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Message par ortolan Lun 05 Juin 2017, 12:42

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Message par cracocrac Lun 05 Juin 2017, 12:55

On s'était enfuis avec Patricia en 2003 à bord d'une voiture que l'on avait fauchée. On était poursuivis par une bande de connards. Je précise que ce n'est pas un rêve. Il fait nuit, il fait noir, et tout d'un coup on dévie sur une bretelle d'autoroute sans indications, pour filer, pour semer la voiture qui nous suit. L'autoroute est déserte, on roule. Puis on s'arrête. Un homme à la peau noire, massif, se dirige vers nous. Au loin d'autres groupes d'hommes. Le mouvement est lent, massif de l'homme qui s'approche de la voiture. Il veut nous contacter, moi je sens la créature. "C'est un malaade redémarre, redémarre!!!" La voiture grince, à du mal à redémarrer. L'homme s'est dirigé vers la vitre, alors que d'autres hommes à peau noire et au physique massif, les yeux vides, se dirigent vers nous. La voiture s'allume. On fonce. A la sortie de la bretelle nous voyons les regards de ces hommes debout comme des flics ou des clodos sur la bordure essayant de nous arrêter. Ils sont au moins une centaine à zoner là. On file. Qu'est-ce que c'était que ce peuple de fous sur une autoroute perdue? Des cannibales tueurs ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Personne ne surveille cette autoroute perdue.
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Message par Pieyre Sam 24 Juin 2017, 12:07

Manque de respect

Il y a quelques instants je revenais du supermarché le plus proche. Devant la Sorbonne stationnent des véhicules de police, avec quelques barrières métalliques le long de la rue des Écoles. Devant moi, un type s'apprête à attacher son vélo contre la grille du jardin qui fait face de ce côté au bâtiment. Un policier s'approche de lui, avec gilet pare-balle et arme d'épaule. Je comprends qu'il lui signifie de se garer un peu plus loin, d'une façon formelle, sans plus. Le type grommelle quelque chose, comme quoi le policier aurait pu s'adresser à lui autrement. « Vous auriez pu me dire bonjour. — Je vous ai dit bonjour. — Mais... vous auriez pu aussi me dire s'il vous plaît : c'est important s'il vous plaît... oui, c'est important... » Le policier ne réplique pas et retourne à son poste. Je reste immobile, en retrait, prêt à dire au type : « Tu ne voulais pas qu'il se mette à genoux aussi ? » Mais là, en s'éloignant, le type, le regard toujours tourné vers le policier, fait tomber son vélo sur le trottoir et chute dessus. En se relevant, il lance au policier qui est en passe d'arriver sur le trottoir d'en face et ne l'entend sans doute pas un : « Connard ! »

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Message par MoojiKadja Mar 27 Juin 2017, 19:56

Transport amoureux. Ou amour transportant

De la faculté de lire sur les lèvres.
Un sourire, de la gêne, une vague de nausée m'envahissent. Cet amant transi sur le quai qui murmure ces mots "je t'aime" à travers la vitre sale du métro parisien à une jeune femme. La chaleur écrase ses mots, l'odeur d'urine les arrache à la douceur. Il les dit ces mots. Elle sourit, baisse la tête presque gênée de le voir si épris publiquement. Pudeur volée par ma lecture labiale, je suis confuse, c'était involontaire. Les autres n'ont vu qu'un au revoir, ils n'ont pas senti que ce jeune couple avait passé la nuit à batifoler, les cernes en attestent, sa perte de poids récente aussi. Ils n'ont pas vu qu'il lui disait "tu me manques déjà", en la suivant sur le quai alors qu'elle s'éloignait, jeune homme cramponné à sa serviette.
Je souris, je suis gênée, j'ai la nausée.


Transport transi, transition... Amour en transit, amour en fuite...

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Message par Ptérodactyle Mar 27 Juin 2017, 20:09

Le couloir du condamné.

Par une forte chaleur humide, pluie acide, je revis ce moment furtif ou j'aperçus un jeune homme, visage auréolé d'un teint halé, propre sur lui, menottes aux poignets, arpentant un dédale de chemins vers la salle du procureur.
J'entrevis au loin des robes noirs à cols blancs, et une nuée de képis avec des uniformes formées et teintées de noir et bleu. Les uns debout, les autres assis.
Une audience, une providence, une évidence se préparait en coulisses, avec comme conséquence une future sentence.
L'homme était déjà condamné, il ne le savait point.
Mais la rumeur façonne les humeurs, et les honneurs.
Perruques et robes au parquet, danses et menuet lexical au verbal procédural, prononçant la sentence finale, au clairon du Code Pénal : 

"Tu ne tueras point."
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Message par Invité Ven 14 Juil 2017, 18:11

L’éléphant parti toute la scène du magicien, tout de ses jeux de foulards à l’or des épaulettes faisait morne illusion. Pourtant tout le public grimaçait son admiration, riait parfois une grogne. Les numéros s’enchaînaient, peu à peu je méprisais tout le spectacle, tous ses acteurs, tous ces complices autour de moi.
J’étais déçu, je voulais voir des fauves ! Des lions, des tigres, des léopards ! Pas de captifs dociles et nourris comme des chiens, non je voulais voir ce dompteur seul à seul avec son fouet, face à un lion sauvage, et le public en rage! Que sous les acrobates on retire les filets, qu’à chaque saut l’on frémisse ! Que la fée soit toute nue dans sa lumière blanche, et qu’on goûte en silence à la danse des cerceaux sur ses hanches. Qu’en pleurant, des clowns tristes fassent la quête dans les rangs, quand d’autres joyeux ténors nous chanteraient que rien n’est grave en jetant des bonbons...
Non, les acrobaties furent jouées facilement, sans émotion. Sous la fanfare d'une femme paillette des cerceaux tournaient vite. Pire encore, le numéro des deux clowns fut d'un grotesque pathétique, qui énervait certains enfants que l’hilarité commune poussa quand-même à rire quand pour la cinquième fois, le moins malin des deux ne trouva plus son chapeau sur sa tête - comique, il l'avait bien remis - Mais des deux le plus malin, le plus fourbe, et le public complice et plus malin encore, jubilait. Je cherchai des yeux en abyme. Si j’avais trouvé rien qu’un autre désarroi parmi les spectateurs, la scène m’aurait surement paru plus légère, mais noyé de désillusion, je me noyais seul parmi ces rires qui s’élevaient partout encore au chapeau disparu sixième.
Le drôle offre un miroir pour que le dupe surveille ce fourbe de chapeau, mais faisant chaque fois diversion, il lui enlève encore trois fois et le replace encore trois fois, nouveaux éclats de rires. Et pour finir, sous le chapeau un perroquet. Souffle d’admiration, tout le monde applaudit et j’ai bien regardé, je les ai regardé, tous semblaient heureux.

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Message par Pieyre Ven 14 Juil 2017, 19:02

Ce matin, un peu avant 6h, je passe rue Madame devant la caserne des pompiers où tous les 14 juillet a lieu un bal traditionnel. J'y passe à cette heure tous les ans, et même presque tous les jours depuis une dizaine d'années, parce que c'est mon parcours de course matinale. Aujourd'hui, pour la première fois à cette date anniversaire, la rue est barrée entre la rue Marie Pape-Carpantier et la rue du Vieux Colombier; et, pour la première fois également, je vois des pompiers qui discutent près de l'espace réservé aux deux-roues et un véhicule de la voirie déjà en action pour effacer les traces des beuveries. D'habitude, des cadavres de bouteilles et de cannettes jonchaient un sol déserté. Un peu plus loin, place Saint Sulpice, je remarque deux filles assises sur un banc qui ont encore une bière à la main. Et puis, à côté de ces possible laissées-pour-compte, voici une fille qui émerge, derrière un élément de mobilier urbain, avec un jeune militaire en tenue de camouflage. Elle semble conquise. Sans doute avaient-ils participé au bal. Cet air presque extasié de la fille... le prestige de l'uniforme sans doute.

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Message par azul Ven 14 Juil 2017, 19:20

Un type venir au collège dans un état moyen moyen, à 8h ça allait, vers 10h il avait l'air trop blanc pour un noir, il s'était fait planter. Beaucoup de spéculation autour de ce qui s'était passé, le lendemain le journal disait que son petit frère lui avait mis un coup de couteau d'un geste maladroit. Le journal avait tort, c'était une manière de faire taire l'affaire rapidement. La police à fini par classer le dossier. Une fois que l'histoire s'est tassée, la légende raconte que le réel auteur du coup de couteau aurait reçu une visite de courtoisie très courtoise. On en a plus jamais entendu parler.
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Message par Pieyre Ven 14 Juil 2017, 22:10

C'était en 1978, alors que j'étais en classe de troisième. Un jour, deux inspecteurs de police sont venus dans la classe pour s'adresser à nous. L'un était en imperméable mastic, genre Colombo en moins sympathique; l'autre était noir. Dans ma banlieue de province, cela avait un côté décalé, genre film américain. Il y avait eu un vol dans le collège : du matériel de sciences naturelles notamment. Celui qui était incriminé, un certain Armando, qui n'était pas présent et qui n'est pas revenu par la suite, était le chef de classe. Il avait été élu à mon grand étonnement et je crois à celui de nos enseignants. Même s'il était assez agréable, il faisait partie de ces élèves particuliers qui avaient été soustraits à l'autorité de leurs parents pour diverses raisons, élèves qui dépendaient d'une structure d'accompagnement d'adolescents, l'Auberdière, dont un véhicule les amenait tous les matins au collège. Dans la classe, il y avait un autre élève qui dépendait du même centre, Patrice, dont je me souviens mieux. Il avait deux ans de plus que la plupart d'entre nous, d'un caractère affirmé, en fonction de son âge et d'un vécu familial difficile sans doute; aussi il était un peu dominant, mais pas tant que ça, c'est-à-dire pas tellement désireux de s'imposer au détriment des autres. Il était parmi les meilleurs élèves en français. Aussi j'avais de l'estime pour lui, même si, malgré mes presque trois ans de moins, je jugeais que son assurance était encore empreinte d'immaturité intellectuelle.


Dernière édition par Pieyre le Jeu 20 Juil 2017, 12:23, édité 2 fois (Raison : expression)

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Message par Lyhan Jeu 20 Juil 2017, 04:05

Pieyre écrire "emprunte" dans une phrase où il faisait part d'une certaine estime éprouvée à l'égard d'un ancien camarade de classe dont il louait les qualités de maniement de la langue de Molière. Et d'ajouter que ma participation à ce fil, empreinte d'un certain doute quant à l'orthographe convenable mise en question ici-même, a finalement été assurée par la consultation fructueuse et enrichissante du site de l'Académie Française.

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Message par Pieyre Jeu 20 Juil 2017, 12:19

Merci ! Je corrige. En fait, j'ai souvent vérifié cette distinction, mais je suis distrait. Et puis je précise et modifie mon texte sur d'autres points : j'ai souvent besoin de m'y reprendre à plusieurs fois pour me souvenir au mieux et même parfois pour simplement dire ce que je pense.

En fait j'ai souvent eu des rapports et des jugements divers concernant la police. Notamment il faudra un jour que je raconte ma garde à vue mémorable...

En faisant une recherche dans mon journal, je trouve déjà à ce sujet quelque chose qui s'apparente à une
Chose vue.

C'était le 20 juillet 2007. Ma sœur était chez moi depuis quelques jours, qui avait remarqué dans la rue l'affiche d'une exposition au musée de la police, l'un des musées les plus près de chez moi mais que je ne connaissais pas. Après sa sieste nous nous y rendons.
Je me renseigne à l'accueil au sujet de l'exposition; l'agent, qui devait s'attendre à autre chose, me répond avec un air amusé que c'est au deuxième étage. Nous prenons l'escalier. Au premier étage, un policier nous adresse un mot puisque nous avons l'air d'hésiter; ma sœur lui fait une remarque plaisante au sujet du gyrophare qu'il tient. Voilà, nous entrons; c'est plus calme que dans un grand musée. Dès l'entrée, un guide en civil nous adresse la parole, qui tient à nous donner des renseignements, apparemment tout content de nous trouver là. Et puis, déjà, il nous pose une question concernant la carte de Paris qui est affichée à côté : qu'a-t-elle de particulier ? Je réponds : eh bien, l'est est en haut et l'ouest en bas... En effet, et il nous explique pourquoi. Ma sœur en profite pour dire que je suis matheux. Alors l'employé, déjà naturellement enjoué, s'anime. Il nous raconte une histoire qui apparemment lui tient à cœur. Justement il a un petit problème de mathématique : il est magicien et, pour un nouveau tour qu'il prépare, il a besoin de comprendre un texte mathématique de deux ou trois pages, en anglais, avec une notation qu'il lui pose une difficulté. Je regarde ça et je lui indique le sens de certains termes. Comme pour se justifier, il nous indique qu'il n'est pas « flic », mais employé par la ville... Après cela, il nous fait un laïus historique sur le musée, comme à son habitude sans doute, avant de nous laisser continuer la visite... Ma sœur lui demande auparavant s'il ne vend pas l'affiche de l'exposition... Non, il la donne, dit-il malicieusement.
Le musée est intéressant, avec ses documents et ses gravures anciennes, sa machine infernale, ses armes trouvées sur divers criminels, les témoignages de leurs exploits, dans les archives ou dans la presse, les premier instruments de la police scientifique, etc.
À la sortie, le guide nous fait encore un signe. Il voudrait que je lui indique précisément ce que signifie telle expression mathématique qui est retranscrite sur son document de façon linéaire. Je lui écris la formule à la main de façon graphique (je crois me souvenir qu'il s'agissait d'une intégrale), où il y avait d'ailleurs une erreur.

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Message par Pieyre Mer 11 Oct 2017, 20:10

[Texte écrit le 13 août 2007, que j'adapte en partie.]

C'était un 21 juin, il y a quelques années. Je me promenais dans le sixième arrondissement de Paris, sans but défini. Il y avait ici ou là un peu d'effervescence : on se préparait pour la « grande fête publique gratuite, laïque et obligatoire », comme la qualifiera plus tard un chroniqueur et animateur de radio que j'apprécie, Philippe Meyer. Pour l'heure je fuyais les grandes artères, où apparaissaient dans les endroits les plus propices matériel électrique ou structures métalliques permettant d'ériger des estrades, tout cela pour des artistes tapageurs sans doute subventionnés. Quelques accords résonnaient, discordants – ce n'était pas le meilleur moment. – On verra plus tard, à la nuit, quand tout sera au point, me dis-je.

En m'engageant dans une petite rue bourgeoise, j'entends un chant qui se déploie, un peu à distance. Ah ! oui, tiens, c'est vrai... j'avais oublié que la journée entière était consacrée à la musique, pas seulement la soirée. Je me rapproche en levant la tête. Les fenêtres d'un appartement, au premier étage, sont ouvertes. On voit un petit groupe de femmes qui chantent des airs classiques. Quelques personnes les écoutent en contrebas. Je perçois chez elles cette sympathie amusée à l'égard des amateurs.

À la fin du morceau, je m'éloigne, sous le charme. Recherchant plus encore le calme, je prends la petite rue qui longe l'église Saint Germain des Prés, puis je tourne à gauche. Sur la place qui s'ouvre là, discrète, à l'abri du passage des voitures, il y a un petit attroupement. Des gens sont massés autour de trois ou quatre types, d'une quarantaine d'années, vêtus sans recherche particulière et déjà un peu grisonnants, qui, chacun un violon à la main, se préparent sans doute à exécuter un nouveau morceau.

Voilà : un rapide regard aux autres, et puis le premier violoniste commence, d'un coup; il a l'air de s'amuser, tout en exécutant avec soin sa partie. Je connais cet air, si pur, si lumineux... je ne sais comment, puisque je ne suis musicien ni de pratique ni de culture familiale... J'ai dû entendre ça à la télévision ou à la radio, voire dans une publicité – ce n'est pas très glorieux, mais enfin, faute de mieux, c'est une façon comme une autre que sa sensibilité se développe.

À peine le thème est-il lancé qu'un autre musicien se précipite sur le devant d'une scène imaginaire, comme s'il était jusque là occupé à autre chose, ou qu'il avait oublié... il ne va pas être prêt; mais si, tout juste : il reprend le thème pendant que l'autre continue sa partie. Les gens rient, mais juste un instant, parce que tout s'enchaîne parfaitement. Et puis voilà le troisième, qui nous fait le même coup, en continuant in extremis le canon, avec à nouveau le thème initial...

Ensuite les trois lignes se déploient, s'enchevêtrent, tout en donnant l'impression d'une grande fluidité, avec comme une personnalité qui s'exprime, tendue et souple à la fois. Tout cela je le ressens alors, parce que les façons de potaches des interprètes ne diminuent aucunement la noblesse de l'œuvre. Je dirais même qu'ils la révèlent davantage que lors d'un concert, où tout a une place, y compris soi-même sur son fauteuil... quand là je suis debout, immobile mais de passage. En concert j'ai été souvent conduit à me poser des questions sur le cadre, la salle, les tenues des interprètes, la succession des morceaux dans un ordre précis, le fait que les invités doivent se tenir bien... Là au contraire, mon regard peut rester fixé sur un élément qui n'a rien à voir avec une quelconque organisation ou une idée de performance extérieure à la musique, de sorte que le temps semble comme arrêté.

C'était le canon pour trois violons et basse continue de Pachelbel, l'une de ces œuvres sans doute trop connue pour ne pas être considérée comme pompière. Et pourtant quelles émotions ne peut-elle susciter ? – La mélancolie ou autres passions tristes, sans doute; et pourtant aujourd'hui la joie d'interprètes et d'un public de hasard amusé par leur jeu...

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Message par Ptérodactyle Lun 27 Nov 2017, 14:21

Cette histoire s'est déroulée le 11 octobre 2016.
 
C'était une de ces journées particulières ou dès le lever on comprends que la journée va être magique.
Approximativement quatre heures du matin, il faisait froid, humide et les néons de la rue brillaient encore.
Les étoiles étaient au rendez-vous.
Un jeune homme admirait ce spectacle silencieux, il venait de se lever bon pieds bon oeil, et son projet du jour bouscula ses pensées profondes.
Allait-il être capable d'exaucer ses voeux ? 
Ce projet était-il compatible avec ses aspirations ? 
Son esprit cogitait, son mental vacillait, son corps se raidissait. Et l'heure tournait, bientôt cinq heures.
Il fallait prendre une décision à présent. Et la décision fut prise, il devait aller au bout de lui même, il devait tenter ce voyage, malgré les angoisses et la peur de mourir.
"Les dés sont jetés !"
Alors il quitta son domicile sur les coups de six heures du matin, après s'être motiver comme il pouvait, en lisant quelques phrases d'un livre, et en ayant mangé une omelette maison.
Sur la route, au loin, le dessein de son objectif se projetait à l'horizon, une silhouette monstrueuse, se dressait fièrement, à perte de vue...
Au fur à mesure qu'il se rapprochait de la silhouette monstrueuse, son esprit se figeait, ses pensées s'entremêlaient mais de manière constructive et positive.
La peur s'estompait progressivement, l'aventure périlleuse était trop tentante.

Sur les coups de sept heures et demi, le jeune homme arriva à destination. Le diable en personne l'attendait.
Le monstre était composé de granit, de calcaire et de lapiaz. Selon la légende, le diable en personne y vit caché au sommet. Et rare sont ceux qui tentent d'aller le voir seul.
Soupirs, inspiration profonde, expiration haletante, il ne fallait plus penser à rien, et prendre sur soi pour aller rencontrer le seigneur des lieux.
En bas tout était silencieux, il faisait à peine jour, et pas une âme qui vive, seul quelques chevaux et moutons saluaient le jeune homme sur son passage. Très vite le paysage changea, au fur et à mesure de sa marche, le soleil illuminait les crêtes et faisait apparaître la silhouette du monstre, tantôt immobile et glacial, tantôt mobile et vivant.

Première étape, une belle cascade accueillit le jeune homme, fraîche et tonique, froide et puissante. C'était la première porte d'entrée.
Une fois la cascade passée, un long sentier tortueux se présenta au jeune blanc-bec, composé de roches et de pierrailles, avec toujours en bruit de fond la cascade, haute de plusieurs mètres.
Pénétrant dans une forêt en pente, remplis de renards, dont le sol était couvert de feuilles marrons, oranges et jaunes, le jeune homme aperçu, au bout de deux longues heures la sortie du dit sentier.

Seconde étape, une vallée envoûtante, à l’aspect fantasmagorique, ouverte, chaleureuse, mais dangereuse, d’où l’on pouvait observer les fantastiques vautours, au loin, qui planaient et scrutaient les alentours.
Cette vallée verdoyante, et pierreuse, recelait d’immenses pierres, comparables à des dolmens, et des torrents d’eau glacée, avec ici de là des traces de vie humaine.
Une première halte après trois bonnes heures de marche, dans une cabane de berger, à approximativement deux mille mètres d’altitude.
Pas âme qui vive aux alentours, sauf le bruissement d’un hélicoptère, certainement de secours, à la recherche de randonneurs perdus.
Cela faisait maintenant quatre bonnes heures que le jeune homme marchait seul, sans personne aux alentours, la respiration commençait à manquer, les efforts devenaient importants, et le diable paraissait encore loin.

Troisième étape, le pierrier géant, avec un dénivelé stupéfiant, avec pour seul repère quelques jonchements de cairns, qui attestaient la présence humaine, mais qui pouvaient être trompeurs dans la direction à prendre.
Un pas en avant, trois pas en arrière, puis ça glissait énormément, les prises avec les mains pour ne pas déambuler dans les ravins.
Quel spectacle étonnant !
D’immenses pierres façonnaient le paysage, et rendaient celui-ci abrupte et sec.
Quelques bêtes étranges au loin, des izards, sorte de chamois, prenaient la poudre d’escampète au moindre bruit.
Après cinq de marche et beaucoup de sueur, le pierrier géant se terminait par une ascension verticale au milieu de granit noir, duquel déambulait un petit sentier, en zigzag, dont on ne voyait le bout.

Quatrième étape, le lapiaz, sorte de zone volcanique noire, immobile, dangereuse et sulfureuse.
Cette avant dernière étape, après cinq heures de marche, était étonnante, imaginez une zone volcanique, avec des crevasses de plusieurs mètres, et une odeur particulière, un peu comme le souffre, ou la végétation se faisait rare, avec pour seul habitants, des oiseaux, des faucons, des vautours et des gipaètes barbus.
Une bonne heure de marche de plus dans ce labyrinthe « noir », et le jeune homme stupéfait de son ascension leva les yeux et aperçu la demeure du diable…
Il retint son souffle, avala sa salive et progressa encore lentement, pas à pas, à bout de souffle.

Cinquième étape, le repère du diable.
Le jeune homme, bien que moins jeune durant cette longue ascension, avait réussi, seul, à combattre ses démons intérieurs, à surpasser ses phobies, il était sur le sommet du monstre volcanique, proche de la demeure du diable.
Au bout de six heures de marche, il fût récompensé, le diable l’attendait.

Il planta son petit drapeau personnel, marqua le sol de son empreinte et prit la main du seigneur des lieux…
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Message par Invité Jeu 28 Déc 2017, 00:09

C'était cette après midi. J'étais dans le train du retour, entre deux wagons. Oui, ce n'est pas vraiment de la fraude, mais disons que j'ai pris le train précédent au miens. Bref, donc je me retrouvais sans siège, debout donc, à coté de la porte de la voiture sept. Porte droite si on est dans le sens de la route pour vous situer.
Je sais.
Bref, j'étais là, j'écoutais de la musique, je regardais le paysage, et vaguement, je devine du passage.
Vaguement encore, je sens que celui ci s'accumule. Par réflexe sans doute, je tourne légèrement la tête. Je me retrouve alors à regarder une personne âgée, qui devant, s'était maladroitement retournée vers moi, d'une certaine façon inclinée que je ne savais plus si cela venait du train, de son arthrite, ou bien des deux
Puisque je suis surdouée, je compris assez vite que celle ci semblait vouloir se renseigner, je quittais mes écouteurs et tendais la nuque pour montrer mon attention et l'inviter à répéter.
Mais avant que celle-ci ne pu le faire, une jeune fille, juste derrière cette vieille dame, lui répondit que oui, nous étions bien à la voiture sept.
La vieille dame répéta la question, la jeune fille, la réponse.
A ce moment, je remarquais juste à coté de la jeune fille, un jeune homme, son copain sans doute. Enfin, à cet instant, je ne pouvais encore que le supposer, mais plus tard, je pu faire la conclusion que mon génie ne m'avait pas trompé.
Mais donc, je remarquais ce jeune homme, à la gauche de la jeune fille qui elle même se trouvait derrière la vieille dame, qui moi-même les avaient tous devant.
Et je regardais ce garçon, puis je revenais à cette jeune femme, et je les trouvais beaux.
Et ils étaient beaux.
Et j'ai eu envie de les voir s'embrasser. Là comme ça, j'oubliais la vieille, j'oubliais le train, j'oubliais pourquoi, comment et les questions. Et, comme une réponse, je les imaginais s'aimer.
Je me demandais si c'était du voyeurisme, si cela provoquait des sortes d'ardeurs sexuelles chez moi. Il n'en était rien, j'avais envie de les voir, mais plus que ça, de les savoir jouir.
Je ne voulais pas les voir faire du sexe, les voir se pétrir, se culbuter, un fantasme dans un train, un petit coup rapide, rien de tout cela ou qui s'y apparenterait.
Je voulais voir des corps s'exalter. J'imaginais des corps, des peaux, jouir. C'était pour moi, à cet instant, une vision dionysiaque, une puissance qui dépassait la simple libido, la simple pulsion, la simple perversité.
C'était sans doute tout cela, mais pourtant, ça avait quitté tout cela.

Alors ces derniers jours, j'ai vu un lac entouré de sapins, des gens boire du blanc et manger des huîtres à onze heure du matin, un village ou hameau qui avait pour nom le nouveau monde, des bouchons, des illuminations, des anciennes carrières de la sncf, de la neige, un port fluviale, une prostitué assise tranquillement sur une chaise pliable le bord d'une nationale et d'une forêt, des sourires, des bouteilles de blancs, des bouteilles de rouge, des bouteilles d'autres encore, et des gens, beaucoup de gens.
Et ce n'est pas que la plus belle chose fut été ce jeune couple charmant et mon imagination débordante ou douteuse, comme l'on veut, mais comme si, toute cette somme de souvenirs était venue se stocker en eux. Comme si cette vision, imagination, peu importe, était l"épingle qui fixait devant moi le récit de mon court séjour et de tout ce qui s'y était vécu.

J'ai vu aussi des téléfilms avec des pères noël en voiture, ou bien surfeur.

Et le meilleur pour la fin, une photo de ma petite nièce qui entrait dans le monde ce matin.
Bienvenue Mathilde.

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Message par Solipsisme92623 Lun 15 Jan 2018, 21:52

J'entre dans le tram. La porte va se refermer mais d'autres personnes arrivent. Je tente de retenir la porte avec ma main puis je met mon pied droit pour la bloquer. Légère confusion. Je dis "Entrez, je tiens la porte" sans vraiment m'adresser à quelqu'un. La musique de mon casque me fait rêvasser, un  bout de moi est dans le tram, l'autre s'en fout. Qu'est ce qu'ils font ? On ne va pas y passer la journée. Je répète "Entrez, je tiens la porte". Il n'y a pas de danger mais un BIP BIP métallique retentit pour signifier ... quoi ? De fermer la porte? Foutez moi la paix, de pauvres gens veulent aller travailler. C'est stressant, j'ai l'impression de faire quelque chose d'interdit. Une femme puis un homme entrent par l'espace qu'il reste, ou l'homme en premier je ne sais plus. Le compartiment se remplit de l'odeur d'alcool. Probablement l'homme, qui a une valise, et qui est entré en même temps que l'odeur. Qui se met une caisse avant de voyager ? Mouais, je l'ai surement déjà fait...

Il y a la femme en doudoune rouge que j'ai vu tout à l'heure sur le quai. Elle a l'air plus vielle de près.
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Message par Invité Lun 23 Avr 2018, 17:53

15 Mai 201. - Il m’arrive quelque chose, quelque chose de bien pire que tout ce que j’avais pu vivre avant.

Je n’ai plus aucune envie. Plus aucune. Ni de partager, ni d’obtenir, ni d’aimer, ni de pouvoir, et ni d’argent ni de quelconque accomplissement. Ni parmi les hommes, ni parmi les arts, ni parmi les songes. Mon esprit ne fait plus que suivre un corps qui veut manger et qui n’aime pas le froid. Et l’ennui, redoutable carcan, que j’écarte à peine de fades diversions, devient lentement la couronne de mon royaume de solitude.

J’essaye, ou du moins, j’ai essayé, et je compte essayer encore. L’humain, sans que j’en veuille à quiconque, me dégoûte. Je me dégoûte moi-même à chercher quoi que ce soit de qui que ce soit, j’ai longtemps cru à la gratuité, je n’y crois plus. Même donner sans attendre, c’est prétendre à l’honneur. Même exprimer ce désespoir, geindre, vomir, rien, rien ne me fait envie. Rien n’est plus précieux. Tout semble sale, même le soleil.

J’ai souffert. Je peux le dire. L’ataraxie est bien pire. Bien pire.

Gardez-vous d’éviter vos passions. Finalement.

Récemment, les rares personnes que j’ai côtoyées et qui m’ont exprimé leur affection… Cette affection me dégoutait.

C’est de ma faute.

Et puis, il y a elle,

Même elle, maintenant me dégoute.

Car elle non plus ne croit en rien. Finalement

Ne m’aime pas, je la comprends. Mais joue, joue,

Puis me range dans le tiroir,

Sous son miroir.

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Message par Pieyre Mer 25 Avr 2018, 14:19

Euh, 15 mai 201, vraiment ? Serais-tu une réincarnation de l'empereur Septime Sévère ?

Et merci à vous tous qui avez fait vivre ce sujet depuis plusieurs mois. De mon côté je comptais l'alimenter régulièrement, mais ma mémoire est défaillante, et mes archives éclatées ici ou là...

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Message par mrs doubtfull Mer 25 Avr 2018, 15:23

C'est un arbre de Judée je crois. Il est vieux mais encore solide. Au printemps il se revêt de multiples petites fleurs roses, à même les branches alors qu'aucune feuille n'a encore pointé son nez. Il est curieux, cet arbre. Je sais qu'il a connu plusieurs générations de la famille de mon mari. Nous vivons avec lui aujourd'hui.
Hier j'ai voulu profiter du jardin et je me suis assise dans le transat, à l'ombre de ses branches fleuries. J'ai fermé les yeux, étendu les jambes et joué avec l'herbe entre mes orteils. Le bruit était assourdissant. Celui de toutes les abeilles du hameau venues profiter de mon arbre rose. J'avais une auréole d'abeilles laborieuses au dessus de moi. J'étais seule en compagnie de centaines d'individus dont j'entendais la folle puissance.
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Message par Pieyre Dim 06 Mai 2018, 19:45

Ce matin, rue Jean Bart, je m'arrête dans ma course. Là il y a la poubelle d'un magasin, et j'ai trouvé à l'occasion des choses extraordinaires dans les poubelles. Je regarde. Un pigeon m'a remarqué, qui me passe devant, puis revient de l'autre côté. Bon, je veux bien chercher aussi pour toi, mais qu'est qu'il y aurait qui pourrait te convenir ? Je lui lance un bout de laitue; il devait me guetter en effet puisque aussitôt il galope dans la direction; mais finalement ça ne l'intéresse pas. Je ne trouve pas grand-chose d'autre : tant pis pour cette fois.

Dans la journée, je remarque une fois de plus que les pigeons qui trottinent dans la rue se rangent à peine sur le côté quand une voiture passe. Ça, c'est un gros animal mais qui se déplace selon une trajectoire rectiligne... Avec un humain, il font plus attention, en orientant la tête de façon particulière, pour évaluer son comportement; mais ils sont vite rassurés. Ce n'est que si un enfant déboule, ou alors un chien, qu'ils se montrent tout de suite plus inquiets et s'envolent.

A priori, les pigeons ne sont pas très intéressants : il y en a trop, et leur robe est celle de petites nonnes bien ordinaires. Mais en quoi les rouge-gorges, les mésanges ou les perruches seraient plus estimables ?

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Message par Pieyre Ven 22 Juin 2018, 19:45

C'était ce matin, rue des Écoles, vers 5h. Après la journée de la musiquette, il y avait encore du monde dans les rues. Le plus souvent, à ce niveau, je passe du côté des numéros pairs; mais là il y avait du monde; alors j'avais changé de trottoir. Pourtant là aussi il y a deux jeunes hommes, assis sur la première marche de l'escalier qui mène au Collège de France. L'un des deux m'interpelle, d'un air goguenard et pourtant sympathique. Il cite mon nom complet : oui ! mon prénom et mon nom... enfin c'est mon impression durant une fraction de seconde, alors qu'il n'y a aucune raison que je le connaisse, ce qui fait que je me retourne d'un coup, au cas où : « Ah ? » Mais aussitôt je comprends mon erreur. Ce qu'il a dit, tranquillement, c'est : « Emmanuel Macron ou non ? » Aussi je réponds : « C'est presque ça », avant de reprendre ma course. Qu'est-ce qu'il a compris : que j'ai presque voté pour lui ou que c'est presque mon nom ? Bon, peu importe...

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Message par Pieyre Mer 27 Juin 2018, 18:01

C'est une histoire étrange qui m'est arrivée dans la nuit du lundi 12 mai 2008. En fait, rien ne s'est produit ce matin-là de façon normale. Je me suis réveillé vers 3h, plus tôt qu'à mon habitude; je suis donc sorti pour courir vers 3h30; et puis, par distraction, j'ai pris un itinéraire qui n'était pas celui que j'avais prévu pour ce jour. Bon, je me suis tout de même retrouvé sur mon chemin habituel; mais ce n'était pas à l'heure habituelle. Alors, c'était sur une scène de crime, enfin plutôt de délit. Je vous raconte ce que j'ai pu reconstituer, parce que j'étais un peu ailleurs.

Il y aura plusieurs parties. La première, c'est une interpellation.

Au moment où j'arrive sur la petite place qui longe la rue Saint Sulpice, il y a une scène inhabituelle  du côté de l'église : un camion de pompiers, les lumières allumées, et devant, cinq ou six personnes qui s'activent : des pompiers tout en noir, des policiers en chemise bleue. Certains font des gestes ou parlent; l'un d'eux est en communication téléphonique. Pourtant je ne vois rien de particulier à proximité, et je ne comprends pas bien ce qui se passe. Bon, je ne vais pas faire le badaud; au bout de quelques instants je reprends ma course.

En m'arrêtant un peu plus loin, je me retourne pour jeter encore un œil. Il y a deux policiers qui remontent la rue en courant à petites foulées dans ma direction, sur le trottoir opposé, sans doute pour exécuter au plus vite des ordres... Je repars en me demandant à quoi tout cela rime, et j'imagine... En tournant le coin de la rue Mabillon, je m'amuse à penser que les deux policiers en ont après moi, comme si j'avais vu quelque chose qu'il ne fallait pas voir... Mais bon, je ne vais pas me prendre au jeu et accélérer pour disparaître de leur vue...

Ah ! mais... des voix me hèlent en effet, de cette façon un peu déplaisante qui nous met déjà en faute... — Monsieur ! S'il vous plaît ! Je me retourne : c'est bien eux, à une dizaine de mètres. — Oui ? leur dis-je, un peu étonné mais serein. Ils me rejoignent, me demandent de me ranger sur le trottoir, de poser à terre mon sac à dos. Tant qu'à faire, je l'ouvre, pour hâter le contrôle... Non, il ne faut pas ? Ah oui, des fois que... Eh bien tant pis : juste l'ouvrir, c'est mon sac; je le ferai mieux qu'eux... — Attention à vos gestes ! Oui, voilà. Le premier policier m'interroge, l'autre regarde mes affaires. — Vous n'avez rien sur vous ? Sur moi ? Ah, je comprends... — Si, j'ai un canif. Il me le prend, puis indique qu'il va vérifier ce que je porte. Il me palpe, mais je n'ai rien d'autre que mes clefs et mon carnet où il m'arrive de noter mes impressions, qu'il me laisse. — Est-ce que vous fumez ? qu'il me sort. — Non, pourquoi vous me demandez ça ? je réplique inutilement, comme ça, pour garder un peu la main. — Vous n'avez pas d'allumettes, ou un briquet ? Je commence à comprendre. Bon, je réponds évidemment par la négative, me voyant revenir chez moi au plus vite. Et puis je vois le deuxième policier qui ouvre la trousse où je range divers petits ustensiles. Je me rends compte avec embarras que j'ai bien un briquet, un jetable, avec d'autres trucs plus ou moins utiles à l'occasion... je l'avais oublié.

L'un des policiers interroge; l'autre inspecte. Je réponds à ce que le premier demande; je regarde ce que le second fait. Tout ça se passe... Mais je tiens à exercer ma volonté aussi : — Vous n'avez pas regardé, là, dans cette poche, dis-je... et je la montre, l'air détaché, naïf et supérieur... Ah si ? il a vu, ah bon : qu'il regarde... — Vous pouvez me dire ce qui se passe, là ? C'est sans réponse bien sûr; je comprends. Mon sac, ils l'ont pris là; c'était deux policiers, non ? qui ont passé le coin de la rue, pourquoi ? Qu'est-ce que ça change que je voie ou pas ? Mais, bon, peu importe. Et l'autre, avec moi... — Vous avez des papiers ? — Non, pas ici; il va falloir aller chez moi pour ça... Mais non, ce n'est pas nécessaire pour établir mon identité. Ah bon ? C'était le plus simple, pourtant, et je ne vois pas trop comment ils vont s'y prendre. Bon enfin, je m'appelle E..., j'habite là, tout ça... Le policier note sur un bout de papier. Ici cette rue, la nuit, les uniformes, mes affaires, les questions, et moi là-dedans... J'ai abandonné à la puissance publique quelque chose de moi, de mon corps; mais j'existe; j'y tiens.

Un fourgon est là, à notre hauteur; il a dû arriver entre temps. Il me faut monter dedans, mais les portes sont fermées... Ah mais non : c'est par la porte latérale. Un policier entre, moi à sa suite; je m'assoie sur le banc opposé à la porte. Je ne montre aucune réticence, c'est comme ça; mais quand même... je ne pensais pas que ça prendrait ces proportions.

Le fourgon roule à travers les rues; je regarde bien un peu, par les vitres arrière, le décor de la nuit défiler, mais je ne me rends jamais bien compte en voiture. Je me fais une raison; je dois en avoir l'air, je pense, et même de prendre les choses du bon côté, d'être curieux de ce qui m'arrive. Mon regard croise celui du policier, assis en face de moi. C'est un jeune type assez grand; il a un visage bien structuré, ce que j'avais noté : une tête de sportif, ou de personnage dessiné... ce n'est pas comme ces mines ternes et chaffouines qu'on voit souvent chez les jeunes agents. Je lui souris. — C'est une aventure intéressante, dis-je. Il ne répond rien; j'espère qu'il ne croit pas que je me fous de sa gueule. Boum ! je me prends un coup, léger, sur le côté : c'est une pile de cônes de signalisation qui a basculé. En fait, ça tangue bien dans les virages. Je repousse l'objet sans vouloir rien éprouver : je suis ailleurs... je le redresse, comme si tout ça était normal. Mais bon, je me dis : tant qu'à me considérer comme un grand criminel, on pourrait m'épargner le contact avec du vulgaire matériel de circulation routière ! Sans rien dire non plus, le policier, d'un coup, allonge la jambe pour maintenir du pied la chose en place. Il a l'air malin comme ça, la jambe de côté ! Enfin, ils auraient pu tout caler, non ? J'ai remarqué aussi dans le fourgon : à ma gauche, en face de la porte coulissante, une cantine métallique; au-dessus de nous, sur une tablette, des casques à visière, genre CRS...

Ah ! le fourgon s'arrête. La porte coulisse; le policier qui est avec moi se rapproche de l'ouverture en tendant un peu la jambe en travers, sans doute pour éviter que l'idée me prenne de sauter et de m'enfuir : quelle idée ! Sur le trottoir, large à cet endroit, il y a un comité d'accueil. J'ai vaguement entendu le nom du boulevard Montparnasse dans les communications qui ont eu lieu dans le fourgon; d'ailleurs ça y ressemble. J'ai l'impression que nous nous trouvons près de l'angle avec la rue de Rennes; derrière il doit y avoir la gare, mais je ne cherche pas à vérifier. Bon, si c'est ça, c'est un peu incongru, mais pourquoi pas ?

Je regarde les policiers qui sont là à discuter le coup. Mais que se passe-t-il en fait ? Je remarque les galons sur les épaules des uns et des autres, en cherchant à me souvenir des grades de l'armée : au cas où, ce serait bien de m'adresser à eux avec les bons termes... J'aimerais demander le détail à mon pote du fourgon, mais bon... Lui a juste un chevron; ce doit être un caporal, ou un brigadier, ça dépend des armes, et je ne sais plus ce que c'est dans la police. L'autre agent en a deux. Et puis j'en vois encore un avec trois chevrons; celui-là, je pourrais me permettre de l'appeler « chef », non ? Il y en a deux surtout, en chemisette aussi, mais avec une barrette à l'épaule; c'est plus compliqué : des officiers... Ils ont l'air improbables comme ça, tout propres et clairs dans la nuit, surtout à leur âge, la quarantaine peut-être : un lieutenant, un capitaine ? Mais un capitaine, c'est beaucoup déjà comme grade... Enfin j'en vois surtout un, l'air un peu renfrogné, comme si on l'avait tiré de son lit; il ne me regarde pas ou quoi ? Je n'y tiens pas plus que ça, mais c'est de moi dont il est question quand même... Et puis il y a un type qui me paraît plus jeune, en uniforme noir, genre CRS, la tenue de combat, ou de mission ? Tiens ! on l'appelle commissaire; je n'aurais pas dit. Les autres font un peu plan-plan, lui ce serait plutôt le style volontaire, service action. Eh bien ! tout ça pour moi, comme un dangereux terroriste !

Mon sac à dos, on l'a regardé là aussi, je ne sais pas trop... Devant moi c'est encore la nuit, avec des présences, avec des policiers de toutes sortes... On sort ma bouteille en plastique, on l'ouvre, on la respire... Ils doivent penser à un produit inflammable, je le crains. Je fait remarquer à mon garde qu'ils pourraient me demander quand même ! — Enfin, je leur dirais, dis-je, un peu amusé d'être si proche et à distance de ce qui se passe. Mais il ne réagit pas, comme si mes paroles n'avaient pas grande importance, trop intempestives sans doute. Mon nom est cité; enfin ça y ressemble; il y a des présences; ça tarde. On me demande si c'est moi les incendies... — Ce n'est pas mon genre, que je réponds. — Non, ce n'est pas mon genre, que je répète, comme pour me vanter, tout en m'apercevant de mon ridicule. Il faut dire, quand même : me confondre avec ces zozos que moi-même il m'est arrivé la nuit de croiser, voire de houspiller ! Et puis le commissaire, perplexe et un peu rogue, me demande, là... — Vous êtes SDF ? — Ah ! non, non : j'habite le quartier, je suis enseignant... — C'est un peu bizarre quand même... Qu'est-ce qui est bizarre ? C'est moi, mais pourquoi ? J'essaie de donner quelques explications sur ce que je faisais à cette heure-là : que j'effectue ma petite course quotidienne; d'ailleurs les agents du commissariat rue Madame pourront me reconnaître; j'en vois souvent en passant, ceux qui sortent pour fumer... — Il n'y a pas de commissariat rue Madame, qu'il me répond. — Oui, enfin la rue parallèle... Je n'ai jamais été très doué pour les noms de rues; il pourrait comprendre, quand même ! Il finit par me dire : — Est-ce que vous êtes suivi par un psychiatre ? — Non, j'en ai vu un un jour, mais c'était un charlatan, alors... J'allais continuer mais apparemment ça ne l'intéresse pas; il ne doit pas attendre que je lui raconte ma vie aussi ! Allez, on repart dans le fourgon...

Sur le chemin, j'entends encore mon nom; cette fois c'est net : il est mal prononcé. Je l'avais épelé correctement, pourtant; enfin je crois; mais on a pris un E pour un R. Je le dis à mon garde, toujours silencieux. Il me regarde, incertain... Enfin, est-ce que j'ai l'air de vouloir rendre les choses plus confuses encore ? Bon, il doit comprendre; en tous cas il tient compte de cette précieuse information pour corriger son papier, en bon fonctionnaire qu'il est. Quant à moi, je prends mon carnet, pour commencer à noter quelques petites choses, si je veux retenir les événements extraordinaires de cette nuit. J'écris le mot fumer : on a commencé par me demander si je fumais. Il a été question d'incendies, ai-je entendu à plusieurs reprises, mais était-ce bien de simples feux de poubelles ? N'ai-je pas entendu parler d'un magasin aussi ? Il ne peut pas s'agir d'un attentat tout de même ? Ensuite je note le fait que le commissaire de choc m'a jugé bizarre. En quoi bizarre ? Mes habitudes sont sans doute un peu singulières, mais il n'y a pas de mystère, encore moins de secret... Bon, c'est tout pour le moment; je ne voudrais pas me faire trop remarquer, notamment avoir l'air de singer l'attitude du policier.

Tandis que je réfléchis à tout ça, le fourgon roule vers une destination inconnue.

À suivre...

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Message par Pieyre Ven 29 Juin 2018, 18:37

Deuxième partie : la garde à vue.

À nouveau le fourgon s'arrête; cette fois tout le monde descend. Je reconnais l'endroit, rue Jean Bart. — J'ai toujours voulu entrer dans ce commissariat, dis-je. — Pourquoi, vous connaissez ? Certes, c'était un rien provocateur de ma part. — Non, mais je passe tous les jours devant... Je donne l'impression de jouer au con, mais non en fait : je suis intéressé par cet univers de la police, je ne sais pas trop pourquoi, l'esprit d'ordre sans doute. Nous entrons dans une petite pièce, un accueil, avec un guichet derrière lequel se tient un agent, et quelques chaises. On m'en indique une; je m'assois. On me pose les questions d'usage. — Vous désirez contacter un médecin ? un avocat ? vous voulez qu'on prévienne quelqu'un parmi vos proches ? Je réponds par la négative à chaque fois. Et puis j'attends, je ne sais quoi. J'ai déposé mes clefs et mon carnet que je conservais encore sur moi, avec des mouchoirs. Il y a quelques jeunes policiers qui sont là, ceux qui m'ont pris mon sac à dos, d'autres qui passent... En particulier il y a un jeune flic, pas bien grand, avec une bonne bouille ronde. J'ai du mal à lui donner plus de 18 ans.

On me demande d'enfiler des gants de latex bleus; le jeune va me les chercher. — Vous ne les retirez pas, hein ? qu'on me dit. Évidemment que je ne les retire pas ! c'est mon intérêt. Ah, la supériorité de l'innocent qui croit encore que son innocence le protégera des emmerdements ! C'est pour analyser la présence de traces de combustion sur mes mains, bien sûr. J'avais vaguement entendu avant une consigne : — Il ne se lave pas les mains, il ne va pas pisser. C'était ça. Mais un instant j'ai eu peur. Il m'est arrivé d'avoir des gants de chirurgiens sur moi, au cas où j'aurais à manipuler certaines substances; j'ai cru qu'on les avait trouvés dans mes affaires; j'aurais été encore plus mal barré !

Bon, alors j'enfile les gants, mais il sont trop petits; c'est ridicule. J'insiste et je tire dessus, malgré ce qu'on me dit : je ne vais quand même pas rester avec des mains palmées comme ça ! Évidemment j'en déchire un en tirant trop fort. Je le montre : ça ne va pas comme ça. Le jeune flic sourit; il part et revient avec un autre gant, plus grand celui-là... mais un seul. Je l'enfile. Me voilà donc avec un gant d'homme et un gant de femme ! Bon, il est gentil mais pas très doué... Je finis par lui en demander un deuxième, qu'il me rapporte. Voilà, comme ça, ça va, même si je flotte un peu dedans.

Sur la tablette du guichet il y a mon briquet. Le jeune flic le prend, le regarde, et l'allume. C'est malin, ça ! Comment prouver maintenant qu'il n'a pas servi récemment ! Et puis il me demande pourquoi il y a cette punaise qui est enfoncée à la base du briquet. Voilà qu'il joue à l'inspecteur, maintenant ! — Je ne sais pas; elle a dû se planter toute seule, dis-je sans accorder d'importance à sa trouvaille. En fait, c'est juste un briquet que j'ai trouvé dans la rue, comme des tas de trucs...

Un policier passe devant moi. Il a un air un peu réprobateur, non ? Il est vrai que je suis assis de manière assez cavalière, avec le pied droit sur le genou gauche. Ce n'est peut-être pas une posture modeste qui sied à mon état actuel. Ce n'est pourtant pas mon style d'en faire trop. Mais, dans les situations un peu tendues cela ne me déplaît pas tant que ça : c'est là que je trouve des ressources...

Bon, eh bien voilà, je suis mis en garde à vue, et on m'emmène en cellule. On m'a dit qu'il faudrait retirer mes lacets. Je regarde mes chaussures : je ne me vois pas remettre mes lacets après coup; alors je demande si je ne peux pas plutôt ôter mes chaussures, si c'est possible... Oui ça va. Et puis, avant d'y aller, je demande : — Je peux prendre mon carnet ? Mais non, ça je ne peux pas; bon, tant pis, j'aurais au moins essayé.

C'est au sous-sol, l'allée à gauche après les marches. En bas, le jeune flic tire un peu mon survêtement à la taille. — Il est bien serré votre pantalon, qu'il me dit. Bah oui, il y a une cordelette. Je la montre, en comprenant qu'il va falloir l'enlever, comme les lacets. — Il va falloir la couper, je me désole. Il me dit qu'on devrait pouvoir la tirer. — Ah oui, vous avez raison — Je suis habitué, qu'il dit, le jeunot, tout content de lui. Si ça peut lui faire plaisir... Alors j'enlève mes chaussures, je retire la cordelette et j'entre dans la cellule. Là, il y a une chose qui m'embête vraiment : la perspective de n'avoir rien à faire. Avant qu'il ne referme la porte, je demande au premier agent, le silencieux, même si c'est un rien provocateur : — Vous n'avez pas un bouquin ? Eh bien non, il n'en a pas, ou il ne veut pas m'en donner un, ou alors il ne comprend pas que je puisse demander un truc pareil. Il referme la porte et bloque les loquets.

Être mis en cellule, ce n'est pas rien. Mais après l'interpellation, le fourgon, le commissariat, c'est simplement dans la logique des événements.

J'examine les lieux. Il n'y a pas grand-chose à en dire; c'est surtout petit, et vide; la porte, grillagée, et garnie de carreaux de plastique par endroits, permet de voir l'extérieur, notamment sur le côté le couloir par lequel je suis venu, qui conduit à une pièce au fond. Les murs sont peints d'une couleur claire, les montants de la porte en noir; le sol est recouvert d'un linoléum grisâtre qui se recourbe en forme de plinthe; il y a une banquette de ciment au fond, au bord arrondi, avec une couverture dessus; il y aussi une caméra dans un coin. J'évalue les dimensions à 1,5 m de largeur pour 2 m de profondeur. Il y a quelques graffitis, faits par ceux qui avaient réussi à dissimuler un crayon ou une pointe, mais peu originaux, des sortes de signatures ou des noms, de simples lettres capitales, notamment gravées sur la porte métallique ou les vitres, comme dans les rames de métro. Sur les murs il a dû y en avoir davantage, mais cela doit s'estomper avec le nettoyage.

L'aspect général est fonctionnel, hygiénique même, c'est-à-dire rassurant et déprimant tout à la fois. Ce n'est pas que je regrette un bon cachot à l'ancienne, sombre, avec des murs de pierre, des barreaux en fer forgé, de la paille, un vieux compagnon d'infortune qui croupit là depuis longtemps, une écuelle de bois et quelques rats... Mais pourtant, s'il fallait y vivre des années, j'ai l'impression que je m'y sentirais mieux.

Je me demande pour les lacets : il est sans doute plus difficile de se fracasser le crâne contre un mur que de s'étrangler; des jeunes y sont d'ailleurs arrivés sans le vouloir, qui ont pratiqué le jeu du foulard.

Bon, il ne sert à rien de rester debout; il n'y a pas assez de place pour marcher. Je pourrais faire ma gymnastique quotidienne, au moins quelques pompes, des ciseaux ou des flexions de jambes, mais je n'en ai pas bien envie. Et ça ferait criminel endurci, j'ai l'impression. Quant à être assis, immobile, cela ne me convient pas. Autant m'allonger et essayer de dormir, même si là aussi ça pourrait donner l'impression d'être un habitué. Mais c'est toujours une avance que je pourrai prendre sur ma prochaine nuit, où je veux croire que je ne serai plus là. Maintenant, je ne peux pas m'empêcher de me répéter un peu les événements. D'ailleurs il le faudrait, si je veux pouvoir noter tout ça correctement chez moi; mais je n'ai pas envie de me laisser gagner par les émotions. Je m'applique surtout à ce qui pourrait me servir quand je serai interrogé, notamment ce que j'ai entendu dire à un agent qu'après avoir quitté les lieux je m'étais un peu arrêté avant de continuer : c'est bien la preuve que je ne fuyais pas.

La banquette est dure, et je dois plier les jambes, mais ce n'est pas tellement pire que de dormir sur un canapé qui n'offrirait pas une surface régulière. De temps en temps il y a du passage à côté. Au début je me relève, et puis ensuite j'ouvre juste un œil. Je ne sais pas si la caméra est en état de marche; ce n'est pas sûr.

On s'arrête devant ma porte; je me lève aussitôt. C'est pour le relevé des gants : trois personnes en civil. — Je peux remettre mes chaussures ? C'est bon. Nous nous rendons dans la pièce du fond. La femme, sans doute de la police scientifique, l'air très gentil, me demande de retirer mes gants, en les retournant, puis de les placer dans un bocal. Je le fais avec une délicatesse extrême : je suis coopératif, moi, avec ces gens-là ! Elle me frotte ensuite les mains avec un coton imbibé. — C'est de l'eau dit-elle, et même elle le répète. Oui, et alors ? Quand bien même il y aurait autre chose : comme si j'allais m'indigner parce que n'admettrais sur mes petites mains que des produits aux amandes douces !

Il s'agit alors pour eux de remplir un document. Assis sur mon banc, je suis un peu ailleurs, mais j'entends qu'on demande l'heure des événements. — 4h45, je dis, même si ce n'était pas à moi de répondre, je le vois bien. — 4h45 en effet, le type finit-il par lire sur un document. Et puis j'entends autre chose : — Le prévenu est né le 24 janvier 1963... — Décembre, je rectifie... Il hésite face à mon laconisme. Mais je ne rajoute rien : évidemment que c'est ça ! Enfin, c'est pas vrai : il n'y en a pas un qui est capable de noter correctement un renseignement là-dedans !

Et puis, on me laisse seul avec la scientifique... Enfin, non, quelqu'un fait une remarque : il faut me ramener en cellule – des fois que je voudrais lui sauter dessus sans doute... Avec les terroristes, ou les dingues, on ne sait jamais...

Alors une fille en civil me raccompagne, une inspectrice sans doute; elle doit avoir quelque chose comme trente ans, plutôt blonde, les cheveux tirés en arrière. Avant qu'elle ne referme la porte, je lui demande, ennuyé par la perspective d'attendre encore : — Je pourrais savoir si tout ça va durer longtemps ? — Très longtemps ! qu'elle me répond. J'insiste : — Vous ne pourriez pas me dire à peu près combien ? — Non ! Et elle ferme la porte et les loquets. Eh bien ! quelle peste, celle-là ! Je commence à me demander si je n'ai pas un peu préjugé de la situation en pensant que ma bonne foi serait reconnue facilement. Je ne serais pas parti pour passer au tribunal là ? Enfin, pourtant il n'y a rien dans ce dossier ! Devant un juge, les choses seront claires... Et si malgré tout il y avait des éléments que je ne connaissais pas, des coïncidences, ou des faits exprès d'ailleurs... Si j'était reconnu coupable ? Je pourrais en avoir pour combien ? pas plus de quelques mois quand même ! Je ne me représente pas la prison mais juste le temps perdu : bon, au pire, avec les vacances, je pourrais être sorti pour la rentrée. Il s'agirait de prévenir ma famille, difficile de faire autrement : quel ennui !

Malgré tout, je ne suis pas tant affecté que ça par toutes ces imaginations... Pour le moment, c'est l'attente qui me pèse ! Alors je me rencogne sur ma banquette. Ce n'est pas la peine de se tracasser. Je n'ai plus mes gants, cette fois, et la couverture est rêche... tiens : j'ai des petites mains fragiles, finalement. Et puis j'ai mes chaussures aux pieds, ce qui est moins pratique, mais je ne les retire pas. Et donc j'ai mes lacets : ils ont oublié de s'en soucier avec tout ça !

À suivre...

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Message par Invité Jeu 05 Juil 2018, 13:20

(Ce suspens est intenable, je viens voir chaque jour si la suite est postée, et hélas... non ! Je finis par me dire qu'ils ne t'ont pas libéré, et que, 10 ans plus tard, tu n'as pas accès illimité à ZC depuis ta cellule !)

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Message par Pieyre Jeu 05 Juil 2018, 15:17

Ah, oui : six jours déjà ! Au départ je comptais poster un épisode par jour. Et puis, déjà en général c'est compliqué, alors avec la chaleur... Il faut dire aussi qu'à l'époque je n'avais rédigé (imparfaitement) que les deux épisodes postés et le début du troisième, et que j'ai juste des notes pour le reste alors qu'il y a en plus trois, voire quatre épisodes... Bon, j'essaie de poster le troisième avant ce soir. Et merci pour ton intérêt : ça motive !

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Message par Invité Jeu 05 Juil 2018, 17:27

Je présume que je ne suis pas le seul à suivre je récit, mais on hésite peut-être parfois à intervenir sur un fil personnel, de peur d'interrompre l'envol des mots et des idées par une maladroite présence !

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Message par Pieyre Ven 06 Juil 2018, 15:13

Troisième partie : la déposition.

L'imagination, ce n'est pas tout; il y a aussi la nature. Alors autant en tenir compte assez tôt. Il y a un machin carré en plastique, là, dans le mur, près de la porte; ce serait bien la sonnette, puisqu'il n'y a que ça. J'incline le bouton, dans un sens, dans l'autre... encore... mais rien : pas de bruit, pas de réaction. C'est pourtant bien ça, ou ce serait quoi, sinon ? Maintenant je n'avais pas vu, si on peut dire, qu'il y avait une lumière dans la cellule : cela pourrait tout simplement être l'interrupteur... Sauf que le néon qui éclaire la pièce, encastré un peu en retrait dans le panneau fixe de la porte, a bien l'air de rester allumé en permanence : c'est classique ça dans ce genre de cellule, non ? Bon, peu importe ! Il n'y aurait donc pas moyen de prévenir ? Et si j'avais une crise, je ne sais pas moi : épilepsie, asthme, ou problème cardiaque... J'essaie encore le bouton... Non, décidément, rien. Bon, eh bien c'est qu'on est censé taper dans la porte. J'y vais ? J'hésite... Allez : Bam ! Bam ! deux bons coups là-dedans, avec le poing... Rien ? Alors donner des coups de pieds, me déchaîner ? ça pourrait me faire du bien... Mais je n'ai pas envie de passer pour un sauvage, quand même ! Gueuler alors, à travers le grillage ? — Oh ! Oh ! Ce n'est pas assez fort. — Oooooh ! Bon, je ne suis pas pressé non plus : attendons...

Ah ! voilà quelqu'un ! C'est une jeune femme en civil qui vient prendre une ramette de papier dans une armoire métallique. — S'il vous plaît ! j'aimerais aller aux toilettes... — Ah, les toilettes, oui... Elle ouvre la cellule : — C'est au fond. Au fond de mon allée, d'accord : je m'y rends. C'est des chiottes à la turque. Je tire la porte sans la fermer complètement : de toutes façons il ne doit pas y avoir de serrure, alors à quoi bon ? Je me soulage rapidement, puis je me passe les mains à l'eau, sans utiliser le savon, et je les essuie d'un geste. Autant ne pas la faire attendre : ça doit être humiliant, surtout pour une femme, d'avoir affaire à des types qui prennent leur temps en ces circonstances, en donnant à penser qu'on dépend de leur bon vouloir... Elle est seule d'ailleurs... C'est sans doute une inspectrice plus aguerrie que la scientifique; mais, finalement, est-ce bien prudent de rester seul avec un prévenu ?

En réintégrant ma cellule, je lui demande, à elle aussi, si ce sera long encore. — Je vais m'occuper de vous, oui... me répond-telle de façon ferme mais bienveillante en refermant la porte. C'est donc à elle que j'aurais affaire, très bien... Elle m'a annoncé quelques instants, mais peu importe que cela dure un peu plus : c'est beaucoup mieux que l'incertitude qui régnait jusqu'à présent.

Peu de temps après elle revient me chercher. Elle me fait passer devant moi et m'indique le chemin, en joignant le geste à la parole : après l'accueil, l'escalier, puis à l'étage la pièce à droite. — On va s'installer là, dit-elle après un instant d'hésitation, en désignant le premier bureau. — Asseyez-vous... prenez la chaise marron. Je remarque qu'elle précise les choses davantage que nécessaire : sans doute l'habitude d'avoir affaire à des gens qui ne comprennent pas bien. La pièce est assez grande, avec trois ou quatre bureaux inoccupés. Sur la porte restée ouverte, on peut lire le mot Quarantaine.

Dès que je suis assis elle attaque : — Alors, vous avez déclaré que vous vous êtes arrêté devant le camion de pompiers rue Saint-Sulpice, mais que vous n'avez rien vu : ce n'est pas très crédible tout ça !... Hou ! Qu'est-ce qui lui prend ? Aussi je ne sais pas quoi lui répondre... Apparemment il y avait quelque chose à voir, enfin que j'aurais dû voir... Mais quoi donc ? Alors je répète ce que j'ai déjà indiqué : en arrivant par la rue du Vieux Colombier sur la petite place en face de celle de l'église, j'ai vu la scène; je suis resté cinq secondes; et je suis reparti, puisqu'il n'y avait rien d'intéressant; et puis aussi que je me suis arrêté un instant un peu plus loin, avant de reprendre mon chemin : un policier a indiqué qu'il l'avait remarqué; c'est donc bien que je ne m'enfuyais pas...

Bon, elle n'insiste pas tant que ça, et commence à taper à l'ordinateur. Cela me permet de la regarder plus attentivement. Elle me plaît bien : la trentaine, le visage peut-être un peu lourd mais agréable; c'est une jeune femme responsable, peu apprêtée, avec un aspect maternel. Elle porte un vêtement de tissu souple a col échancré, qui casse un peu ses formes tout en laissant deviner qu'elles sont assez généreuses.

Elle note mon identité et mes coordonnées. Ensuite il me faut rappeler ce que j'ai déjà dit : j'ai vu le camion, les pompiers et les policiers... enfin tout ça. Cela devient répétitif, mais je comprends bien que c'est la base du travail de l'enquêteur. De mon côté, j'en profite pour rappeler aussi que je passe souvent devant des policiers qui fument devant le commissariat... Elle ne fume pas, mais elle connait bien le quartier et elle ne m'a jamais vu. Évidemment qu'elle ne m'a pas vu puisque c'est la nuit que je passe... Est-ce que j'ai des antécédents avec la police ? — Non. — Heureusement, dit-elle. Elle va voir si j'ai un casier. Bon, ça peut aller... Elle s'étonne que je courre à jeun. Bah, j'ai lu que c'était recommandé quand on a souci de sa ligne...

Je la regarde rédiger ma déposition en tapant à l'ordinateur avec deux doigts. C'est amusant... Elle se trompe en remplissant le formulaire, avec mes coordonnées d'abord, ce qui la conduit à tout effacer, et puis encore une fois. Bon, je remarque tout de même qu'elle est patiente, même si par ailleurs elle manifeste un peu d'irritation relativement au fonctionnement du service. Ça m'intéresse les dysfonctionnements, mais je ne lui demande rien : je ne suis pas là pour déplorer le manque de moyens ou de sérieux, ni pour proposer quoi que ce soit. C'est dommage : j'ai remarqué plein de choses en à peine quelques heures.

Elle me demande le prénom de mon père, le nom et le prénom de ma mère, et puis si je suis locataire ou propriétaire, le nom et l'adresse de mon propriétaire... Tiens, le nom de ce dernier lui dit quelque chose... Je sais qu'il est sur le Bottin mondain, mais à part ça... Là encore, je me retiens de faire des commentaires : nous ne sommes pas des amis qui tapons la discute... Elle me fait remarquer que si je n'avais pas eu ce briquet... — En effet, désormais je ne vais peut-être pas sortir avec. — C'est comme vous voulez.

Au sujet des événements, j'indique que les policiers s'agitaient... enfin je relativise ce terme... Mais non, ça lui plaît, comme si une déposition devait être un peu comme ça; et puis ils en font trop, me dit-elle : c'est le VIe arrondissement... Mais, ensuite, lorsqu'elle me relit ma déposition, je modifie : s'activaient ? hum, plutôt s'affairaient.

— Quel est votre niveau d'études ? J'indique que j'ai préparé un doctorat mais je préfère taire que je suis pas allé au bout... Il y a trop d'éléments qui me font paraître un peu minable pour en rajouter. — Vous avez fait l'armée ? — Oui. — Où ? Alors là je peux me livrer à ma pente naturelle de vanter mes quelques aventures qui sortent de l'ordinaire : j'étais en Allemagne durant mes classes, et puis à Paris comme Scientifique du contingent, et tout ça... — Quels sont vos revenus ? J'enseigne en lycée mais juste quelques heures; il y a aussi mes parents (je dis ça mais à mon âge je ne leur demande plus rien); et puis en ce moment un RMI plus ou moins complet (même si c'est un peu gênant de le mentionner, parce que je pourrais me permettre de ne pas y avoir recours). — Comment vivez-vous ? J'indique que je n'achète rien, que je trouve tout ou presque. J'annonce même que je suis contre la société de consommation – mais quelle idée ? aussi je me reprends à la relecture : disons que j'en suis en retrait. — Quel est votre numéro de sécurité sociale ? Bizarrement j'ai tous les éléments mais j'ai du mal à le reconstituer. Il faut croire que je suis encore un peu ailleurs.

J'essaie trop de me justifier sans doute. Mais elle me dit avec un regard éloquent que je n'ai pas l'air d'un délinquant. Hum, qu'est-ce que cela veut dire ? Que je suis trop gentil ou bien trop intellectuel ? Non soupçonnable d'avoir commis une infraction parce que trop peu capable de ça ? Paradoxalement cela me pose problème.

Je lui fait remarquer qu'on aurait pu me laisser mon carnet pour que je puisse écrire... — Vous auriez écrit ? me demande-t-elle. Je lui réponds que je vais rédiger cette aventure, comme tout ce qui m'arrive. Ça l'amuse. Et je vais même la poster sur un forum internet où je participe... Va-t-elle prendre ça pour une menace, un témoignage sur les méthodes policières tout au moins... Eh bien pourquoi pas...

À ce moment, un type passe dans la pièce, en tenue commune, les muscles assez saillants, avec l'inscription POLIZEI qui lui barre la poitrine, en lettres noires sur le tissu vert. Eh, bien ! C'est un inspecteur, ça ? Pourquoi pas BAZOOKA ou BANZAI pendant qu'il y est ? Je ne supporte pas ce genre de manifestions excessives, surtout de la part de personnes qui sont détentrices d'une autorité.

En rédigeant, elle se demande si le verbe courir prend bien deux R ? Assis au bureau d'à côté, un collègue arrivé entre temps lui donne plutôt raison. Elle, je ne l'aurais pas reprise, ne serait-ce que parce que je suis pas complètement sûr; mais lui oui : — À mon avis il n'y en a qu'un.

Bon, elle a fini de remplir ma déposition. Au moins je l'aurais bien amusée. Ce n'est pas vraiment à mon détriment, mais c'est quand même moi le sujet de rigolade : j'ai l'impression qu'ils vont en faire des gorges chaudes de ma déposition. Bah, si ça peut égayer leur quotidien... Elle a tout de même indiqué à la fin qu'elle n'allait pas conserver une notation humoristique qui lui était venue en rédigeant. Bon, peu importe, mais il est vrai qu'il s'agit d'une déposition, et qu'elle peut avoir des conséquences désagréables pour moi...

Il est question aussi de l'analyse scientifique de mon prélèvement. — Est-ce qu'il y aura un résultat en votre défaveur ? — Je ne pense pas. — Moi non plus. Pourtant, elle ne m'est pas complètement acquise : — Que ce soit vous ou pas, il n'y a pas grand-chose contre vous. Ainsi voilà tout ce qui peut me tirer d'affaire. C'est peu; mais, si cela peut suffire... Alors elle tente de téléphoner au procureur pour lui demander l'autorisation de me relâcher. Mais, à cette heure-ci, il ne doit pas être joignable. Bon, j'ai beau jouer un certain détachement, c'est tout de même un soulagement.

À la fin, elle s'excuse du temps que tout cela a pris. Ah, non, au contraire : quand l'alternative c'est la cellule... Et même je serais bien resté là, dans un coin, juste à la regarder. Pourtant il me faut encore retourner en cellule...

Alors, j'ai beau me dire que c'est une aventure extraordinaire que je vis là, que je vais pouvoir la revivre, la raconter, l'écrire... enfin que j'aurais payé cher pour ça ! pourtant, là, sur le moment, qu'est-ce que c'est pénible d'attendre à ne rien faire ! Dormir encore ? – mais non, à cette heure-ci ce n'est plus possible... Bah, pourquoi pas après tout... mais non, enfin : j'avais dormi quoi cette nuit : 5h30, ce n'était pas énorme, mais tout de même : avec le rattrapage que j'ai fait sur la banquette... Je m'adresse à la caméra de ma cellule, qui sans doute ne fonctionne pas : — C'est ridicule, ça ne sert à rien.

Au bout d'un moment, un nouvel inspecteur vient me tirer de ma cellule : il s'agit de relever mes empreintes digitales. Il me demande si je connais : bah, non – enfin si, mais non. Je regarde ses mains, en repensant aux gants. J'allais dire : — Vous avez les mains plus fines que moi. Mais il le prendrait peut-être mal. Il me saisit la main, en l'approchant de son outillage : — Laissez-vous faire. Bah oui, je veux bien... Mais, dans la mesure où c'est lui qui me tourne les doigts en opérant, ce n'est pas le plus efficace, et le résultat ne me semble pas excellent. Maintenant, pour les doigts ensemble, à plat, c'est mieux; aussi, là, j'exprime ma satisfaction. Et, à la fin, quand il me montre la série, je concède que ce n'est pas mal.

C'est lui aussi qui fait les photos. Ah, oui : de face et de profil, comme les criminels qu'on voit dans les archives ! Malheureusement je suis un peu hirsute, parce que je ne prends pas la peine de me coiffer tellement au petit matin quand je sors courir. J'aimerais arranger ça, tout de même ! Il me propose de me laver les mains, ce qui est nécessaire il est vrai. Bon, je vais au lavabo, au bout de l'allée des cellules. La deuxième est désormais occupée : encore un animal pris au piège, avec qui pourtant je n'ai pas de raison de me sentir solidaire. Alors, j'aimerais me donner un coup de peigne, pour ressembler davantage à ce que je suis. Je peux lisser un peu ma tignasse mais c'est tout : tant pis. Mon inspecteur a un appareil photo numérique. On est moderne maintenant dans la police ! Mais, tout de même, tenu à la main comme ça, est-ce bien le mieux ? il pourrait avoir un trépied, non ? Alors je me prête au jeu : de face, de profil droit, de profil gauche... J'essaie d'avoir l'air frais, voire souriant. À chaque photo qu'il prend, il dit : — Nickel ! Apparemment c'est son mot. Je trouve cela assez niais...

Et puis il me mesure : — 1,69 m, corpulence normale. Au service militaire je faisais 1,70 m mais j'ai dû me tasser un peu depuis. Quant à la corpulence, il s'agit sans doute juste d'estimer l'IMC. Normal, cela ne me convient pas bien, mais il n'y a évidemment pas de catégorie qui tienne compte de la forme physique.

Il a un côté sympathique si l'on veut, mais peut-être pas tant que ça : c'est juste qu'il tient à bien faire son travail et qu'il est expansif; mais je dois être pour lui un objet qu'il s'agit tout au plus de ménager. En fait, malgré son côté enjoué dans le travail, il ne relève pas trop mes tentatives d'humour : on ne fraternise pas avec la chiourme sans doute.

Je lui demande : — Tout ça sera détruit à la fin, non ? On m'a bien dit qu'il n'y avait rien dans mon affaire... C'est-à-dire que j'essaie de me rassurer auprès de lui aussi... Concernant la suite des événements, il me répond : — Il faut bien compter une heure, le temps de communiquer avec le parquet, surtout qu'on est un commissariat éloigné. Une heure, bon, ça va. Je me recouche sur ma banquette.

Pendant ce temps-là, le deuxième interpellé passe à l'anthropométrie lui aussi.

À suivre...

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Message par Clausule Sam 14 Juil 2018, 21:57

C'est haletant! Wink
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Message par Clausule Dim 15 Juil 2018, 23:26

Pieyre, ton histoire me fait tellement penser à ce film (sauf que dans celui-ci, ça va très loin)

Très bien, merci, de Emmanuelle Cuau
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=109437.html

"Alex, comptable, et Béatrice, chauffeur de taxi, forment un couple sans histoires. Mais un soir, Alex se mêle au travail de la police lors d'un contrôle d'identité. Un engrenage implacable et absurde se met alors en marche : il se retrouve au poste, au chômage, et en clinique psychiatrique. Sauf que les fous, ici, ne sont pas ceux qu'on croit..."

Film qui m'avait mise assez mal à l'aise d'ailleurs, bien qu'on puisse y voir une comédie...
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Message par Pieyre Lun 16 Juil 2018, 08:23

Je n'ai pas vu ce film mais je sais qu'il y a eu un certains nombre d'affaires réelles de gardes à vue qui ont déstabilisé les personnes mises en cause. Je n'ai pas cherché à creuser cet aspect dans ma rédaction, parce qu'il n'y aurait pas eu grand-chose à dire : tout cela duré tout au plus huit heures; aucun des policiers n'a particulièrement cherché à me brimer ou me menacer, ce qui fait que je me suis davantage attaché au fonctionnement d'un petit commissariat et aux personnalités qui le composaient. Ainsi, je n'avais pas tellement à redouter d'avoir à me justifier auprès de gens que je connaissais : je n'étais pas en couple, je n'exerçais pas de travail salarié, c'est-à-dire que je n'avais personne à prévenir dans l'immédiat. Et puis, d'un point de vue personnel, c'est l'instant qui comptait, un peu celui de l'inquiétude mais surtout celui de l'ennui, et puis celui de la découverte d'une réalité, d'une affirmation de soi aussi : autrement dit c'était intéressant; ce n'est pas quelque chose que je rajoute après coup.

Alors, je me suis tout d'abord appliqué à rendre compte du fait que j'étais dépassé par les événements tout en tentant de surnager, comme si les choses m'arrivaient par des images ou des mots que je parvenais pas bien à relier et que je devais intervenir pour donner du sens à tout cela. C'est moins net dans la troisième partie, où c'est davantage le train-train qui s'impose. Mais il y aura je crois une relance de l'intérêt dans la quatrième partie, moins inquiétante encore mais plus étrange... Mais ce sera pour plus tard. Depuis quelques jours je suis chez mes parents et il fait une chaleur qui m'empêche toute activité intellectuelle.

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Message par Prince Joann visite Dim 25 Juil 2021, 03:51

S'apprêter à partir parce c'est mort, parce que le mauvais temps a fait que... puis se retourner, et là, étonnement : voir tout un groupe danser de façon synchro.  D'étonnement je passe à une joie que je sens frémir, monter, je m'approche. Je suis près et la joie parcourt maintenant tout mon corps, elle pourrait bien me monter aux yeux. Diable que c'est bon, que c'est beau ! La vie présente, ici, maintenant, partout, et qu'est-ce donc cette musique ? Tout est parfait. Sous ce ciel de juin, en cet instant, tout est parfait. Je suis parce qu'ils dansent, et Jérusalem est dans mon coeur.


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