutons sur le surtout du tailleur de Gloucester. Bref, à quarante-quatre ans, je commence à me poser certaines questions. Mais j'ai beaucoup vécu et il ne faut pas prêter trop d'attention à mes défaillances passagères.

[...]

Généralement, ma mère emportait avec elle, discrètement dissimulés au fond de son sac, du pain noir et des concombres salés, notre gourmandise préférée. On pouvait donc voir, à cette époque, vers neuf heures du soir, contemplant la foule de flâneurs, sur la Promenade des Anglais, une dame distinguée aux cheveux blancs et un adolescent en blazer bleu, assis discrètement le dos contre la balustrade, en train de savourer des concombres salés à la russe avec du pain noir, sur une feuille de papier journal posée sur leurs genoux. C'était très bon. Ce n'était pas suffisant. Mariette avait éveillé en moi une faim qu'aucun concombre au monde, même le plus salé, ne pouvait plus apaiser. Mariette nous avait quittés il y avait déjà deux ans, mais son souvenir continuait à couler dans mon sang et à me tenir éveillé la nuit. J'ai conservé jusqu'à ce jour, pour cette bonne Française qui m'avait ouvert la porte d'un monde meilleur, une gratitude profonde. Trente ans se sont écoulés, mais je peux dire, avec plus de vérité que les Bourbons, que depuis, je n'ai rien appris, ni rien oublié. Que sa vieillesse soit heureuse et paisible, et qu'elle sache qu'elle avait vraiment fait pour le mieux avec ce que le bon Dieu lui avait donné. Je sens que je vais m'attendrir si je continue plus longtemps sur ce sujet, alors, je m'arrête.

Mais il y avait donc un bon moment que Mariette n'était plus là pour me tendre la main et me secourir. Mon sang s'indignait dans mes veines et frappait à la porte avec une véhémence, une insistance, que les trois kilomètres, que je parcourais à la nage, chaque matin, ne parvenaient pas à calmer. Assis à côté de ma mère sur la Promenade des Anglais, je guettais toutes les merveilleuses porteuses de pain qui défilaient devant moi, je soupirais profondément, et je restais là, désemparé, mon concombre à la main.


Romain Gary, La promesse de l'aube.


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Message par Zat Cnidaire Barnum Dim 24 Juil 2016 - 21:11


C'est l'éblouissement. Si subtile est l'irradiation qui m'enveloppe soudain, et si étendue, qu'elle touche presque à l'infini. Mais là n'est pas la chose extraordinaire. C'est le silence, un lac c'est de l'eau silencieuse.
De l'eau silence, étonnement devant l'incrédible et tout ce qui se répand à travers le mutisme de l'espace liquide, séparé à peine du ciel par une ceinture de brume, elle-même à peine moins bleue que l'air. Sensation de se porter au plus près de soi, aventure qui vous chercher autant que vous la cherchez. Et puis surgie, - d'où ? une brise plie les plus hautes branches, dégage un peu plus l'horizon. S'exaltant, l'atmosphère crépite alors d'étincelles de liberté, de bravoure.

[...]

Seuls les grands arbres rêvent tout haut, la fournaise gelée du crépuscule au-dessus d'eux, la mer en-dessous, jamais assez proche, l'engoulevent - un cri pour toute une solitude - quelque part. Tout est là, mais le monde rentre en soit.

[...]

Ça fait du bien là où on se sent bien, et ça fait encore plus mal dans le reste, dans ce qui peut avoir mal. On ne sait comment faire avec un chant aussi beau, déchirant à force d'être beau, et aussi tranquillement désolé. Et il importe peu qu'il ne soit pas connu de vous, la nostalgie dont il est traversé, gonflé, vous le rend aussitôt familier et vous parle votre langue. Qui part ne peut plus remettre ses pas dans ses pas. Nostalgie, douce, cruelle, il joue le Musicien, il est une heure, puis il est deux heures, l'air devient si pur à l'entour, il vous laisse une telle sensation de froidure quand il vous descend dans les poumons, qu'on pourrait croire que personne ne l'a respiré jusque-là. On le retient en soi, on ne se résigne pas à s'en séparer. Le jour se lève. Il se lève alors que la nuit ne s'est pas couchée encore. Sur les plus grands arbres des pointes de feu allumées par le soleil flambent et le chant continue, heureux et passionné, les oiseaux l'accompagnent, il fait de plus en plus jour et le chant gagne en légèreté, filaments de soie sur lesquels danse déjà le rêve ensoleillé du jour, trame où s'entretissent encore : murmure de la brise, bougonnement de l'océan, ruisselis des feuilles, - et toujours ces bruits de la vie qui se frotte les yeux.

Mohammed Dib, Les terrasses d'Orsol.


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Message par Carla de Miltraize VI Lun 25 Juil 2016 - 13:14


Coucou

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Message par Zat Cnidaire Barnum Lun 25 Juil 2016 - 17:29


Ce n'était pas la vanité qui l'attirait vers le miroir, mais l'étonnement d'y découvrir son moi. Elle oubliait qu'elle avait devant les yeux le tableau de bord des mécanismes physiques. Elle croyait voir son âme qui se révélait à elle sous les traits de son visage. Elle oubliait que le nez est l'extrémité de l'amenée d'air aux poumons. Elle y voyait l'expression fidèle de sa nature.

Elle s'y contemplait longuement, et ce qui la contrariait parfois c'était de retrouver sur son visage les traits de maman. Alors, elle n'en mettait que plus d'obstination à se regarder et tendait sa volonté pour s'abstraire de la physionomie maternelle, en faire table rase et ne laisser subsister que ce qui était elle-même. Y parvenait-elle, c'était une minute enivrante : l'âme remontait à la surface du corps, pareille à l'équipage qui s'élance du ventre du navire, envahit le pont, agite les bras vers le ciel et chante.
Non seulement elle ressemblait physiquement à sa mère, mais j'ai parfois l'impression que sa vie n'a été qu'un prolongement de la vie de sa mère, un peu comme la course d'une boule de billard est le prolongement du geste exécuté par le bras d'un joueur.

Où et quand avait pris naissance ce geste qui allait plus tard devenir la vie de Tereza ?

[…]

Au bout de quelque temps, le plus triste des hommes mourut en prison, et maman, suivie de Tereza, partit avec l'escroc s'installer dans une petite ville au pied des montagnes. Le beau-père était employé de bureau, maman était vendeuse de magasin. Elle eut encore trois enfants. Puis, un jour qu'elle se regardait une fois de plus dans la glace, elle s'aperçut qu'elle était vieille et laide. Ayant constaté qu'elle avait tout perdu, elle chercha un coupable. Coupable, tout le monde l'était. Coupable son premier mari, viril et mal aimé, qui lui avait désobéi quand elle lui chuchotait à l'oreille de faire attention. Coupable son second mari, peu viril et bien aimé, qui l'avait entraînée loin de Prague dans une petite ville de province et courait après toutes les jupes, de sorte qu'elle n'en finissait pas d'être jalouse. Contre ses deux maris, elle était désarmée. Le seul être humain qui lui appartenait et ne pouvait lui échapper, l'otage qui pouvait payer pour tous les autres, c'était Tereza.

D'ailleurs, il était peut-être exact qu'elle était responsable du sort maternel. Elle : l'absurde rencontre d'un spermatozoïde du plus viril des hommes et d'un ovule de la belle des belles. En cette seconde fatidique nommée Tereza, maman avait commencé le marathon de sa vie gâchée.

Maman expliquait inlassablement à Tereza qu'être mère c'est tout sacrifier. Ses paroles étaient convaincantes parce qu'elles exprimaient l'expérience d'une femme qui avait tout perdu à cause de son enfant. Tereza écoutait et croyait que la plus haute valeur de la vie c'est la maternité, et que la maternité est un grand sacrifice. Si la maternité est le Sacrifice même, le destin d'une fille, c'est la Faute que rien ne pourra jamais racheter.
Bien entendu, Tereza ignorait l'épisode de la nuit où maman avait chuchoté à l'oreille du plus viril des hommes de faire attention. Elle se sentait coupable, mais c'était une culpabilité indéfinissable, comme le péché originel. Elle faisait tout pour l'expier. Maman l'ayant retirée du collège, elle travaillait comme serveuse depuis l'âge de quinze ans, et, tout ce qu'elle gagnait, elle le lui remettait. Elle était prête à tout pour mériter son amour. Elle prenait soin du ménage, s'occupait de ses frères et soeurs, passait tout le dimanche à gratter et laver. C'était dommage, car au lycée c'était la plus douée de sa classe. Elle voulait s'élever, mais pour elle, dans cette petite ville, où s'élever ? Elle faisait la lessive et un livre était posé près d'elle à côté de la baignoire. Elle tournait les pages et le livre était mouillé de gouttes d'eau.

A la maison, la pudeur n'existait pas. Maman allait et venait dans l'appartement en sous-vêtements, parfois sans soutien-gorge, parfois même, les jours d'été, toute nue. Son beau-père ne se promenait pas tout nu, mais il attendait toujours que Tereza fût dans la baignoire pour entrer dans la salle de bains. Un jour qu'elle s'y était enfermée à clé, maman fit une scène : « Pour qui te prends-tu ? Qu'est-ce que tu te crois ? Il ne va pas te la manger, ta beauté ! »

(Cette situation montre on ne peut plus clairement que la haine de la mère pour la fille était plus forte que la jalousie que lui inspirait son mari. La faute de la fille était immense, même les infidélités du mari y étaient contenues. Que son mari lorgne Tereza, maman pouvait encore l'admettre, mais pas que sa fille veuille s'émanciper et ose revendiquer des droits, ne serait-ce que le droit de s'enfermer à clé dans la salle de bains.)

Un jour d'hiver, maman se promenait nue dans une pièce avec la lumière allumée. Tereza courut baisser le store pour qu'on ne pût voir sa mère depuis l'immeuble d'en face. Elle l'entendit rire aux éclats derrière elle. Le lendemain, des amies rendirent visite à maman. Une voisine, une collègue du magasin, une institutrice du quartier et deux ou trois femmes qui se réunissaient régulièrement. Tereza vint passer un instant avec elles, accompagnée du fils d'une des dames, un garçon de seize ans. Maman en profita aussitôt pour raconter comment Tereza avait voulu protéger sa pudeur. Elle riait, et toutes les femmes s'esclaffaient. Puis, maman fit remarquer : « Tereza ne veut pas admettre qu'un corps humain, ça pisse et ça pète. » Tereza était écarlate, mais maman poursuivait : « Qu'y a-t-il de mal à ça ? » Et aussitôt, répondant elle-même à sa question, elle lâcha des pets sonores. Toutes les femmes riaient.
Maman se mouche bruyamment, donne aux gens des détails sur sa vie sexuelle, exhibe son dentier. Elle sait le dégager d'un coup de langue avec une surprenante agilité, laissant la mâchoire supérieure retomber sur les dents du bas dans un large sourire ; son visage donne soudain la chair de poule.

Son manège n'est qu'un geste brutal qui renie sa jeunesse et sa beauté. Au temps où les neuf soupirants s'agenouillaient en cercle autour d'elle, elle veillait avec un soin scrupuleux sur sa nudité. C'était à l'aune de sa pudeur qu'elle jaugeait le prix de son corps. Si elle est impudique à présent, elle l'est radicalement, avec son impudeur elle tire un trait solennel sur la vie et elle crie bien haut que la jeunesse et la beauté, qu'elle a surestimées, n'ont en fait aucune valeur.

Tereza me paraît être le prolongement de ce geste-là, de ce geste de sa mère rejetant au loin sa vie passée de jeune et belle femme.

(Et si Tereza elle-même a des allures nerveuses, si ses gestes manquent de gracieuse lenteur, il ne faut pas s'en étonner. Ce grand geste de sa mère, autodestructeur et violent, c'est elle, c'est Tereza.)
Maman réclame pour elle justice et veut que le coupable soit châtié. Elle insiste pour que sa fille reste avec elle dans le monde de l'impudeur où la jeunesse et la beauté n'ont aucun sens, où l'univers n'est qu'un gigantesque camp de concentration de corps identiques dont l'âme est invisible.

Maintenant, nous pouvons mieux comprendre le sens du vice caché de Tereza, de ses longues stations répétées devant le miroir. C'était un combat avec sa mère. C'était le désir de ne pas être un corps comme les autres corps, mais de voir sur la surface de son visage l'équipage de l'âme surgir du ventre du navire. Ce n'était pas facile parce que l'âme, triste, craintive, effarouchée, se cachait au fond des entrailles de Tereza et avait honte de se montrer.  


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Message par Zat Cnidaire Barnum Lun 25 Juil 2016 - 17:38

Carla de Miltraize III a écrit:

Coucou


Coucou !


Pour les retardataires, un résumé de ce fil :



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Message par Zat Cnidaire Barnum Lun 25 Juil 2016 - 17:56

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Salut, les autres. - Page 3 Empty Re: Salut, les autres.

Message par 'Sengabl Jeu 28 Juil 2016 - 15:55

Zat Rathustra Barnum a écrit:Merci de ne pas citer ce post si vous y répondez.

Oui, je sais, je suis une insoumise :p

Parce que je suis la plus connasse de tes amies, je n'avais pas encore pris le temps de passer par ici, alors que... Smile

Je suis tellement heureuse de lire ce que je lis, de te voir t'ouvrir, de voir la Zatacarapace se fissurer...
J'imagine que, considérant les discussions précédentes, tu sais à quel point je suis d'accord, à quel point je réalise, à quel point je... Smile

De l'explosion peut venir l'éclosion.
Si je voulais être cyniquement drôle, je dirais "une jolie fleur dans une peau d'vache"... Et je me trouverais d'une finesse absolue Smile

Ah, ces corps qui nous emmerdent... Ne t'ai-je pas raconté, ce type, dont je m'étais amourachée par ici il y a 5 ans (virtuellement, donc), et qui, la première fois qu'il m'a vue m'a dit "Nan mais tu te rends compte de ce que tu as fait à ton corps ?". Bâtard. Ouais. Va te faire foutre pauvre con.

Je m'amuse souvent à imaginer ces gens si plein des bonnes intentions, me recommandant de faire du sport, ou je ne sais quelle activité magique qui me ferait perdre du poids, pratiquer avec moi cette activité en portant un "sur-corps" lesté d'une trentaine de kilos... Vouais, tu ferais moins l'malin gamin !
J'ai appris à éviter les dunes, mais c'est parce que je suis rousse et que le soleil ne me réussit pas... tavu ((c)Zat 2015)... Wink
Bon, du coup, quand les autres font des kilomètres à pieds dans des endroits tout aussi relous qu'inaccessibles, moi, j'leur fais des crêpes et des madeleines au citron en les attendant à leur retour Smile

Mais se posent éternellement ces questions et ces dilemmes incessants...
Peut-on m'aimer dans ce corps ? Pire, si on m'aime pour mon corps (comme ce type qui voulait baiser une maigre...), c'est foutu.
Et encore... Il faut savoir, moi, je ne me reconnais pas quand je me vois dans ce corps. Parce que l'image que j'ai de moi, c'est celle d'une femme jolie, légère, pétillante, fluide, énergique... Comme l'est sûrement un peu mon "esprit" (ou quel que soit le nom qu'on veut bien donner à ce truc).
Mais si on ne m'aime que pour mon esprit, alors je ne suis pas d'accord non plus. Car j'ai envie qu'on désire aussi mon corps...
Du coup, je touche perpétuellement les limites de mes contradictions et des leurs...
Et quand on ne m'aime pas, quoi qu'on me dise, je penserai systématiquement que c'est à cause de mon corps...

Et puis, je continue de voir mes potes photographes qui clichétisent des meufs toutes plus jolies les unes que les autres... Toujours minces, n'est-ce pas... Photographier un gros, c'est toujours comme une sorte d'acte de courage, de rébellion ou que sais-je... Un peu agaçant aussi... Vas-y, fais une super jolie photo de moi dénudée, juste pour voir...
C'est pareil ça... Ces gens qui ne comprennent pas qu'il m'est insupportable de me voir en photo... Évidemment, vu le décalage entre l'image intérieure et l'image extérieure... (Guitry disait : "les femmes ne trouvent leur portrait ressemblant que lorsqu'il ressemble à ce qu'elles voudraient être"... Ben tiens... Smile)
Je continue de me questionner sur les proportions, sur la beauté, sur son importance, sur sa valeur.
Je ne souffre pas non plus, je me suis habituée, depuis le temps... Petite, grosse, rousse, intelligente... J'ai fini par apprendre à dire "je suis grasse comme un loukoum" (et je suis sûre que personne n'a la culture suffisamment merdique que j'ai pour savoir par quel film cela a bien pu être inspiré... Smile)

Quoi qu'il en soit, je suis contente d'être venue faire un petit tour par ici.

Je te fais grâce des cœurs_love tout ça. S'pas la peine non ? Smile
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Message par Zat Cnidaire Barnum Jeu 1 Déc 2016 - 21:41

- Vous, je me méfie de vous.
- De moi, Pukka sahib ? Mais je ne suis qu'un pauvre esclave européen sous-alimenté; Je fais le malin, je grogne, mais, en réalité, je suis à vendre. Voulez-vous m'acheter ?
- Voyons un peu les dents. Hum ! Avez-vous une âme ?
- Point. Jamais eu. Sais pas ce que c'est.
- Des convictions politiques ?
- Moi ? Mais vous me prenez pour un homme libre, ma parole ?
- Vous venez pourtant de gagner une guerre.
- Lorsqu'une guerre est gagnée, mon Maître, ce sont les vaincus qui sont libérés, pas les vainqueurs.

Frottez-vous tout de même la figure, patron... Là. Ne vous laissez pas aller. Nous ne sommes pas à Buchenwald, ici...
- Non, grommela Tulipe, nous sommes dans le petit village à côté.
- Quoi ?
- Rien.
- A qui est cette brosse à dents ?
- Comment à qui ? A nous.
- On s'en sert pour remuer le sucre, expliqua oncle Nat.
- Rincez-vous tout de même la bouche, patron. Ne vous sentez-vous pas mieux ? Bon, je file. Je vais poser pour cette réclame de soutien-gorge.
- Nue ?
- Les seins seulement. Tata !
Oncle Nat rentra la tête sous ses couvertures, Tulipe prit un sandwich et se mit à manger. "Ce n'est pas Buchenwald qui est horrible, ce n'est pas Belsen que je n'arrive pas à oublier." Il continua à mâcher, distraitement; "Ce que je ne pardonne pas, ce n'est pas Dachau, cette ville de trente mille habitants voués à la torture, mais le petit village à côté, où les gens vivent heureux, travaillent dans les champs et respirent l'odeur de foin et de bon pain chaud..." Il ramassa les miettes dans le creux de sa main, puis les jeta dans sa bouche. "Le petit village à côté, avec ses gosses qui vont cueillir les marguerites dans les champs, les mères qui chantent des berceuses à leurs petits, les vieilles gens qui sommeillent sur le banc devant leur maison, le coeur en paix, le paysan qui donne à boire à ses bêtes, caresse son chien, aime sa femme..."
- Ce village est allemand, mon ami. Nous ne sommes pas responsables. Cessez de m'importuner et passez votre chemin.
- Nous l'habitons tous, Pukka Sahib. Nous habitons tous le village à côté, nous écoutons la musique, nous lisons des livres, nous faisons des plans pour passer les vacances à la mer, nous habitons tous le village à côté; la conscience, ce n'est pas une question de kilomètres.
- Pourquoi croyez-vous donc que nous nous sommes battus ?
- Pour défendre la paix de notre village et les jeux de nos enfants. Et maintenant nous voilà de retour, assis de nouveau au soleil, heureux d'entendre les meuglements familiers et troupeaux qui rentrent, de voir la poussière des sabots monter dans le soleil couchant, et le sourire bête et fat est de retour sur nos lèvres comme un charognard qui revient toujours percher sur la même branche, et qu'importe si le reste du monde est toujours un immense camp de mort lente, un grand Dachau, un Buchenwald des familles, pourvu que chantent les oiseaux et jouent lesl apins mignons, dans notre petit village à côté ?
- Allons, patron, mangez. Vous n'êtes pas en train de vous frapper, au moins ?
- Je ne me frappe pas, oncle Nat. Je rêve un peu.
Tulipe remua le sucre dans son café avec la brosse à dents. "Si on avait le courage de ses idées, on ferait la grève de la faim pour protester enfin contre le village maudit, le petit village heureux et paisible qui dort en marge de la misère du monde. Si on avait le courage de ses idées." Il ricana.
- Qu'est-ce qu'il y a, patron ? Qu'est-ce qu'il y a de drôle ?
- Rien. Je rêve un peu.
Il but un peu de café. "On pourrait même lancer ainsi un de ces grands mouvements humanitaires, avec de jolis slogans comme "A bas l'isolationnisme des consciences ! Pour une humanité solidaire et indiviible, unissez-vous ! Contre le petit village à côté, tous unis et en avant ! Nous voulons que d'une communauté de souffrance sorte enfin une communauté d'action !" Ce ne sont pas les slogans qui manquent.

Il se leva et alla ouvrir la fenêtre. L'air frais les envahit comme un sang nouveau.
- Le jour se lève.
- Pas moyen de l'empêcher ? s'enquit Grinberg.
- Pas moyen.
- La nuit, dit Grinberg, c'est tout ce qu'on mérite.
- La foi, dit Flaps. il lui manque la foi. On ne peut pas vivre sans croire.
- Une sale nuit, dit Grinberg, froide, noire et sans sucre, comme le café des mauvais lieux...
Il se leva lourdement et se traîna jusqu'à la fenêtre. Avec son pardessus jeté sur les épaules, les manches vides battant comme des ailes fatiguées, son nez triste et ses yeux pâles, il avait l'air d'un vieux hibou. il se pencha. Harlem commençait à sortir de ses poubelles. Un jour blafard traînait sur les trottoirs.
- On a envie de l'aider, dit Flaps.
- Toi et ta charité chrétienne, dit Grinberg.
- Et voilà tout ce qu'il y a de nouveau, dit Costello. Le jour qui se lève. Un peu maigre, pour la première édition.
- En l'arrangeant un peu... dit Grinberg.
Il proposa :
- Le jour monte comme un drapeau blanc au-dessus des ruines.
- Le jour revient rôder sur les lieux du crime, offrit Costello.
- Il vient s'assurer que tous les morts sont bien morts, déclama Grindberg.
- Et que toutes les plaies sont bien ouvertes.
- Bzz, fit Flaps, avec triomphe, bzz.
- Il est pressé. Il faut qu'il passe à la banque, dit Grinberg.
- Et qu'il fouille dans les poubelles pour trouver un morceau de pain.
- Il faut qu'il paie ses dictateurs, dit Grinberg.
- Il faut qu'il fusille quelqu'un, dit Costello.

- Des milliers de types crèvent de faim à New York. Moi-même, j'ai crevé de faim à New York. Ça n'intéresse personne.
- On commence toujours par crever de faim, à New York, jusqu'au jour où l'on fait crever de faim les autres, dit Grinberg. C'est ce qu'on appelle "réussir".

Que pensez-vous de l'avenir de la civilisation ?
- Les civilisations n'ont pas d'avenir. Elles n'ont pas de présent non plus. Tout ce qu'elles ont, c'est un passé. La civilisation, c'est quelque chose que l'humanité dépose sur ses rives, à force de couler. C'est quelque chose que les hommes bâtissent derrière eux à force de mourir.

Il se mit soudain à pleurer.
- Seigneur, ayez pitié de moi ! sanglota-t-il. Rendez-moi mon géranium sur la fenêtre, mon canari dans sa cage, les amours roses sur mes rideaux, rendez-moi mon tabac et mes timbres-poste, mon bain chaud et mon chocolat le matin...
- C'est fou, observa Grinberg, c'est fou ce que vingt siècles de christianisme ont pu donner à un homme !
- Je vois une borne, annonça Biddle.
- Aha ! se réjouit Grinberg. Nous arrivons enfin !
- Il est marqué dessus : "Entrée interdite aux Juifs !"
- On s'en va ? proposa Grinberg. Ce n'est sûrement pas le chemin.
- Parle pour toi, intervint Flaps; On y va ? Nous sommes arrivés. Au revoir, Grinberg.
- Au revoir.
- Attendez, il y a une autre inscription sur cette borne, dit Biddle. "Negroes keep out", lut-il.
- On ne peut pas laisser ce vieux Grinberg seul, décida Flaps. On continue ?
- Ça ne sert à rien de continuer, dit Costello. Ça ne sert à rien d'errer pendant des millénaires. Il n'y a qu'à s'arrêter. Il n'y a qu'à se laisser crever sur place, de haine, de faim, d'humiliation et de mépris. L'humanité entière a disparu et la terre revient enfin à sa fraîcheur première !
- Là, là, là, dit Grinberg. Il ne faut pas toujours prendre tout au tragique.
- Je vous le dis, hurla Costello, l'humanité n'existe plus !
- Il y atout de même quatre vies alliées de sauvées ! constata Biddle, en se frottant les mains avec complaisance. J'ai une idée, ajouta-t-il.
- Vas-y.
- Si on faisait une humanité à quatre, une petite humanité à part, bien à nous, avec ses frontières, ses territoires d'"outre-mer", ses manuels d'histoire, sa mission spirituelle ?

- Edition spéciale, cria Biddle, la fin du monde !
- Ce n'est pas très original, dit Costello.
- Ce n'est peut-être pas très original, mais c'est quand même la première fois que ça arrive !
- Qu'est-ce que tu en sais ? dit Costello. Personne n'en sait rien. Ça arrive peut-être tous les jours sans qu'on le sache.

Cependant, le nouveau mouvement humanitaire prenait en Angleterre de telles proportions qu'il y eut une interpellation à la Chambre des Communes, à laquelle le Home Secretary répondit que l'association "Prière pour les Vainqueurs" ne menaçant, pour l'instant, ni la personne de Sa Majesté, ni celle du Mahatma Gandhi (hear! hear!) il ne voyait aucune raison de l'interdire. Un membre conservateur ayant demandé si le seul nom de "mouvement" ne suffisait pas à rendre suspecte une association dans un pays dont la force principale est l'immobilité, le Home Secretary répondit, dans l'émotion générale, que dans ce pays libre (hear! hear!), il ne voyait aucune raison, lui, ministre travailliste (cheers), de s'opposer à un mouvement quelconque, tant que celui-ci conservait un caractère nettement statique. Aussitôt, le gouvernement profita de l'enthousiasme des membres travaillistes devant cette noble déclaration, pour faire voter une série de mesure tendant à donner aux taudis un caractère de monument historique et pour prescrire aux propriétaires de veiller à les conserver tels quels, sous peine de poursuite pour tentatives subversives contres des institutions nationales ayant un caractère nettement sacré. Ce vote provoqua un tel enthousiasme dans le parti conservateur que dix mille paires de chaussettes furent tricotées immédiatement par les honorables membres de l'association dans tous les coins du pays et que cent cinquante thés de bienfaisance furent servi dans le West End en vingt-quatre heures, battant ainsi de vingt-cinq thés le record établi lors de la dernière famine du Bengale.

Pendant ce temps, le chômage chronique interdisait toujours aux ouvriers européens d'élever plus de deux enfants rachitiques à la fois; pendant ce temps, les gouvernements refusaient de lutter contre le taudis, faisant judicieusement remarquer qu'il valait bien mieux que la bombe atomique démolît des taudis que des palais de lumière et de salubrité; pendant ce temps, les gouvernements socialistes, appelés une fois de plus au pouvoir par des électeurs acharnés, pleuraient d'affolement sur le sein de leurs épouses et perdaient le sommeil, ne sachant plus que faire pour se faire pardonner : dissoudre le parti communiste, encourager les trusts, réduire les salaires, ou bien pouvaient-il espérer de passer inaperçus jusqu'aux prochaines élections, en promettant de ne rien faire et de ne toucher à rien ? Pendant ce temps, la terre était ronde, elle tournait, et l'humanité était une chenille géante, jetée sur le dos et tournant avec la terre ; elle agitait désespérément ses deux milliards de pattes farouches et impuissantes et son rêve était un humble rêve d'infirme : pouvoir se lever un jour et marcher, sans peur, marcher! au lieu de demeurer ainsi prostrée, à agiter furieusement ses pattes, à tourner avec la terre.


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Message par Zat Cnidaire Barnum Jeu 1 Déc 2016 - 21:59

Ma vie, mon oeuvre, présentement (et jusqu'à présentement) :

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Message par Invité Mer 7 Déc 2016 - 10:41

Ceux qui ont une idée de ce qu'ils font, se trompent probablement eux même :p

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Message par Zat Cnidaire Barnum Mer 14 Déc 2016 - 20:21

Voilà que soudain j'y pense, à quand je n'en suis pas revenue... du mal de vivre.





Voilà pourquoi on me retrouve dans les rues de mon quartier, à marcher, à tourner en rond. Oh, c'est bien, c'est beau, c'est joli, c'est Noël, trois libraires d'occasion à moins de 300m de chez moi, des bars, des petits restos, deux superettes qui ouvrent tard pour... pour les trucs dont j'estime avoir besoin, pour les trucs que je crave, de la salade de carottes, du fromage à ouatmille euros.


J'en pouvais plus, de ma gueule, avec mes cheveux longs là. C'est beau ah oui c'est entretenu gnagnagna. Je les coiffais plus. J'ai coupé. J'en pouvais plus, de ce joli appartement où rien ne m'est utile, de l'odeur de la soupe chaude de légumes bio faite maison, ouhlala c'est vaillant, c'est sain. Ta gueule putain la sainteté. Ça fait dix jours maintenant que je quitte, presque rituellement, en rentrant chez moi, mes vêtements de la « vie réelle » pour remettre ce sweat à capuche à message politique sur les numéros d'écrou.


« Numéro d'écrou : série de chiffres dépossédant la personne de son identité. »


Et ma série de chiffres à moi, alors ? Mon adresse, mes mètres carrés, mon compte en banque, mon salaire, mon numéro de téléphone, mes horaires, des chiffres des chiffres... et mon identité ? Et qui je suis ?



Voilà pourquoi je traîne dans mon pull (sale, à force), pourquoi j'ai coupé mes cheveux, pourquoi je n'ai pas complètement vidé mes cartons, pourquoi j'ai peur de mon avenir. J'ai peur de mourir de ce confort bourgeois, j'ai peur de m'installer et de dépérir. J'ai peur de m'ennuyer et de perdre de vue ce qui est important pour moi, ce qui plus que ça est vital pour moi : lutter et nager à contre-courant.


Parce que c'est ce qui m'a sauvée.


Voilà pourquoi ma vie est parfois on the edge, dans des coins biscornus, à la fête de Noël de la Maison Centrale avec des mecs condamnés pour des dizaines d'années et à la fête de Noël de l'institut avec des enfants polyhandicapés, pourquoi mes amours sont complexes et mes idées mouvantes, pourquoi je suis en retard pourquoi je mets du temps à arriver. Pourquoi je ne veux pas ressembler à une femme, à une mère, à une employée modèle, à une bourgeoise, pourquoi j'ai honte d'avoir chaud, pourquoi parfois, juste, j'erre. J'erre, je parle à ces mecs qui font la manche à qui personne parle, surtout quand ils sont bourrés. J'erre, je ne mets pas ma veste, ça m'énerve. Sérieusement pour les 20m que tu fais entre ta voiture et ta porte d'entrée, pourquoi tu te saoules à mettre un manteau ? Le temps que tu perds, l'énergie ? Non, tu ne vas pas « attraper froid ». Le rhume, c'est vraiment ta grosse menace dans la vie ? Oui, vas-y, couvre-toi, protège-toi bien de la menace. C'est le summum de l'engoncement.

Quand je vois les gens dans leurs « vies réelles », avec le boulot aux horaires de bureau, le pavillon, les enfants, le chien, le Scénic, la soirée film sur France 2... j'ai envie de hurler. HURLER QUE CE N'EST PAS LA VIE REELLE. Est-ce la seule chose à laquelle nous sommes censés aspirer ? C'est la mort prématurée, c'est l'ennui et la ternitude. C'est la prison. Assignés à résidence dans des vies qui n'ont pas de sens, dans la refonte d'un idéal désincarné, devant Diane femme flic.


Alors j'y pense, à quand je n'en suis pas revenue... de la machine à pain.


J'avais tout, matériellement, j'étais installée, établie. Je vivais avec quelqu'un de bien. Le parfait petit couple bon à marier, et moi j'étais crédible en parfaite petite étudiante en médecine ménagère. Et mon âme a explosé. J'avais tout, jusqu'à la machine à pain. J'avais tout et j'étais vide, seule, sans but. J'étais exécrable. J'errais, non pas dans les rues, j'errais dans mon mal de vivre une vie réelle.

J'ai voulu mourir, j'ai essayé. Je crois que, contre toute constatation qui pourrait être faite, j'y suis morte. Je suis morte à Toulouse quelque part entre le printemps 2009 et le printemps 2010. Un an de mort cérébrale. Encéphalogramme plat et à jamais des vallées intimes détruites, chez moi, chez les autres. Et une machine à pain qui trône sur une étagère, désarmée de sa pale, dans le garage de mes parents. Je suis restée dans les couloirs de cette institution psychiatrique, je suis restée dans les influences chimiques, dans les bras sans noms qui m'arrachaient cette peau que je ne supportais plus. Dans le goût de la pâte à tartiner au Speculoos, dans l'odeur du gel douche MonSavon à l'Hibiscus, dans ce surnom qu'on me donnait, dans les clopes que j'enfilais, dans les cours de médecine, dans les lacérations sur mon corps, dans les cachets les cachets les cachets les prises de sang et la Vodka. Je suis restée dans cette nuit à hurler à plein poumons dans ma salle de bain, à cette portière de voiture ouverte sur l'autoroute, à cette ambulance, sur le canapé de mon arrière grand-mère que j'ai laissé dans cet appartement vide. Il est des endroits dont on ne revient pas, et c'est pour le mieux parfois.


Alors je marche, dans mon sweat malpropre, dans les rues froides au milieu des gens qui touristent. Alors parfois je bois, il faut me pardonner, parce qu'il est en moi des vallées ravagées, et des identités qui ne se relèveront jamais. D'autres qui sont nées et serrent les dents, font un battage infernal pour ne pas oublier la machine à pain. Celles qui luttent, celles qui rient, celles qui nagent à contre-courant et hurlent dans une langue silencieuse, pour qu'on éteigne France 2. Pour que cessent la solitude, les mails du travail, les numéros de compte en banque, les numéros d'écrou, cette vie irréelle qu'on nous impose. Cette société qui touriste, qui a le mal de vivre et qui cause notre déperdition.


J'ai été déperdue. Je suis morte de désespoir, d'ennui, d'enfermement. J'ai la rage. Je ne veux pas – je ne peux pas - porter de vêtements propres et y croire pour de vrai, jouer à la marchande. A la marchande d'amour, à la marchande de temps, à la marchande de fruits et légumes bio, de corps parfaits, de travail fait dans les temps, de maisons rangées, à la marchande d'images.

Oui mais voilà, je sais bien qu'il me faut, au moins un minimum, faire semblant. Alors je resquille, du mieux que je peux. Je porte toujours ma déperdition – c'est pareil qu'être déperdue, mais en différent - et parfois j'ai peur.


Dernière édition par Zat Cnidaire Barnum le Lun 13 Fév 2017 - 18:28, édité 2 fois
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Message par Kleopasse Mer 14 Déc 2016 - 21:00

Je ne sais pas ce qu'on peut dire après ça. J'ai même l'impression qu'il n'y a plus qu'à la boucler.

Mais je voulais quand même vous avouer, Mme Barnum, que ce texte m'a filé des frissons.

Quelqu'un qui a aussi une machine à pain qui rouille dans un garage.

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Message par Zat Cnidaire Barnum Jeu 15 Déc 2016 - 18:15

Kleopasse a écrit:Je ne sais pas ce qu'on peut dire après ça. J'ai même l'impression qu'il n'y a plus qu'à la boucler.

Mais je voulais quand même vous avouer, Mme Barnum, que ce texte m'a filé des frissons.

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Message par Zat Cnidaire Barnum Mer 8 Fév 2017 - 0:42

Et c'est le dépeuplement.


Des vagues d'êtres qui se retirent, des marées basses relationnelles, et moi sur le Mont Saint Michel de la solitude. Ça a de la gueule comme image dis donc, c'est pas du tout égocentrique hein. Ni bretonne ni normande, les pieds dans les algues, et des mers trop loin pour qu'elles continuassent à me bercer. Des filiations incertaines, des affinités moribondes. Et quelque part, la capacité incroyable à me diviser : il y a Zat et ses amitiés fermes ; il y a Cnidaire roulée en boule les dents serrés pour filtrer la gerbe ; il y a Barnum, sous Xanax. Happy three friends (j'ai ajouté ce H comme licence poétique, tais-toi correcteur acharné [et c'est pas la peine non plus d'évoquer ce « continuassent » qui est un peu là juste parce que j'ai un certain tropisme pour les temps compliqués]). Il y a moi, pareille à dix ans dans le passé, dans les consultations médicales hasardeuses et les marches nocturnes submergées sous la capuche du Pull. Il y a moi, grandie, intense, ayant appris à nager. Il y a cette perception de régression. L'angoisse, l'angoisse, suis-je redevenue (ou restée) cette enfant, cet être sans vie, est-ce que c'est la même merde à nouveau ? Il y a des choses dont il serait difficile de me ressortir une seconde fois. Serre les poings, Cnidaire. Fais pas ça. Tu vaux mieux que ça. Tu ne peux pas. Tu n'es pas seule ; loin derrière les sables séchants il y a des individus. Loin, mais là. Moi, je me sens loin et lasse. C'est toujours mieux que « près », tu me diras cher correcteur, parce que même sans savoir près de quoi, ça paraît incroyablement plus dangereux, plus imminent et plus imparable. Question d'orbite et de force gravitationnelle.


C'est comme chercher du regard un visage connu dans le désert à l'entour, mais en n'ayant jamais fini de faire le tour de soi. Trop de paysages. Trop de circonvolutions. C'est un cercle jamais fini. Peut-être que lorsqu'on est revenu au point de départ, en ayant constaté qu'il n'y avait personne, et que les oasis sont tellement loin que le soulagement apporté ne vaudrait pas l'effort déployé au déplacement, peut-être alors qu'on s'écroule enfin en soi et sur soi. Là, comme un château de sable effondré, absorbé par la plage. Peut-être que voilà, c'est ça, on a fait le tour, on revient au point de départ, et on abandonne spontanément, doucement, sans victoire ni défaite, tranquillement. Sans violence, sans regret ni envie, juste comme ça, salut les moches, à la prochaine.


Lâcher prise. Moi. Les autres. Arrêter le perfectionnisme, arrêter l'ambition, les projets. Abandonner, regarder la télé. Arrêter la conscience professionnelle, merde à la fin, tout le monde s'en fout. Le travail c'est l'aliénation, le sacrifice ultime, le remplissage par le vide, c'est ne pas avoir à se demander ce qu'on veut vivre et mourir sans avoir profité de rien. C'est con, quand même. Mourir en ne sachant pas le visage de ceux qu'on aime. Lâcher prise, comme on lâche enfin le col du gars qu'on a attrapé dans le coin d'un bar parce qu'il a dit que finalement qui de mieux qu'une épouse comme assistante parlementaire de confiance hein c'est peut-être pas si pire les gars derrière tout grand homme il y a une femme. Je grince des dents. Mais à quoi bon ?


Putain mais l'absurdité de la vie, l'absurdité l'absurdité l'absurdité l'absurdité sa mère. C'est le mythe de Sisyphe, il m'a poignardée le mythe de Sisyphe. C'est Foucault, c'est Gary, l'absurdité, la rage. J'y connais rien, c'est le vide culturel, pour un peu j'en citerais Oui-Oui ce sale petit fils de chien qui pollue avec sa décapotable, et qui hoche bien la tête, qui acquiesce qui fait tout comme il faut. Et Martine cette grognasse de droite (oui, Martine est de droite, elle a trop d'activités de loisir pour être issue d'une famille de pauvres) qui va au zoo. C'est bien Martine, regarde les singes qui crèvent à dix dans moins de mètres carrés que toi tu habites avec ton petit frère et tes parents et le petit Jésus (même si lui il habite surtout dans vos cœurs, sauf le dimanche avant la messe où il habite un peu dans des-endroits-prévus-normalement-pour-faire-pipi-moinonplusj'aipasbiencompris). Martine et Oui-Oui consomment et finiront pharmaciens, fils de chien et de pharmacien, et j'irai leur acheter mon Xanax. Ah qu'est-ce qu'on est braves !


Être brave dans l'absurde. Se fabriquer du sens, trouver « notre projet de vie ». Oh oui frappez-moi, les grands projeteurs de vie. Continuez donc à me donner l'impression que y'a que moi qui, impuissante et seule, trime et erre et ouvre de grands yeux incrédules et n'accepte pas et mais...euh...qu'est-ce que je disais ? J'y comprends rien à ces histoires de destination, de projet de vie, j'ai pas envie. J'veux qu'on lâche mon col quand je dis de la merde dans les bars tard le soir, voire pire : toute pleine de bière et de rien, à 14h30. Toute vide de moi, et des autres, toute dépeuplée. Le vernis écaillé, la bouche sèche, les yeux trempés, et cette éternelle moue de dégoût face au monde. Merde y'a un mec qui m'a touché la cuisse dans la salle d'attente de SOS Médecins hier soir à minuit. Comme ça, une main sur ma cuisse, tout en tenant un livre des Barbapapa. Barbibulle, Barbidou, Barbitrouduc'. Hop direction la collection jeunesse pourrie, avec Oui-Oui et Martine ! C'est la classe la vie putain. Qu'est-ce que je fous là ? Lâchez-moi bordel. C'est les potes qui oublient de t'inviter, et oublient d'avoir le courage de te dire que t'es trop awkward en soirée pour qu'on t'invite, mais qu'ils aiment bien être tes potes parce que ça fait quand même humain et original. C'est la vague de courage qui se retire, et la marée basse qui a l'air de durer à l'infini, même si je sais, oui je sais bien ça va merci, que ça reviendra. C'est l'envie d'être Ophélie contrariée, merde les mecs y'a plus de lyrisme !, parce que l'eau est loin, et que je ferais une Ophélie bien ridicule, dans mon maillot de bain Domyos, tout gras-du-dessous-des-bras à l'air, échouée dans les algues à marée basse. Les promeneurs se foutraient bien de moi et de ma souffrance romantique décalée de la réalité palpable. « Je trouve pas le sens de la vie je suis épuisée bouhou. » - « Euh, faut pas rester là, Madame, en plus vous avez laissé votre Xsara en double-file ça bloque le passage. ».


Ah. Ce dépeuplement. Cet abandon des foules. Ce repli matériel. Cette absurdité, encore, encore, encore.





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Message par Zat Cnidaire Barnum Mer 8 Fév 2017 - 1:35

Résumé des épisodes précédents


Moi :

Salut, les autres. - Page 3 15966116_735901593252003_7335711596900060441_n



Ma vie :

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Message par 'C.Z. Mer 8 Fév 2017 - 8:14

Tchao
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Message par Invité Mer 8 Fév 2017 - 10:30

Tu sais que c'est la pression de vouloir répondre à des messages aussi bien écrits quand on n'a que mon (absence de) talent en la matière, avec mon style dont la froideur et l'austérité plaira cependant à ceux/celles pour qui un monde de glace représente une forme d'idéal. La vie est absurde, et beaucoup choisissent de l'oublier et s'en inventent ou laissent d'autre les inventer pour eux, mais on peut-on, doit-on donner du sens à ce qui n'en a pas ?

Pensées insensées pour toi Smile

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Message par Invité Jeu 9 Fév 2017 - 2:04

Tu as l'air élitiste et puis tout est tellement personnel ici qu'on ne se sent pas légitime pour intervenir.

Par exemple il y a matière à troller pendant un millénaire mais tout laisse à penser que tu le prendrais très mal et que tu préfères qu'on laisse ton petit journal intime en paix.

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Message par Zat Cnidaire Barnum Lun 13 Fév 2017 - 17:09

[16:58] Vilaine Zatoulini: Oué moi IRL je fais des complications. Comme y'en a qui font des ronds dans l'eau.


(Oui, je m'auto-cite.)
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Message par Zat Cnidaire Barnum Jeu 23 Nov 2017 - 23:08

De la Zat du présent à la Zat du passé :



J'ai lavé le pull, je suis désolée je sais que tu tenais à ce rituel. J'ai déménagé. Ne panique pas, même s'il y a mon nom sur une boîte aux lettres quelque part. Nulle part si ce n'est Strasbourg, hein ? Je ne t'ai pas trahie. Je t'ai juste revisitée. J'ai accepté une ou deux virée chez Ikea. Ma foi, tu n'en es pas morte. J'ai accepté de boire de la tisane. C'est pas si infâme que tu le crois, on s'y fait, tu verras.


Je sais, Zat, que la prison te manque. Je sais que ça se dit pas. Mais tu n'en es pas morte. C'est pas si dur d'y entrer, tu le sais bien, hein, comme on dit, le plus dur c'est d'en sortir. Haha. Pouet pouet, prout sous les aisselles, et compagnie. Tu vois, je continue de me dédouaner de ce tropisme parce que ça ne comprend pas. C'est toujours là, je ne peux pas te mentir, ça t'entoure encore, ça te bouscule quotidiennement, ça prend toujours le tram avec toi (c'est le défaut du commun dans « transports en commun »), ça se forme et se déforme, et se difforme, et s'installe et s'immobilise. La morve mi-sèche qu'est la la marée humaine.


La surdité est toujours là. Chemin tracé et mauvaises herbes à faucher.


Tu n'es pas morte non plus en abandonnant la vieille Xsara. Tu n'es pas morte en laissant ton vélo. Tu n'es pas morte en acceptant les baskets Décathlon à 16,99€ d'un gris clair moche. Tu as abandonné le henné, par contre, il semble qu'être une femme naturelle ce soit pas ton trip entièrement. Oui, je sais. Ça pique un peu. Tu n'iras pas élever des moutons albinos au Népal, tu le sais bien, c'est un deuil à faire. Mais, eh, moi je vois une chose : tu ne t'en es pas défenestrée pour autant. T'es pas passée si loin, parfois, je te le cache pas, mais pense à moi quand tu seras sur ce balcon. J'y ai été avant toi. Regarde, devant toi, les arbres sur les immeubles. Les ombres de la nature contre la peau rêche des HLM.

Je vis dans cette ville que tu n'aimes pas qui se pâme d'avoir une ligne de tram. Une. « Je vis », je dis, mais là je m'avance un peu. Tu vivras, nous vivrons. Moi aussi, tu sais, je survis. Différemment, mais je survis. Et tu survivras.



Je voudrais te dire que ça va pas être facile, que tu vas te retrouver acculée dans des coins sombres, dans des couloirs d’hôpitaux psychiatriques qui vont défier ton passé, sous les molaires écrasantes de la bouche ruminante qu'est l'administration de notre cher pays. Tu vas en chier sévère, mais tu es brave, je sais bien. Brave et sincère, comme les autres pauvres cons qui se font chier dessus et continuent à lever le poing en pensant qu'ils changeront le monde. Eh, mais, peut-être que tu y arriveras, hein. Mais pour ça, va falloir voir avec la Zat du futur. Parce que celle du présent, elle reprend des trains, rate bien des correspondances, elle reste lettre morte. Tu vois de quoi je parle.

Je voudrais te dire que c'est okay de partir. De laisser. De se tromper. D'oser. Et, si ça va pas, Zat, je serai là, tu pourras toujours revenir vers moi la queue entre les jambes, aussi misérable que tu te sentes. Je suis la personne la plus fiable de ton monde, toi-même tu sais. Je voudrais te dire aussi que ta mère, ben, va falloir lâcher l'affaire. Elle est à la ramasse et elle te réchauffera pas. Faudra qu'on s'y fasse, je serai juste derrière toi, t'inquiète.



Ça fait peur, de naviguer entre cette vie biscornue que tu menais et la normalité. Ce qui apparaît comme normal, normé. Ça fait peur mais ça ira. We'll be okay. We won't die. Tu vois, comme toi je me mets à parler anglais quand je me sens trop vulnérable. Un mécanisme de distanciation. Verfremdungseffekt habituel chez les Zats.



Je veux bien, si tu veux bien, prendre un peu sur moi du poids de ta déperdition. La Cnidaire, molle et urticante que je suis aujourd'hui, peut t'alléger un peu. Je peux faire le sevrage, je peux faire la CAF, laisse, laisse. Te rends pas malade comme ça, Zatou, s'il te plaît. Je peux téléphoner au banquier, je peux lire les livres que tu as acheté mais que tu n'arrives pas à lire, je peux t'aider à reposer tes yeux un peu, et je peux m'occuper de trier ton carton de vieux collants et ramasser le vomi du chat. Je sais pas ce qui est le pire, mais je peux faire ça, et d'autres trucs encore. Je refilerai certains de mes trucs pas urgents à la Zat du futur. Ça s'appelle « déléguer », je crois. Je speak fluently le corporate bullshitting maintenant. Tu n'en mourras pas, on essayera d'y faire attention, ça te va ?



Je vois les choix que tu as fait pour moi. Les combats que tu as menés pour moi. Je te dois tout ce qui me tient chaud au ventre aujourd'hui, et je te remercie d'avoir cru en moi. Merci pour ta loyauté, faillible, mais tenace. Je sais que tu as peur que je vende ton âme, mais je fais attention, à n'en plus dormir la nuit parfois, encore. Attention à ne pas te perdre dans le nuage lénifiant du quotidien. Prépare-toi, cela dit, la machine à pain va te toiser tous les jours. Il va falloir cohabiter. T'inquiète, c'est une faible, une fragile, une vieille chamelle malade, elle aura pas ta peau. Personne ne l'a eue jusque là. Elle fera ce que tu lui dis de faire : rien, peut-être. De la brioche, sinon, pour quand il n'y aura plus de pain.


Tu ne sais rien de rien. Moi non plus. (But we knew that already, didn't we ?) On s'en sortira. Ah oui et, spoiler alert : je suis asthmatique. T'affole pas, c'est pas si pire.



Le chat va bien.

Lyon, c'est sympa. Ça te rappellerait de drôles de souvenirs. Il fait froid, par contre, achète une écharpe parce que moi j'ai pris froid. Je rentre demain, il était temps.


A très vite ?



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Message par azul Jeu 23 Nov 2017 - 23:43

Du azul du présent à la Zat du passé :

Tu n'as rien perdu de ton humour, comme tu peux le constater. Je crois qu'on peut le considérer comme un bon signe.
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